C'était un privilège de le connaître et un bonheur de jouer sous sa direction. Ce fut mon cas, durant une autre vie. J’étais jeune alors et lorsque je le vis pour la première fois aux studios de Bry-sur-Marne, parmi les plus grands d’Europe, il mit une tendresse extrême, une absolue bienveillance à accueillir les comédiens en herbe que nous étions. Il eut ces mots : "Mais ce sont des enfants !"
Impressionnés, nous entourions des figures légendaires comme Lino Ventura ou Michel Bouquet. Le premier prêtait sa silhouette massive de bûcheron inspiré à Jean Valjean. Le second, tout en finesse retorse, incarnait Javert, l’implacable agent de la Sécurité. En 1981, Robert Hossein mettait en scène pour le cinéma Les Misérables et déjà ses producteurs s’arrachaient les cheveux face à son mépris total des délais, aux décors fastueusement reconstitués et ruineux, à la distribution de rêve et aux budgets dépassés.

Aux commandes, partout à la fois, ce démiurge, ce Russe émigré aux blessures jamais tout à fait refermées. Robert Hossein était hypocondriaque, exaspérant, adorable, charmeur et capricieux, mimant comment charger un fusil, embrasser une grisette, souffrir d’une blessure de baïonnette, prendre d’assaut une barricade en hurlant "Vive la République !" "Mourir, c’est atroce, car c’est pour toute la vie", déclarait avec son humour un peu mélancolique ce saltimbanque pudique.
Jeune homme, il rêve de théâtre
Le beau gosse du cinéma à l’œil de velours naît Abraham Hosseinoff, le 30 décembre 1927, sous le signe du Capricorne. Son père, voilà qui sent déjà la fatidique odeur des planches, est compositeur, zoroastrien et vient de Samarcande. Sa mère, Anna Mincovschi, celle qu’il a tant aimée, est juive et comédienne. Le couple a quitté la Russie communiste qui vient de basculer dans l’horreur. On se loge comme on peut, on mange rarement et mal. Pour l’heure, le petit se fait traiter de "sale Russkoff" par les titis parisiens et vagabonde de pension en pension dont les trimestres ne sont pas toujours réglés par ses parents fauchés.
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Il s’en moque ! Celui qui a décidé de s’appeler Robert Hossein s’embarque au pays des rêves, file chez René Simon et Tania Balachova, russe aussi, pour y apprendre le métier d’acteur. Tania remarque vite ce jeune gandin, féroce et sauvage, à la beauté d’un diable slave. Et puis, il y a les copains, la bande infatigable de Saint-Germain-des-Prés, Sartre, Greco, Boris Vian, Vadim et les jolies filles. Une, surtout, exquise, au corps de tanagra souple, blonde, aux yeux pervenche. Elle s’appelle Marina Vlady...
Robert bat la semelle sur les trottoirs parisiens, déjeune d’un café crème, s’improvise danseur mondain à la Madeleine pour dames seules et accepte leurs pourboires. Il court les auditions, se rêve en vedette internationale et se fait remarquer, dans Les Voyous, une pièce écrite par lui. Le jeune loup a 19 ans. Au-dessus des nuages, les anges veillent.
Une filmographie éclectique
Une rencontre va bouleverser sa vie et une amitié d’hommes naît, indéfectible. Il s’appelle Frédéric Dard et manie la langue française à la Rabelais. Robert, envoûté, monte alors une pièce de lui, une comédie, Du plomb pour ces demoiselles. Il vient de prendre goût à la mise en scène. Il déborde d’idées novatrices, souhaite bousculer le public, l’embrasser sur la bouche. À la russe ! Autre pièce, de lui encore, Responsabilité limitée. L’affiche est belle, s’y étalent les noms de Jean-Louis Trintignant et de Jean Rochefort. Succès ! En 1955, il réalise son premier film, Les salauds vont en enfer, inspiré toujours du même grand copain Dard.

Pourquoi le nier ! Il entre définitivement dans le cœur des Français et de bon nombre de spectateurs européens avec la série inoubliable des Angélique. Il est à jamais le séduisant, fringant, amoureux fou, Joffrey, comte de Peyrac, l’époux de l’indomptable Angélique-Michèle Mercier qui ne doit plus aujourd’hui retenir ses larmes.
Balafré et boiteux dans cette saga aux couleurs de friandises, il est pourtant devenu une star... Et puis, contre toute attente, Robert Hossein hurle "assez !" Il s’en va, claque la porte de Paris, direction Reims. Là, il prend la direction du Théâtre populaire. Son rêve, en faire justement, et convaincre le plus grand nombre que le théâtre vivant, c’est la vie vraie, sans filet, sans filtre, et que les trois coups portés à l’estomac sont indélébiles. Sous sa direction enflammée, les comédiens vont devoir mouiller leur chemise !
Alors Robert Hossein découvre d’autres talents, les respire dans les sourires timides d’une Isabelle Adjani ou sous la pâleur un peu froide d’Isabelle Huppert. S’y ajoutent Jacques Veber, blasonné par son prix du Conservatoire, les rondeurs d’un Jacques Villeret, la courtoisie glacée de Jean-François Balmer. Ils seront ses élèves dans son école de théâtre et articulent avec passion les vers de Racine comme les répliques de Joe Orton.
Le public l’apprécie surtout pour ses spectacles immenses
Quand il ne travaille pas d’arrache-pied ses mises en scène, lorsqu’il ne pousse pas ses célébrissimes gueulantes, poussant ses acteurs à donner plus encore, à saigner leur texte, il joue lui-même au cinéma, plus de cent films sont à son actif. Robert Hossein aura tourné avec les plus grands noms, Gérard Oury, Roger Vadim, Luigi Magni, Claude Lelouch, Nadine Trintignant, et côtoyé d’autres stars, Jean Gabin, Brigitte Bardot, Emmanuelle Béart, Francis Huster, Jean Yanne, Roger Hanin, Sophie Marceau...

Mais le public l’apprécie surtout pour ses spectacles immenses où l’artiste donne sans compter la mesure de ses talents. Là, des dizaines et des dizaines de figurants, des comédiens, des effets spéciaux, pour que ça vibre, chante, bouge, émeuve dans le rire ou les larmes. À ses côtés, un historien, un ami, un complice, Alain Decaux. Et puis des noms sur des affiches immenses : Le Cuirassé Potemkine, Jules César, Notre-Dame de Paris, Danton et Robespierre – La liberté ou la mort, Je m’appelais Marie-Antoinette, dont il refait le jugement avec la complicité du public appelé à voter à la fin du spectacle, ce qui entraîne quelques surprises, n’est ce pas, chère Caroline Sihol ?
Et même Jésus était son nom, et puis Ben-Hur, au Stade de France, avec courses de chars garanties et spectateurs debout en transe ! Certes, il perd un certain milieu, s’attire le mépris des snobs, et s’en balance comme de sa première réplique. Celui qui crie ne pas travailler pour une élite se satisfait des applaudissements de son seul maître : le public. Il assume également la direction du théâtre Marigny, dans les années 1980, et nul n’a oublié entre autres, le magique spectacle Kean avec un flamboyant Jean-Paul Belmondo, d’après Dumas.
Les femmes de sa vie
Et puis les femmes, bien sûr. Car Robert Hossein les aime comme il aime la vie. À la folie ! Il y eut Marina Vlady, la plus que divine, elle a 16 ans, lui 27. Deux fils naissent de ces amours passionnelles, Igor et Pierre. Il y eut Caroline Eliacheff et la presse crie au scandale. La fille de Françoise Giroud n’a que 15 ans et Robert l’épouse le 7 juin 1962, avec l’entier consentement de Françoise. Nicolas naît, ce qui n’empêche pas, après, le couple de se briser.

Enfin, Robert Hossein trouve l’apaisement avec la comédienne Candice Patou, qui lui donne un dernier fils, Julien. La mort, qui est une garce, a le talent de repérer ceux qui en ont peut-être plus que les autres. Robert Hossein s’est éteint quelques heures après son quatre-vingt-treizième anniversaire non loin de Vittel où il s’était retiré. Le rideau tombe sur une légende. Encore un mot. Sur une photo de lui en noir et blanc, il n’est pas impossible de le voir sourire encore. Simplement parce qu’il vous a aimé. Éperdument.
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