À Auckland, le siège du Parti travailliste bouillonne. Les militants, galvanisés, acclament leur championne qui vient de rejoindre la scène sous un tonnerre d’applaudissements. Le visage illuminé par un immense sourire, Jacinda Ardern savoure ce moment historique. Les élections législatives, organisées quelques heures plus tôt ce 17 octobre 2020 en Nouvelle-Zélande, se sont soldées par une victoire à la majorité absolue de son parti.
En raflant 64 sièges sur 120 - le score le plus haut du Parti travailliste depuis cinquante ans -, la formation de gauche offre à sa leader star la possibilité de gouverner sans coalition. Une performance qui assoit encore un peu plus la légitimité de ce prodige politique devenue, à tout juste 40 ans, la cheffe de gouvernement la plus populaire depuis un siècle d’après un sondage publié en mai.
Un parfait dosage entre empathie et fermeté
Lorsqu’elle décroche le poste de Premier ministre en 2017, Jacinda Ardern a tout à prouver. Plus jeune femme à diriger le pays depuis 1856, elle suscite méfiance et interrogations chez ses compatriotes et adversaires qui la jugent trop gentille, trop fragile, pas assez expérimentée. Trois ans plus tard, elle a réussi à s’imposer, à fédérer au-delà de sa famille politique. Ses secrets? Un parfait dosage entre empathie et fermeté. Et surtout, un message de bienveillance et d’unité qui suscite l’adhésion d’une large majorité de ses concitoyens en ces temps agités. Dans son pays, comme à l’international, l’enthousiasme est tel qu’il a donné naissance à un mouvement de sympathie: la "Jacindamania".
La jeune femme cultive, en effet, un style bien à elle: moderne, décontracté, proche de la population. Durant la crise sanitaire, la dirigeante organise des séances de questions-réponses en direct sur Facebook au cours desquelles elle se montre aussi rassurante que transparente. Confrontée comme le reste du monde à la pandémie de Covid-19, la Nouvelle-Zélande a enregistré 25 décès sur cinq millions d’habitants. Sous l’impulsion de sa Première ministre, le pays ferme rapidement ses frontières et opte pour l’un des confinements les plus stricts de la planète. Résultat: le virus cesse de circuler en mai dans l’archipel océanien. Trois mois plus tard, un reconfinement d’Auckland, la plus grande ville du pays, permet de maîtriser une deuxième vague. Saluée à l’international, cette solide gestion de la crise s’est muée en un atout précieux pour Jacinda Ardern dans sa course à un second mandat.
"La Première ministre a réussi à faire de ce scrutin une élection centrée sur la Covid-19. Or, les Néo-Zélandais lui font confiance pour gérer les situations de crise, décrypte la politologue Lara Greaves dans les colonnes du Monde. Elle est très efficace pour analyser les faits, prendre les bonnes décisions, quitte à ce qu’elles soient difficiles, puis emporter l’adhésion de la population grâce à ses qualités de communicante".
Première ministre et maman
Fille d’un policier mormon et d’une cuisinière dans une cantine scolaire, Jacinda Ardern marque aussi les esprits avec des engagements forts. Comme en mars 2019 où elle décide d’interdire les armes semi-automatiques et les fusils d’assaut à la suite des attentats contre deux mosquées de la ville de Christchurch. Perpétrée par un suprémaciste blanc, cette attaque, la pire de l’histoire néo-zélandaise, fait 51 morts. Ce jour-là, le monde découvre une dirigeante à l’autorité naturelle, mais aussi une femme capable d’empathie et de compassion envers les victimes et leurs proches qu’elle enlace longuement. Sa réaction politique très vive et son leadership impressionnent. Ils sont le fruit de deux décennies d’engagement.
Entrée au Parti travailliste à 17 ans, Jacinda Ardern n’a à l’époque qu’une obsession: lutter contre la pauvreté qu’elle a trop souvent observée, enfant, dans sa ville de Murupara. Après l’obtention d’un diplôme en communication, elle décroche un poste au sein du cabinet de Helen Clark, alors Première ministre néo-zélandaise, puis dans celui de Tony Blair, chef du gouvernement britannique. De retour en Nouvelle-Zélande, la DJ amateur est en 2008, à 28 ans, élue députée – la plus jeune de l’histoire néo-zélandaise. Une ascension éclair couronnée, neuf ans plus tard, par le plus haut des mandats.
Féministe convaincue, Jacinda Ardern donne naissance en juin 2018 à une fille dont elle dévoile le minois sur Instagram. La dirigeante ultra-connectée devient ainsi la deuxième cheffe de gouvernement au monde à avoir un enfant durant son mandat.
Voir cette publication sur InstagramPremière ministre et maman? Rien d’incompatible pour Jacinda Ardern dont le mari, ex-animateur, s’est reconverti en père au foyer. Aux journalistes qui, durant la campagne pour les législatives de 2017, ne cessent de l’interroger sur ses projets d’enfant, la candidate refuse de répondre. Puis s’agace sur le plateau d’un talk-show. "Il est totalement inacceptable que les femmes soient obligées de répondre à cette question. Il leur appartient de décider quand elles veulent avoir des enfants. Cela ne doit pas avoir d’influence sur le fait de décrocher ou non un emploi".
Un symbole du progressisme de centre gauche
De retour sur la scène publique après un congé maternité de six semaines, elle fait le bonheur des photographes en apparaissant à l’ONU avec son bébé. Jacinda Ardern "montre que personne n’est mieux qualifié pour représenter son pays qu’une mère qui travaille, assure auprès de Reuters Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général des Nations unies. Seulement 5 % des dirigeants du monde sont des femmes, nous devons donc les accueillir le plus possible ici". Capable de concilier sa maternité avec les plus hautes responsabilités, la jeune mère devient un symbole du progressisme de centre gauche.

Mais l’égalité des sexes n’est pas son unique cheval de bataille. La pauvreté et les fractures sociales seront au cœur de son second mandat. Tout comme la protection de l’environnement sur laquelle elle est accusée de ne pas avoir tenu ses promesses. Sans oublier la reprise économique du pays, menacée par un rebond de l’épidémie. Autant de défis face auxquels Jacinda Ardern devra se montrer à la hauteur.
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