Elle avait le don de faire sourire, sans jamais craindre le ridicule, même en arborant des tasses à café sur la tête pour chanter Chaud Cacao ou vêtue de costumes multicolores et emplumés pour danser Tata Yoyo avec une énergie communicative. Son sourire, reflet d’une vraie gentillesse dont tous ceux qui l’ont côtoyée témoignent avec affection, était aussi constant que son exigence artistique, un sens de la perfection et de la discipline sans doute hérité de la danse que cette enfant née en 1928 à Laeken en Belgique pratique dès l’âge de 8 ans. Annie Cordy s’appelle encore Léonie Cooreman mais rêve déjà de gloire. "La danse est pour moi la base de tout, nous avait-elle confié en 2015, à l’occasion de la sortie du film Les Souvenirs, de Jean-Paul Rouve.
Une artiste infatigable et pleine d'humour
On peut être une rigolote et avoir beaucoup de grâce. Finir ses gestes, étirer son bras jusqu’au bout et tendre sa main très loin… Les gens ne se rendent pas compte de l’importance que cela peut avoir." Cette volonté d’acier la distingue très tôt lors des auditions dans des cabarets.
En quelques années, sa réputation la mène au Lido où elle devient meneuse de revue en 1950. Les Français adoptent aussitôt cette jeune femme pétillante. Parmi ceux-là, Bourvil et Georges Guétary la mènent à l’opérette sur La Route fleurie de Francis Lopez. Elle est la partenaire idéale de ces monstres sacrés avec lesquels naît d’emblée une belle complicité.

Après la danse et la chanson, le cinéma lui ouvre également les bras, et de la plus noble manière. En effet, Sacha Guitry la verrait bien dans la distribution fleuve de Si Versailles m’était conté. "Quand on m’a dit que j’allais tourner pour lui, j’ai eu la trouille de ma vie, nous avait-elle avoué dans un éclat de rire. Nous nous retrouvions à 6 heures du matin à Versailles, au Petit Trianon. Il avait fait installer un podium sur lequel il se tenait. 'À vous, mademoiselle…' J’ai commencé à parler et il a continué: 'Très bien mademoiselle. Vous en refaites une et ça sera terminé.' Après cette deuxième prise, il m’a fait monter à côté de lui. Je lui ai rappelé que je n’étais pas comédienne mais chanteuse. Il m’a alors dit: 'Vous devriez apprendre tous les rôles de Réjane.' Je lui ai répondu qu’il avait raison, en omettant bien de lui préciser que je ne savais même pas qui était Réjane!"

Annie Cordy, qui enchaîne désormais les engagements à un rythme effréné, est partout à la fois. À Monaco en 1956, pour un tour de chant au mariage du prince Rainier et de la princesse Grace, et en Espagne où elle retrouve Bourvil pour mettre en boîte Le Chanteur de Mexico. Le tournage a lieu en août sous un soleil de plomb auquel aucun maquillage ne résiste. Annie tient bon, s’endurcit, franchit les difficultés sans jamais se plaindre.
À la ville, elle épouse François-Henry Bruneau qui devient son agent. Si la chose n’est pas rare, cette union des sentiments et du travail symbolise parfaitement ce qui l’attend. Une vie de labeur acharné pour laquelle elle sacrifie tout. Mais comment résister à Luis Mariano auprès duquel elle apparaît pour la première fois en 1961 dans Visa pour l’amour? "C’était un type extraordinaire, se souvient-elle, adorable comme tout. Travailler, je n’ai fait que cela dans ma vie, mais avec un bonheur total."
Le succès de ses opérettes lui permet de parcourir le monde
Le succès de ses opérettes permet à Annie Cordy de parcourir le monde. L’Amérique lui ouvre les portes mais, encore une fois, elle ne voit rien des lieux qu’elle traverse, entièrement absorbée par les impératifs de la scène. Il faut dire que l’artiste ne se ménage pas, virevolte, bondit, fait jaillir les éclats de rire à tout instant. "Alors que j’étais au Plaza à New York, je n’ai fait que travailler. Sans cesse. Je n’ai eu le droit qu’à un tour en calèche autour de Central Park et il était déjà l’heure de s’y remettre…"

Sont-ce cette gravité, ces regrets enfouis qui ont nourri des rôles plus tragiques au cinéma? En 1970, elle subjugue public et critique dans Le Passager de la pluie, de René Clément, auprès de Marlène Jobert et de Charles Bronson. Si chacun applaudit ce changement de registre, la chose amuse l’actrice. "Je peux être très réjouie comme je peux également avoir des moments moins gais, ce qui me semble tout à fait normal. Il demeure cette image de la joyeuse rigolote et les gens sont toujours étonnés lorsque je m’en éloigne pour jouer dans un film comme celui-là."
La décennie qui s’annonce sera d’ailleurs très "rigolote". Celle qui a enregistré plus de 700 chansons triomphe avec des 45 tours comme Tata Yoyo ou La Bonne du curé qu’une génération entière passe en boucle dans ses mange-disques. Et toujours pas le moindre instant de répit: elle assure les galas par milliers. La caravane Annie Cordy fait étape dans tous les villages… et dans tous les cœurs.

Cette popularité jamais démentie se poursuit au cinéma, où celle que le roi des Belges Albert II a fait baronne en 2005 revient régulièrement. Vue chez Chabrol, Richard Bohringer ou Pascal Thomas, Annie Cordy trouve l’un de ses plus beaux emplois auprès de Jean-Paul Rouve avec Les Souvenirs. L’un de ses derniers aussi. "Le film est comme la vie, nous avait-elle assuré, avec des moments de franche rigolade et d’autres où les souvenirs qui remontent laissent mélancolique, même si je ne le suis pas du tout. Je ne suis pas une femme qui regarde derrière elle, je suis d’aujourd’hui et de demain." Et de repartir, sourire aux lèvres, pour un nouveau tour de chant.
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