Le timbre sonne dans une singulière clarté, onze coups aigus pour les heures et cinq plus graves pour les minutes. Dehors, le soleil d’avril parvient enfin à dissiper la brume qui s’était emparée de la lagune de Venise. "Imaginez à quel point se concentre le génie humain, dans le cadran de 34 millimètres de cette montre à répétition minute, un mécanisme inventé dès le XVIIIe siècle afin de savoir l’heure dans le noir", se félicite Christian Selmoni, directeur du style et du patrimoine de Vacheron Constantin.
La plus ancienne manufacture horlogère du monde, sans interruption de son activité depuis 1755, participe à la seconde édition d’Homo Faber. Cette biennale d’artisanat d’art est organisée par la fondation Michelangelo, derrière laquelle on trouve deux férus de savoir-faire : Johann Rupert, président fondateur du groupe Richemont, et Franco Cologni, président de la Fondation de la haute horlogerie. Situation sanitaire oblige, il a fallu patienter un peu pour découvrir les quinze expositions de cette édition, mais le jeu en vaut la chandelle.

Comme la vingtaine d’autres manufactures présentes, Vacheron Constantin a délégué à Venise quatre de ses artisans. Horloger, sertisseur, graveur, émailleur, les hommes de l’art se sont relayés dans l’atelier reconstitué au sein de l’ancienne école navale de l’île San Giorgio. "Ils illustrent la spécificité de notre maison qui produit ses montres de A à Z. En maîtrisant d’une part la subtilité des complications, autrement dit la transcription mécanique de l’astronomie ; et en ajoutant d’autre part la touche "métiers d’art", puisque quatre d’entre eux font partie de nos effectifs au sein de notre département Les Cabinotiers, capable d’exécuter les commandes de pièces uniques les plus extravagantes", ajoute Christian Selmoni.

Quasi jumelles, les deux montres conçues pour Homo Faber en sont la preuve éclatante avec leur cadran émaillé des motifs des dieux du vent et du tonnerre, repris d’un panneau du musée national de Kyoto. Sans oublier leur mouvement 1731 et la fameuse "répétition minute". Esprit créatif en alerte, Christian Selmoni en a profité pour découvrir les quatorze autres expositions d’Homo Faber, avec une mention spéciale pour Next of Europe, fantastique cabinet de curiosités, "maillage parfait entre sensibilités artistiques, savoir-faire de haut vol et questionnements sur la société".
Union européenne

Ne copier personne, œuvrer de ses mains et pratiquer un savoir-faire exceptionnel... Tels sont les critères qui ont guidé le choix du galeriste belgo-italien Jean Blanchaert, commissaire de l’exposition Next of Europe. Disposés dans un vaste et blanc cabinet de curiosités, cent cinquante chefs-d’œuvre de précision et de poésie se sont laissé découvrir en toute simplicité. Couleurs, formes, virtuosité, pas un objet ne ressemble à l’autre et, bonne nouvelle, les Français se sont montrés vraiment à leur avantage à ce stimulant exercice de style.
Magna Carta
"Vos papiers !", pourrait-on s’exclamer en découvrant la salle Messina du cloître de San Giorgio. Ou comment, à partir du matériau le plus modeste que l’on puisse trouver, inventé peu après le début de notre ère, produire une foule d’émotions artistiques inattendues. Découpé avec une précision d’orfèvre, plié, collé ou superposé en d’infinies combinaisons, le papier se décline en une palette immense et fourmillante, à l’image du Ghost coral de l’Anglais Rogan Brown, qui s’inspire de documents scientifiques pour recréer ses mondes sous-marins. Ou plus intrigante avec Il Borgo du Milanais Daniele Papuli, qui associe carton et bois en une maquette de ville imaginaire. Sans oublier bien sûr les origamis, ces pliages japonais à l’expressivité stupéfiante, déclinés ici en sauterelles ou en samouraïs plus vrais que nature.

L’art des bouquets
À Venise, ou plutôt à Murano, juste à côté, le verrier Venini produit depuis cent un ans les objets les plus modernes de la place Saint-Marc et au-delà. Pour Homo Faber, il a proposé à dix fleuristes de fabriquer le vase de leurs rêves. À eux d’y placer la composition idéale, à l’image de celle de l’Anglaise Philippa Craddock, qui officia à Windsor lors du mariage de Harry et Meghan, ou de la Belge Emily Avenson, dont le bouquet échevelé renoue avec l’art des vanités de la peinture hollandaise.

Trésors du Japon
Créé juste après la guerre dans un Japon en ruine, le statut de trésor national vivant a permis la sauvegarde des meilleurs artisans de l’archipel et de leur art. Douze d’entre eux auraient dû être présents à Venise, mais n’ont finalement pas pu faire le voyage. Leurs travaux parlent pour eux, exposés dans le réfectoire du monastère de San Giorgio, dû à l’architecte Andrea Palladio, sous une reproduction des Noces de Cana de Véronèse, dont l’original est au Louvre. Kimonos teints selon des procédés secrets, prouesses de vannerie, tissages, poupée sculptée dans le bois et habillée de papier, sous une apparente simplicité, la prouesse du geste affleure sans jamais pavaner.

Porcelaine virtuose
Longue salle bordée d’étagères grillagées renfermant 15000 ouvrages, la bibliothèque de Longhena, du monastère de San Giorgio, accueillait une ode à la délicate porcelaine, interprétée de façon contemporaine par les grandes manufactures européennes et japonaises. À elles de démontrer le fourmillement créatif qui les anime, plusieurs siècles, pour certaines, après leur création. Que l’on se rassure, il est bien là, jusqu’à des prouesses techniques que l’on peine à comprendre. Mention spéciale à la série de compositions de l’Américaine Chris Antemann pour la manufacture allemande de Meissen, qui revisite de façon coquine les scènes...
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