Le baron Benjamin de Rothschild, un destin foudroyé

Le fils unique d’Edmond et Nadine de Rothschild vient de mourir à 57 ans, emporté par une crise cardiaque. Il dirigeait depuis vingt-trois ans la banque franco-suisse créée par son père en 1953. Père de quatre filles, passionné de voile, de nature et de vins, ce personnage hors norme cultivait la discrétion autant que la fidélité en amitié.

Par Marie-Eudes Lauriot Prévost - 21 janvier 2021, 07h30

 Benjamin de Rothschild avec son épouse Ariane et leur fille aînée Noémie en 2014 lors du dîner du Conseil des grands crus classés en 1855, à Pauillac.
Benjamin de Rothschild avec son épouse Ariane et leur fille aînée Noémie en 2014 lors du dîner du Conseil des grands crus classés en 1855, à Pauillac. © Bertrand Rindoff Petroff/Getty Images

Vendredi 15 janvier 2021, quelques heureux élus découvrent un grand sac en arrivant chez eux. À l’intérieur, se trouve la carte de vœux signée de Benjamin et Ariane de Rothschild, accompagnée d’un pot de miel de fleurs récolté à la main au Domaine de Mandegris, en Seine-et-Marne, et des produits issus des terres de Château Clarke, dans le Bordelais. Ces présents portent le logo d’Edmond de Rothschild Heritage, un blason où figurent les cinq flèches de la famille Rothschild.

Personne ne se doute alors qu’au même moment, Benjamin de Rothschild vient de s’éteindre dans sa demeure du château de Pregny, près de Genève, victime d’une crise cardiaque. Le fils unique d’Edmond et Nadine de Rothschild avait 57 ans. Il laisse dans la tristesse son épouse Ariane, leurs quatre filles, Noémie, 25 ans, Alice, 21 ans, Eve, 20 ans et Olivia, 18 ans, et sa mère Nadine, 88 ans.

L'héritier de la dynastie Rothschild à la personnalité hors norme

Benjamin présidait jusqu’alors Edmond de Rothschild Holding, entité chapeautant l’ensemble des activités du groupe familial, dont la banque franco-suisse créée par son père en 1953, aujourd’hui dirigée par Ariane. Avec succès puisque, selon des chiffres publiés en 2019, le groupe Edmond de Rothschild gérait 160 milliards d’euros d’actifs, des fortunes privées, de l’immobilier et du conseil aux entreprises, employant 2600 personnes dans quinze pays.

Cela fait du couple la 22e fortune française selon le classement annuel du magazine Challenges, avec un capital estimé à 4,3 milliards d’euros. Et de Benjamin de Rothschild, le plus riche héritier de cette dynastie de la finance née au début du XIXe siècle à Francfort. Quand Mayer Amschel Rothschild, banquier de Guillaume Ier, électeur de Hesse-Cassel, décida d’envoyer ses cinq fils conquérir l’Europe pour ouvrir des filiales à Francfort, Vienne, Naples, Londres et Paris. 

Benjamin de Rothschild avec sa mère, la baronne Nadine, et son épouse, Ariane. © Julio PiattiBenjamin de Rothschild avec sa mère, la baronne Nadine, et son épouse, Ariane. © Julio Piatti

Ainsi s’achève la route d’un homme discret, décalé, aussi excessif qu’affectif, dont la personnalité hors norme a toujours détonné dans le monde feutré de la grande finance. Ils étaient peu nombreux à pouvoir percer le mystère de ce grand brun au regard bleu délavé, qui fuyait les mondanités comme la peste, sans jamais chercher à user d’une quelconque influence.

Volontiers provocateur, il avait même confessé avoir voté Arlette Laguiller, la patronne de Lutte ouvrière, lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2007. Fils adoré de Nadine, il n’a pourtant pas emboîté le pas joyeux et décomplexé de sa mère. "La baronne rentre à cinq heures", pour reprendre le titre de son autobiographie, est devenue, dans la finesse et la bonne humeur, l’arbitre des bonnes manières.

Ses bonheurs à lui se cachaient dans la province de Niassa, au Mozambique, où il possédait une chasse de centaines de milliers d’hectares, à la ferme des Trente Arpents en Seine-et-Marne, productrice de brie de Meaux AOP. Et bien sûr à Pregny, au nord de Genève, dans ce château néo-Louis XVI construit sur la rive ouest du lac Léman où il vivait en famille, collectionnant les œuvres de science-fiction du dessinateur Philippe Druillet, préservant le mieux possible ses quatre filles, lui qui savait mieux que quiconque la difficulté de porter aujourd’hui le nom de Rothschild.

Ariane, le pilier de la famille

Évoquer Benjamin, c’est bien sûr parler d’Ariane, son épouse, regard azur à l’unisson, pilier solide de la famille, rencontrée en 1994 lors d’un rendez-vous d’affaires.

Elle a 29 ans et travaille d’arrache-pied pour l’assureur AIG à Paris après avoir débuté à la Société Générale à New York. Père allemand, mère française, Ariane a l’aisance de ceux qui ont grandi de par le monde, surtout en Afrique, au gré des projets familiaux. Son sourire est magnifique, elle parle avec un léger accent, en choisissant ses mots, ce qui dégage d’elle une fragilité, qui n’est qu’apparente.

À 31 ans, le fils d’Edmond et Nadine est conquis. Ariane rencontre son futur beau-père à bord de Gitana VI, splendide voilier de 18 mètres ancré au large de Saint-Barthélemy. "J’étais très intimidée, Edmond de Rothschild avait la réputation d’être de l’ancienne école, confiait-elle il y a quelques années au magazine Vanity Fair. Mais le courant est passé car je me levais aux aurores, comme lui." 

Noémie, leur fille aînée, naît un an plus tard sans que le couple ait pris le temps de se marier. C’est chose faite en janvier 1999, dix-huit mois après la disparition du baron Edmond et quelques semaines avant la naissance d’Alice, leur deuxième fille. Puis viendront Eve et Olivia. Quatre filles dans une famille où, historiquement, seuls les hommes ont droit de cité dans les affaires.

Une rare photo de Benjamin et Ariane avec deux de leurs filles, Eve et Alice, lors de la soirée Dare to be Different, au Palais de Tokyo, le 14 septembre 2017, pour célébrer la marque Edmond de Rothschild Heritage. © Julio PiattiUne rare photo de Benjamin et Ariane avec deux de leurs filles, Eve et Alice, lors de la soirée Dare to be Different, au Palais de Tokyo, le 14 septembre 2017, pour célébrer la marque Edmond de Rothschild Heritage. © Julio Piatti

Ariane conduit son petit monde dans la voiture familiale tandis que Benjamin part en trombe au volant de sa Ferrari. Ils skient en Autriche sur des pistes difficiles, mais Ariane préfère celles plus douces de Megève, au-dessus du mont d’Arbois, où Noémie de Rothschild, la grand-mère de Benjamin, a créé l’une des premières stations de ski françaises en 1921.

Peu à peu, la jeune mère de famille obtient un bureau au siège genevois de la banque désormais dirigée par son mari. Elle reprend en main les fondations créées par son beau-père, puis entre au conseil de surveillance, et s’investit au point d’être nommée vice-présidente en 2009, puis présidente du comité exécutif en 2015 et enfin présidente du conseil d’administration en 2019, tandis que Benjamin dirige la holding Edmond de Rothschild.

Le groupe se diversifie. Dans le vin, notamment : au Château Clarke, un bordeaux appellation listrac-médoc acheté en 1973 par Edmond, viennent s’ajouter des vignobles en Afrique du Sud, en Argentine, en Nouvelle-Zélande et en Espagne. Dans l’hôtellerie également, puisqu’il vient d’investir à Megève dans la construction d’un palace des neiges confié en gestion au groupe Four Seasons.

Un homme de passions 

Le 10 janvier 2021, depuis le château de Pregny, Benjamin de Rothschild a souhaité bon vent par vidéo à Franck Cammas et Charles Caudrelier. Au large de l’île d’Ouessant, les deux marins et leurs quatre coéquipiers se sont alors élancés à bord de Gitana 17 pour tenter de battre le record du Trophée Jules-Verne, un tour du monde d’est en ouest sans escale ni assistance.

Benjamin aux côtés du marin Sébastien Josse, du prince Albert II de Monaco et de Pierre Casiraghi la veille du départ du Vendée Globe en 2016, et à la barre du Gitana 17, engagé aujourd’hui dans le Trophée Jules-Verne. © BestimagesBenjamin aux côtés du marin Sébastien Josse, du prince Albert II de Monaco et de Pierre Casiraghi la veille du départ du Vendée Globe en 2016, et à la barre du Gitana 17, engagé aujourd’hui dans le Trophée Jules-Verne. © Bestimages

Fidèles à leurs rêves les plus fous et à la tradition familiale du yachting, Benjamin et Ariane sont les armateurs de ce monstre des mers, un trimaran de 32 mètres de long sur 23 de large, capable de voler au-dessus des flots à plus de 40 nœuds. Dans sa grand-voile, Gitana 17 emporte les cinq flèches, symbole des Rothschild. Benjamin ne connaîtra jamais l’issue de cette course folle. Ses obsèques se sont déroulées en Suisse dans la plus stricte intimité familiale.

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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