Marie-Victoire Poliakoff et Sacha Floch Poliakoff : "Nous sommes en couleur !"

La première soutient depuis plus de trente ans des artistes émergents dans sa galerie de la rue de Seine. Sa fille est la seconde, qui expose à la galerie Clavé Fine Art une série d’œuvres peintes. Toutes deux veillent aussi sur la mémoire de leur aïeul Serge Poliakoff. Interview croisée d’un solide duo, pour qui comptent surtout les racines et les rêves.

Par Marie-Eudes Lauriot Prévost - 14 janvier 2023, 14h30

 Le petit chien Molly n’est jamais loin de Marie-Victoire et Sacha, même lorsque celle-ci est à sa table de travail. Au fond, elle conserve une grande toile peinte en 2020 pour son diplôme des Beaux-Arts de Paris.
Le petit chien Molly n’est jamais loin de Marie-Victoire et Sacha, même lorsque celle-ci est à sa table de travail. Au fond, elle conserve une grande toile peinte en 2020 pour son diplôme des Beaux-Arts de Paris. © Christel Jeanne / ADAGP, PARIS, 2023

Cette première exposition de Sacha se tient en terrain neutre… 

Marie-Victoire Poliakoff : Parlons plutôt d’une première exposition personnelle, depuis son diplôme des Beaux-Arts. J’aurais rêvé de l’organiser, mais je me le suis interdit. J’ai parfois payé cher le fait d’être la petite-fille de Poliakoff et je sais à quel point le monde de l’art contemporain peut être dur. Tant mieux pour Sacha, qui est exposée chez Clavé Fine Art, la galerie d’Antoine Clavé, en collaboration avec Millenn’Art, société de conseils en achat d’art fondée par Annabelle Cohen-Boulakia. Tous les trois ont moins de 30 ans et se connaissent depuis la maternelle. Ils ont grandi dans le monde de l’art : Antoine est l’arrière-petit-fils de l’artiste Antoni Clavé et Annabelle est fille et petite-fille de galeristes. Ils se lancent avec sincérité. 

Sacha Floch Poliakoff : Moi aussi je me le suis interdit, car je dois faire mes preuves. Avec Antoine et Annabelle, nous nous connaissons depuis toujours. Cela fait trois ans que nous travaillons chacun de notre côté et nous voilà réunis pour l’exposition. Dans un texte du catalogue, Annabelle a repris un extrait des Illusions perdues de Balzac : "Ce qui rend les amitiés indissolubles et double leur charme, est un sentiment qui manque à l’amour, la certitude." Tout est dit.

À la galerie Clavé Fine Art, Sacha met la dernière main à l’accrochage de ses œuvres en compagnie d’Annabelle Cohen-Boulakia et Antoine Clavé. Tous les trois ont grandi dans le monde de l’art et se connaissent depuis la maternelle.
À la galerie Clavé Fine Art, Sacha met la dernière main à l’accrochage de ses œuvres en compagnie d’Annabelle Cohen-Boulakia et Antoine Clavé. Tous les trois ont grandi dans le monde de l’art et se connaissent depuis la maternelle. © Christel Jeanne

Sacha, à quand remonte votre vocation d’artiste ? 

J’ai toujours été la petite fille qui dessinait, en classe et à la maison où je regardais mon père travailler [l’illustrateur Floc’h, ndlr]. Il ne m’a jamais appris, à part deux trois petites choses comme des jeux. Dans ma famille, on dit : "Regarde!" J’ai grandi comme ça. 

Depuis quelques années, vous êtes aussi sollicitée comme illustratrice… 

S. F. P. Oui, et j’y tiens beaucoup. Les deux voies s’enrichissent l’une l’autre. Être artiste me permet plus de liberté dans mon travail d’illustration. Je jongle d’un univers à l’autre et les deux sont indissociables.

Parallèlement à sa vie d’artiste, Sacha Floch Poliakoff travaille aussi comme illustratrice et s’est chargée de dessiner l’invitation à l’exposition.
Parallèlement à sa vie d’artiste, Sacha Floch Poliakoff travaille aussi comme illustratrice et s’est chargée de dessiner l’invitation à l’exposition. © Christel Jeanne

D’où viennent vos inspirations ? 

S. F. P. Toutes sont des références à l’histoire de l’art et à mon histoire familiale. Cela va de la représentation du cavalier saint Georges aux images d’Épinal, du tartan aux objets de toute sorte. À mes yeux, ce sont des marqueurs qui permettent de fixer des moments de vie, de retracer un voyage dans le temps, le mien et celui de mes proches. J’accumule des images, je les retravaille, je les combine pour créer une scène que je rêve de voir, ou une forme d’autoportrait. Je suis aussi passionnée par le passé de ma famille tout en étant profondément dans le présent. D’ailleurs, je suis heureuse de vivre aujourd’hui, je ne suis pas une grosse brute et n’ai pas peur du kitsch. J’ai grandi dans cet univers russe et anglais assez chargé, qui est pour moi très rock’n’roll. 

M. V. P. Il me semble qu’une partie de l’inspiration de Sacha vient de ce melting-pot familial plein de style. Ça vous donne des ailes. Quand Sacha parle de Poliakoff, j’ai l’impression qu’elle le connaît encore mieux que moi. Nous avons un lien fort, qui tient peut-être aux difficultés que mes ancêtres ont pu connaître. Ce qui donne cette sensation que la vie est magique et précieuse. On ne pratique que l’amour absolu chez les Poliakoff.

Marie-Victoire Poliakoff et Sacha Floch Poliakoff, duo mère-fille artistique.
La couleur coule dans les veines de Marie-Victoire Poliakoff et Sacha Floch Poliakoff. © Christel Jeanne

Porter ce nom n’est pas anodin… 

M. V. P. Poliakoff est vu par certains comme un artiste officiel des années 1950 et 1960. Mais c’est un homme qui est parti de Russie en 1917, les mains dans les poches, sans rien. Il est arrivé à Constantinople et a gagné sa vie en jouant de la guitare. Il a rencontré à Paris sa femme, à la fois écossaise, galloise et irlandaise, qui elle aussi avait tout perdu. Ils se sont soutenus. Et puis un jour, il a eu le succès. Être gardien de ce nom, c’est une tâche quotidienne, répondre aux demandes de certificats, faire vivre son œuvre. 

S. F. P. Il est très présent au quotidien. Nous l’appelons Daddy, comme une aura au-dessus de nous. Bien sûr, je ne l’ai jamais connu, mais j’ai grandi au milieu de ses peintures. Plus tard, je suis rentrée dans le comité Poliakoff. Je fais la dactylo pour mon grand-père qui en est le président. J’ai mon travail d’artiste, mais je sais que l’autre partie de ma vie sera consacrée à son œuvre.

M. V. P. C’est devenu aussi un art de vivre à la slave que j’aime cultiver. Poliakoff disait : "Physiquement, je suis russe, spirituellement, je suis peintre français." J’ai eu besoin de retrouver l’esprit de ses origines, la musique tzigane, les joyeux dîners de vernissage. 

Marie-Victoire dans l’atelier de son grand-père, Serge Poliakoff.
Marie-Victoire dans l’atelier de son grand-père, Serge Poliakoff. © Alexis Poliakoff

Petite fille choyée, vous auriez pu rester oisive… 

S. F. P. Non, pourquoi ? Je n’ai jamais été rebelle. J’ai tout de suite compris que j’avais beaucoup de chance. 

Aujourd’hui, trois générations de la famille Poliakoff vivent de façon proche… 

M. V. P. Oui, nous nous aimons, car nous savons à quel point la vie est précieuse. Bien sûr, on s’engueule parfois, ça virevolte car nous sommes animés par la passion de la vie et de l’art. Nous sommes en couleur ! Sacha reçoit beaucoup de ses grands-parents. Mon père Alexis, artiste et créateur des figurines Pixi, lui a appris tant de choses.

Jusqu’à la disparition de son grand-père en 1969, Marie-Victoire l’a accompagné partout et garde de lui le souvenir d’un homme merveilleux.
Jusqu’à la disparition de son grand-père en 1969, Marie-Victoire l’a accompagné partout et garde de lui le souvenir d’un homme merveilleux. © Alexis Poliakoff

These are a few of my favorite things… Qu’est ce qui se cache derrière le titre de l’exposition ? 

S. F. P. L’écrivain Adrian Dannatt, qui a écrit le texte du catalogue, a trouvé ce titre qui en exprime si bien l’esprit. Il rappelle un extrait de La Mélodie du bonheur chanté par Julie Andrews et résume bien mon travail : "Quelques-unes des choses que je préfère", comme une sorte d’inventaire affectif. J’investis ce lieu sublime qu’est la galerie Clavé Fine Art en montrant une vingtaine d’œuvres peintes, certaines sur papier, des objets découpés et deux grandes toiles pour sortir de mon confort. J’en profite !

Comme chez Poliakoff, la couleur est là… 

S. F. P. Bien sûr, elle est presque toujours présente, à l’instinct. Je ne cherche pas à ce que ma peinture soit joyeuse, mais le fait est qu’à la fin, elle l’est. À quoi servent les artistes ? Parfois à dénoncer, parfois à apporter de la joie. On peut militer juste en s’imposant. Et puis, toute œuvre considérée comme "jolie" cache souvent une gravité. 

These are a few of my favorite things, œuvres de Sacha Floch Poliakoff, à la galerie Clavé Fine Art, 10 bis, rue Roger, Paris XIVe, jusqu’au 28 janvier 2023.

www.clavefineart.com 

Silence violence, peintures de Marcel Marongiu à la Galerie Pixi – Marie-Victoire Poliakoff 95, rue de Seine, Paris VIe, jusqu'au 11 février 2023. 

www.galeriepiximarievictoirepoliakoff.com

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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