Comment le sujet Histoires naturelles s’est-il imposé à vous ?
Lorsque Guillaume Piens, commissaire général d’Art Paris Art Fair, m’a demandé de chercher une thématique, il y avait alors à Paris une série d’expositions explorant la nature sous toutes ses formes : Georgia O’Keeffe au Centre Pompidou, Damien Hirst à la Fondation Cartier, Penone à la BnF et David Hockney au musée de l’Orangerie. Ce fut le déclic d’autant plus que je lisais à ce moment-là Apprendre à voir. Le point de vue du vivant (Actes Sud), un essai très original écrit par l’historienne de l’art, Estelle Zhong Mengual, abordant cette question.

La nature a toujours passionné les artistes comme l’atteste actuellement l’exposition Le Décor impressionniste à l’Orangerie…
Certainement. Mais la représentation du paysage et de la botanique était "encadrée", si je puis dire, par des contraintes et des règles esthétiques. J’ai l’impression que les artistes d’aujourd’hui se sont affranchis de tous ces codes. Leurs approches se veulent plus personnelles, avec évidemment pour certains des résonances environnementales ou sociétales. D’autres ne cherchent pas, de prime abord, cette implication politique. Ils s’aventurent dans l’onirisme, la quête d’identité. À travers la nature, tous parlent d’eux-mêmes, de leurs sentiments, de leur intimité. Et finalement, de nous…

Votre sélection ne semble pas avoir un caractère purement militant…
Elle n’est ni un manifeste écologique, pas plus qu’un manuel scientifique. Je reconnais que la notion esthétique a prévalu. Art Paris a d’ailleurs confié une autre sélection intitulée Art et environnement à Alice Audouin. La vingtaine d'artistes que j’ai retenus privilégie la forme, la couleur, la représentation des sentiments. J’ai aussi voulu mêler les générations, celle disparue d’Etel Adnan et Gilles Aillaud, à la nouvelle scène française incarnée par des plasticiens que je connaissais peu comme Justin Weiler ou Hugo Deverchère, tous deux âgés d’une trentaine d’années.

Dans l’intitulé Histoires naturelles, comment faut-il comprendre le pluriel ?
Au-delà du thème collectif ou l’indéniable qualité picturale de toutes les œuvres, chaque artiste a un parcours singulier, des obsessions personnelles, un choix radical de matériaux. Gilles Aillaud a ainsi longtemps travaillé, avec un réalisme étrange, sur l’enfermement animal dans les zoos. Carole Benzaken, qui s’est fait connaître avec des tulipes réalisées avec des catalogues de ventes de fleurs, revient aujourd’hui avec une magnifique série d’images superposées de magnolias. Philippe Cognée frôle l’abstraction avec des scènes brouillées et broussailleuses de forêts. Johan Creten utilise la fragilité de la céramique, Eva Jospin, elle, la pauvreté de la matière du carton.

La nature demeure-t-elle toujours un viatique ?
Elle aide à vivre, à supporter le quotidien, la solitude, la mélancolie. À l’image des portraits d’Edi Dubien où les animaux sont des êtres consolateurs, et même des plantes vertes de bureau magnifiées de Justin Weiler. Elle se moque aussi de nous. Voyez cette série pleine d’ironie de Barthélémy Toguo avec ces têtes mi-humaines, mi-animales. Ce peintre camerounais a été en résidence d’artistes à l’atelier Calder à Saché. Un village bien connu des balzaciens. Sous son pinceau, La Comédie humaine s’est transformée en The Animal Comedy.

Art Paris Art Fair, du 7 au 10 avril 2022, de 10h à 20h, au Grand Palais Éphémère, place Joffre, 75007 Paris.