Patrice Leconte ressuscite le commissaire Maigret

Le cinéaste croise pour la première fois la route de Gérard Depardieu à l’occasion de ce Maigret, incursion fascinante dans les atmosphères troubles de l’œuvre de Georges Simenon. En lui faisant endosser les habits du célèbre commissaire, Patrice Leconte lui offre un de ses plus beaux rôles.

Par Jérôme Carron , Emmanuel Cirodde - 24 février 2022, 07h00

 Patrice Leconte aux côtés de Gérard Depardieu et John Simenon,
le fils de l’auteur Georges
Simenon, qui veille
sur l’œuvre de son père, sur le tournage du film Maigret.
Patrice Leconte aux côtés de Gérard Depardieu et John Simenon, le fils de l’auteur Georges Simenon, qui veille sur l’œuvre de son père, sur le tournage du film Maigret. © twitter @simenontweets

Pourquoi avoir choisi d’adapter Maigret et la jeune morte ?

L’attachement profond que j’ai pour la littérature de Georges Simenon ne m’a jamais quitté. Avec Jérôme Tonnerre qui a coé­crit le film, nous avons eu envie de nous replonger dans les Maigret, un person­nage emblématique au même titre qu’Hercule Poirot ou Sherlock Holmes. Nous avons d’abord fait une petite sélection. Nous voulions qu’il se passe à Paris, ce qui en éli­minait déjà quelques ­uns. Puis Jérôme m’a sug­géré ce titre que j’ai aimé aussitôt. Il est original et bouleversant, car Maigret y est à la recherche de l’identité de la victime plus que de l’auteur du crime. Le commissaire a, lui aussi, perdu une fille, cette enquête le poussait – tout comme Depardieu – à avoir une démarche introspec­tive. Ce rapport me permettait d’exprimer des émotions qui me tenaient à cœur.

Cela génère aussi une empathie que l’on ne trouve pas toujours dans la littérature policière...

Oui, et nous aimions l’idée de montrer un com­missaire Maigret un peu au bout du rouleau, dont l’enthousiasme s’est émoussé. D’un coup, il retrouve la lumière et de l’intérêt pour cette affaire, cette fille de 18 ans lardée de coups de couteau et dont personne ne sait qui elle est. Se pencher sur son sort, essayer de comprendre qui elle était, c’est vertigineux. Nous avons écrit ce film en toute liberté. Lorsque nous l’avons fait lire à John Simenon, qui est le gardien du temple, son retour a été rapide, nous affirmant : "Mon père aurait adoré les libertés que vous avez prises."

Gérard Depardieu dans le film Maigret et la jeune morte.
Depuis ses premiers films dans les années1970, Patrice Leconte a tourné avec les plus grands. Avec cette adaptation d’un roman de Simenon, il dirige Gérard Depardieu pour la première fois. © Pascal Chantier

Quel est votre grand Simenon ?

Les Volets verts est magistral. Je pense aussi à La Fuite de Monsieur Monde et Le Fond de la bouteille. Je suis loin d’avoir encore tout lu (rires). Et je ne sais pas comment il a pu écrire tout cela en une seule vie. Ceux qui ont vu ses manuscrits témoignent de son écriture très serrée et sans rature. C’est comme s’il avait pensé au roman pendant des jours et qu’il ne lui restait plus qu’à le mettre au propre.

Avec quel roman l’avez-vous découvert ?

Je me souviens juste que c’étaient des Maigret que ma grand­-mère maternelle lisait beaucoup. Même lorsque ce n’est pas un grand Simenon, cela n’est jamais décevant. Le plaisir de lecteur est toujours là. Découvrir un de ses romans, c’est comme se caler dans un fauteuil – pas forcément avec une pipe – et découvrir une chose qui va nous surprendre, nous toucher, nous émouvoir. Nous retrouvons ce bonheur des histoires qu’on nous racontait enfants.

Monsieur Hire était déjà une adaptation d’un roman de Simenon...

À l’époque, j’avais vu Panique, l’adaptation des Fiançailles de monsieur Hire par Julien Duvivier, que j’aime beaucoup. Cela n’avait pas de sens de vouloir adapter à mon tour ce film. Je n’avais pas lu le générique et j’ignorais qu’il s’agissait d’un roman de Georges Simenon. Quand mon producteur d’alors, Philippe Carcassonne, me l’a révélé, j’ai eu aussitôt envie de me lancer.

Ce nouveau Maigret résonne comme un double hommage à Simenon et à Depardieu. 

Ce n’est pas délibéré, mais il se trouve qu’entre les lignes, il recèle en effet un portrait intime de Gérard Depardieu. Des choses y font surface, ayant à voir avec l’intime des deux hommes. La superposition entre ce commissaire revenu de beaucoup de choses et lui était assez idéale. On dit beaucoup de choses idiotes sur Depardieu. Ce n’est pas par envie de gagner de l’argent qu’il tourne, c’est juste qu’il adore jouer. C’est un homme plutôt solitaire, qui lit beaucoup. Pendant le tournage, je l’appelais le week-end pour savoir comment il allait. Il me répondait : “Ça ne va pas, je m’ennuie, vivement demain.” (rires)

On ne peut s’empêcher de songer aux résonances mêmes du thème du film, le drame de cette jeune fille morte...

Elle pourrait être la fille disparue de Simenon, celle du commissaire Maigret ou celle du roman. Mais pas seulement. Car lorsque Kaplan, le personnage interprété par André Wilms, dit à Maigret : “Quand on perd son enfant, on perd tout, il ne reste plus rien, que la nuit”, Depardieu lui répond : “Je sais, monsieur Kaplan, je sais...” 

Ce rendez-vous entre Depardieu et vous est assez tardif. Aurait-il pu avoir lieu plus tôt ?

Oui peut-être. Mais quand vous aimez un acteur, il ne faut pas se forcer à tout prix à inventer un projet pour tourner ensemble. Avec Depardieu, j’ai bien fait d’attendre. Travailler sur ce film a été tellement harmonieux. Maintenant, il faut qu’on en fasse un autre.

Depardieu, Delon, Belmondo, Marielle, Rochefort, Noiret, mais aussi Johnny Hallyday... Vous reconnaissez-vous un côté dompteur de fauves ?

Non, pas du tout, car cela signifierait que ce sont des bêtes et que je vais les mater. Vous ne pou-vez pas imaginer le bonheur de travailler avec de grands acteurs. Cela vous remplit d’une satisfaction inouïe. Filmer Depardieu, c’est formidable. Lorsque l’on dit moteur et qu’on voit ce qu’il donne... Ce qui m’a le plus subjugué chez lui est son extrême douceur. Il n’y a rien de plus bouleversant que cette masse humaine si imposante associée à la douceur de sa voix et de son regard.

Maigret, de Patrice Leconte, en salles le 23 février 2022. 

 

LES VISAGES DU COMMISSAIRE

"Maigret se campa, large et pesant, les deux mains dans les poches, la pipe au coin de la bouche..." Si la description du commissaire dans Pietr-le-Letton, le premier roman de la série publié en 1931, est vague, le personnage inspire immédiatement les cinéastes. En 1932, Pierre Renoir ouvre le bal dans La Nuit du carrefour, sous la caméra de son frère Jean, ami de l’écrivain. Suivent ensuite, Harry Baur, star de l’entre-deux-guerres, Charles Laughton, outre-Atlantique, ou encore Gino Cervi, Peppone dans Don Camillo, qui l’interprète de 1964 à 1972 pour la télé italienne. En France, Jean Gabin s’impose par trois fois sur le grand écran, et Jean Richard, quatre-vingt-huit fois sur le petit. 

Bruno Cremer dans le rôle de Maigret en 1994.
Bruno Cremer dans le rôle de Maigret en 1994. : l'acteur incarna le célèbre commissaire de 1991 à 2005 à la télévision. © PVDE / Bridgeman Images

"Les premiers Maigret en noir et blanc n’étaient pas si mauvais. Ensuite, Jean Richard a eu un accident avec de graves séquelles. Il mémorisait difficilement son texte", nous expliquait John Simenon, le fils de l’auteur. De 1991 à 2005, Bruno Cremer tourne cinquante-quatre épisodes en décors d’époque. Voix posée et présence pesante, l’acteur s’impose pour une génération. Avec Gérard Depardieu, le commissaire est de retour au cinéma, la rencontre de deux monstres sacrés.

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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