Visite privée dans les coulisses du centre de conservation du Louvre

Unique en France, ce nouveau lieu implanté dans le nord de la France accueille les collections non exposées du musée dans des conditions optimales. Fermé au public, il nous a ouvert ses portes le temps d’une visite guidée exceptionnelle en compagnie de sa jeune directrice déléguée, Marie-Lys Marguerite.

Par Léonor Lumineau - 06 janvier 2023, 06h21

 Marie-Lys Marguerite, conservateur du patrimoine, a pris la direction déléguée du Centre en 2021.
Marie-Lys Marguerite, conservateur du patrimoine, a pris la direction déléguée du Centre en 2021. © Stephane Dubromel / Hans Lucas pour Point de Vue

Sur la ligne d’horizon nuageuse, deux terrils noirs flanqués de petites maisons en briques rouges annoncent la couleur : Liévin, ancienne grande cité minière du Pas-de-Calais. C’est là que s’étend aujourd’hui un grand trapèze de béton aux allures de bunker du XXIe siècle. Pour entrer dans ce lieu très sécurisé de 18.500m2 imaginé par le cabinet d’architectes britannique Rogers Stirk Harbour & Partners, il faut montrer patte blanche. Car l’endroit abrite des trésors scientifiques : les collections nationales du musée du Louvre. Inauguré fin 2019, le Centre de conservation s’élève à l’extrémité du parc paysager du Louvre-Lens, ouvert il y a dix ans. Mais lui est bien moins connu.

Des oeuvres spoliées pendant la guerre confiées au musée

Pourtant, en plus d’être un espace de stockage à la pointe de la modernité, il est aussi un nouveau pôle de recherche majeur. "On peut avoir l’impression d’un endroit un peu retiré et vide, mais c’est tout le contraire, un lieu de vie et d’échanges extraordinaire qui nous connecte à d’autres temps et à d’autres cultures", s’enthousiasme Marie-Lys Marguerite, 41 ans, diplômée de l’École du Louvre et conservateur du patrimoine, née en Normandie, mais nordiste d’adoption.

Elle est arrivée à la tête du Centre de conservation de Liévin en mai 2021, après avoir dirigé plusieurs musées de la région. Un retour aux fondamentaux. "Le fait que nous arrivions à comprendre des civilisations passées en observant l’état d’un objet me passionne. C’est ce que je retrouve ici", se réjouit-elle en descendant les escaliers menant aux entrailles de béton, où règne un silence impressionnant.

"Le centre est un lieu de vie et d’échanges extraordinaire", se réjouit Marie-Lys Marguerite.
"Le centre est un lieu de vie et d’échanges extraordinaire", se réjouit Marie-Lys Marguerite. © Stephane Dubromel / Hans Lucas pour Point de Vue

Auparavant stockées à Paris dans les sous-sols du Louvre, ces collections ont longtemps donné des sueurs froides aux responsables du musée. "Menacés par les crues de la Seine, ces trésors historiques étaient en outre dispersés dans plusieurs locaux, avec un système de rangement parfois artisanal. Sans compter que le Louvre, sur plusieurs étages, n’est pas le lieu le plus adapté à la manipulation d’œuvres fragiles", explique la jeune directrice déléguée. Le déménagement s’imposait donc. Avec le projet du Centre de conservation, la contrainte de départ cède la place à une formidable opportunité.

Les œuvres plus petites sont entreposées dans des compactus, qui permettent d’optimiser la capacité de stockage, mais qui doivent être déplacés pour être ouverts.
Les œuvres plus petites sont entreposées dans des compactus, qui permettent d’optimiser la capacité de stockage, mais qui doivent être déplacés pour être ouverts. Les équipes travaillent donc à créer des systèmes de calages sécurisés et adaptés à chaque pièce. © Stephane Dubromel / Hans Lucas pour Point de Vue

À seulement une heure de la capitale, il accueillera à terme 250.000 œuvres. La majeure partie du transfert, celui des collections qui étaient en première ligne en cas d’inondation, est aujourd’hui achevée. Dans ce bâtiment de plain-pied aux volumes impressionnants, elles sont facilement déplaçables, donc étudiables, avec des espaces de traitement dédiés, en plus des réserves : emballage et déballage, studio photo, ateliers de restauration, salles de consultation. Un vrai lieu de travail au service de la connaissance et de la transmission aux générations futures.

Une vingtaine de salariés du Louvre travaillent chaque jour au sein du Centre de conservation, sans compter les confrères parisiens et les prestataires, comme les restaurateurs.
Une vingtaine de salariés du Louvre travaillent chaque jour au sein du Centre de conservation, sans compter les confrères parisiens et les prestataires, comme les restaurateurs. © Stephane Dubromel / Hans Lucas pour Point de Vue

Pour s’en rendre compte, il suffit de suivre Marie-Lys Marguerite derrière les immenses portes grises s’alignant autour du "boulevard des œuvres", le grand axe central du bâtiment. Dans l’atelier A11 – 320 m2 au sol –, de grands tapis orientaux ont pris place. Spoliés par les nazis à des familles juives durant la Seconde Guerre mondiale, ils ont été confiés au musée. "C’est la première fois que nous les déroulons pour les observer, avant nous n’avions pas la place", se réjouit Marie-Cécile Bardoz, documentaliste scientifique au département des objets d’art. "Nous pouvons constater leur état, les dépoussiérer, proposer une petite restauration, mais aussi chercher des indices – étiquette, technique utilisée, nombre de fils et nature de ceux-ci, iconographie – pour essayer d’identifier leur provenance et leur âge, mais aussi à qui ils pouvaient appartenir, un peu comme dans une enquête policière", commente Montaine Bongrand, restauratrice de textile indépendante.

"C’est la haute couture de la conservation"

"Le déménagement est l’occasion de poser un nouveau regard sur toutes les œuvres", abonde Marie-Lys Marguerite. La statue de la déesse Narundi (dynastie d’Awan, – 2120 à –2100 avant J.-C.), amputée pendant de longues décennies, a ainsi récupéré son épaule, retrouvée lors du transfert. Dans la réserve R5, Roberta Cortopassi, conservateur au département des antiquités égyptiennes du Louvre et son équipe de restaurateurs travaillent sur des tuniques brodées de l’époque byzantine. "Jusqu’à présent, elles étaient montrées sur ces grands mannequins à l’ancienne, bras écartés, tendues, alors qu’à l’époque, elles retombaient en drapé sur le corps. Nous réfléchissons donc à les présenter au public sur un plan incliné et rembourrées, pour être plus proche du réel", explique-t-elle.

Une plaque d’armure en acier damasquiné originaire d’Iran est conservée sur un petit matelas adapté à sa forme.
Une plaque d’armure en acier damasquiné originaire d’Iran est conservée sur un petit matelas adapté à sa forme. © Stephane Dubromel / Hans Lucas pour Point de Vue

L’ordonnancement a été repensé pour remplir une autre mission du Centre de conservation, "transmettre ces œuvres aux générations futures dans le meilleur état possible", souligne Marie-Lys Marguerite. Le rangement, la signalétique et la classification sont inspirés de la logistique industrielle. Exemple avec la réserve R1, "l’antre des grosses structures en pierre". Sarcophage, chapiteaux, ou encore statue de l’époque romaine s’alignent sur d’immenses étagères en métal sous un plafond à huit mètres de haut. Chaque pièce est protégée par un carcan sur mesure en bois et posée sur palette pour être déplaçable par des caristes. Dans cette pièce sans fenêtre, la lumière ne s’allume que dans la partie nécessaire, la température est maintenue à 20 degrés, l’hygrométrie à 50 %. Chaque œuvre porte une étiquette avec matricule et code-barres de suivi.

La Réserve 1, la plus haute des six réserves du bâtiment avec huit mètres sous plafond, a été conçue pour héberger les pièces les plus imposantes.
La Réserve 1, la plus haute des six réserves du bâtiment avec huit mètres sous plafond, a été conçue pour héberger les pièces les plus imposantes, comme ce groupe romain représentant Mars et Vénus. Sa caisse de transport a été minutieusement conçue sur mesure, et dotée de ressorts (en jaune). © Stephane Dubromel / Hans Lucas pour Point de Vue

Dans la réserve voisine, plus petite, le rangement bat son plein. Après le déménagement, s’ouvre un nouveau chantier : le calage. "Nous imaginons des systèmes de plateaux et de renforts pour que les objets soient les plus stables possible sur les étagères et dans les tiroirs, mais aussi facilement accessibles et visibles pour l’étude", explique Mathilde Debellé, régisseur d’œuvres au département des arts de l’Islam au Louvre. L’équipe dispose de toute une gamme de matériaux – rouleau de ouate et machine à coudre, plateau en polypropylène, mousse, ruban, etc. "C’est la haute couture de la conservation", sourit-elle en dévoilant un tiroir rempli d’éléments de narguilé précieux, maintenus par des cales personnalisées découpées dans de la mousse, de petits matelas cousus main à leur taille, ou fixés sur des plateaux.

Dans une autre réserve, des restauratrices du département étudient des tuniques de l’époque byzantine afin de déterminer la meilleure option de restauration possible.
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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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