Une route et une voie de chemin de fer croisent une mer de vignes étendue sur la montagne de Reims, formant un étrange paysage dénué de toute habitation. Émergeant de cette immensité dévolue au meilleur du champagne, trois troncs de chêne armés de bras de pin et coiffés de sarments de vigne.

Réalisés par l’artiste Nils Udo, ces "Habitats", des nids campés au cœur du vignoble de Taissy – propriété historique de la maison Ruinart couvrant 40 hectares classés Premier Cru et plantés majoritairement de chardonnay et de meunier – ressemblent à des mâts de naufragés appelés à grimper pour échapper à la marée montante. Des mâts de détresse de la biodiversité, perdus dans un espace infini de monoculture intensive.
Nils Udo distingue son travail de celui des land artists
Bâties pour soutenir l’engagement de la maison de champagne dans son programme de développement durable, ces installations aériennes sonnent comme des manifestes artistiques, mais pas seulement. Elles sont aussi une invitation à nicher pour les petits habitants anonymes et discrets qui peuplent les campagnes et travaillent au bien de tous, oiseaux, écureuils, abeilles, chenilles, papillons et autres coccinelles.

Leur présence souhaitée dans le vignoble est au cœur de la réflexion de la maison Ruinart, qui vise à créer des corridors écologiques au sein des grandes parcelles unitaires pour retrouver une taille bocagère et ramener la vie. Ainsi, des vignes ont été arrachées sur trois rangs au profit de haies piquées de charmes, d’aubépines, de cornouillers, de hêtres, de saules marsault, de sorbiers, de fusains.

"J’ai répondu à l’invitation de la maison de champagne et me suis impliqué dans son programme avec ma propre démarche qui consiste à être dans et avec la nature. 'Habitats' est ma contribution à cet engagement" relate Nils Udo, qui puise son inspiration au gré de ses rencontres végétales. Ainsi, les troncs de chêne qui forment l’armature de ces sculptures monumentales proviennent d’opérations d’entretien des forêts champenoises environnantes, tandis que les branches de pin, disposées en éventail sur la cime, proviennent de travaux de régénération de la forêt de Montbré, qui veille sur le vignoble.

Les ceps et sarments qui garnissent les nids proviennent quant à eux des rangs de vigne supprimés. Ancrés à 1,50 mètre dans le sol, ces habitats ne comportent ni clous ni fixations métalliques. "Je ne suis pas un land artist. Je n’aime pas ce terme. Les land artists usent de métal, de béton armé. Moi, je réorganise la nature. Mieux, mon œuvre est la nature elle-même", précise l’artiste qui intervient pour la première fois dans un espace de monoculture.
"Mon travail est un prétexte pour ouvrir les yeux et les cœurs à la nature"
"Je n’avais aucune idée préconçue. Je me suis trouvé devant un paysage un peu raide, plié aux contraintes d’espace très précises de 4,5 mètres de large et 3 mètres de haut qu’imposait le passage d’engins agricoles. Je suis ici au service de la biodiversité. J’ai voulu que ma création soit un abri pour la faune locale, une sorte d’écosystème artistique. Je crée des nids. Des lieux de naissance", souligne-t-il encore.
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Rien n’est laissé au hasard. Les poteaux creusés à 1,50 mètre dans le sol ont été percés de petits trous à hauteur de vol d’insectes (entre 50 cm et 1,50 mètre du sol) pour faciliter leur venue tandis que leur diamètre et leur profondeur dépendaient des pratiques des coléoptères. Véritables asiles pour abeilles solitaires, ces petits habitats présentent des faîtages garnis de sarments de vigne qui attendent d’autres locataires ailés. Que passent les cigognes, les linottes mélodieuses, les chardonnerets élégants, les alouettes des champs, les mésanges bleues et même les rapaces...

Ces immenses nids offrent magistralement leurs branchages en éventail à tout habitant qui les désire et redonnent au lieu une véritable dimension poétique. "Mon travail est un prétexte pour ouvrir les yeux et les cœurs à la nature. Point de départ de mon œuvre, elle m’accueille et m’inspire. Je travaille avec elle en l’aidant dans son autoreprésentation. Ce serait formidable si ce message pouvait ouvrir les yeux à la réalité de la nature, toucher d’autres agriculteurs. Si l’on pouvait créer des couloirs écologiques dans les champs de maïs qui ont vidé le paysage en s’étendant à l’horizon. 'Habitats' reste un travail à part. C’est un repère dans l’espace. Une sorte de signal. Un manifeste. Une invitation à la vie."

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