Prenez une carte du monde et cherchez-y le pays des contes de fées ! Vous ferez chou blanc. En revanche, vous découvrirez peut-être un des temples de ce culte magique : l’hôtel Lambert. Ce sanctuaire est situé à Paris, exactement à la pointe sud-est de l’île Saint-Louis. Sotheby’s vient d’annoncer – pour la troisième fois en un demi-siècle – la vente des trésors de cette demeure de légende. 1.300 objets d’art rassemblés par une branche de famille Al Thani qui avait acquis l’hôtel des héritiers du baron Guy de Rothschild en 2007.
Tableaux, meubles, pièces d’orfèvrerie et une fascinante collection de bijoux anciens seront dispersés à Paris au mois d’octobre. Certaines provenances sont fabuleuses : la reine Marie-Antoinette, Madame du Barry, Madame de Pompadour pour l’histoire de France. Karl Lagerfeld, Hubert de Givenchy, Antenor Patino pour celle du XXe siècle. Les plus illustres ébénistes – de Boulle à Weisweiler – sont représentés avec notamment une paire de meubles d’appui marquetés de pierre dure ou un extraordinaire bureau Mazarin.
Ainsi va disparaître la plus récente incarnation de ce rêve que l’on nomme l’hôtel Lambert. Avant que n’en débute une nouvelle, puisque la maison a été rachetée il y a quelques mois par l’homme d’affaires français Xavier Niel.
L’hôtel Lambert, est destin à part
L’hôtel Lambert est une rareté dans le patrimoine historique parisien. Contrairement à nombre de demeures des siècles passés devenues musées ou ministères, il est toujours resté en des mains privées illustres. Un destin que n’aurait pas imaginé Jean-Baptiste Lambert de Thorigny (1608-1644) qui lui donne son nom et en finance la construction au début de la décennie 1640.
Louis Le Vau, architecte de Vaux-le-Vicomte, d’une partie du château de Versailles et du collège des Quatre-Nations (actuel Institut de France) en dresse les plans. Au premier étage, il imagine la galerie d’Hercule dont Le Brun peint les plafonds. Cet ensemble annonce la galerie des Glaces de Versailles. Claude Dupin, déjà propriétaire du château de Chenonceau, devient propriétaire de l’hôtel en 1732. Il le revend au marquis du Châtelet, dont l’épouse, une mathématicienne surnommée "divine Émilie" est la muse de Voltaire qui vivra quelques années en ces lieux.
Au XIXe siècle, l’hôtel Lambert est la propriété des princes Czartoryski. Chopin y crée nombre de ses Polonaises. Pendant près de cinquante ans, la famille d’Orléans-Bragance, la duchesse de Sutherland et l’actrice Michèle Morgan y ont vécu. En 1969, le baron de Redé qui occupe le premier étage y donne son légendaire bal oriental. Et en 1975, le baron Guy de Rothschild le rachète. Son épouse, Marie-Hélène, dernière reine du Tout-Paris, y tiendra sa cour pendant plus de vingt ans.
De cette époque date la première vente orchestrée par Sotheby’s. En s’installant à l’hôtel Lambert, le baron et la baronne Guy de Rothschild quittent leur château de Ferrières. Une part importante du mobilier de cette demeure est alors vendue à Monaco. Dans la même dispersion sont présentés de nombreux trésors provenant du baron de Redé et de l’hôtel Lambert. Ami des Rothschild, le baron reste à l’hôtel Lambert jusqu’à sa mort en 2004. Ses héritiers confient ses collections à Sotheby’s en 2005: 700 objets d’art qui constituent la deuxième vente des collections de l’hôtel Lambert.
La demeure est alors rachetée par une branche de la famille royale du Qatar. Sheikh Hamad Bin Abdullah Al Thani, fils du propriétaire, entreprend de restaurer entièrement l’édifice qui en a bien besoin. Il crée un décor aussi fastueux que celui des Rothschild et du baron de Redé. Inconditionnel du style français, surtout de l’âge d’or des arts décoratifs que fut le XVIIIe siècle, il achète avec discernement et profusion. Le résultat est ce décor raffiné qui n’aura duré que quelques années. Heureusement, pour une fois, le grand public pourra en profiter.
Des expositions reconstituant, avec les trésors mis en vente, les intérieurs de l’hôtel Lambert seront organisées dans plusieurs capitales. Et notamment à Paris, avant les ventes en octobre. L’univers de contes de fées que fut l’hôtel Lambert au cours des dix dernières années va revivre pour quelques jours. Ce seront les derniers.
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