Comment avez-vous eu l’idée d’écrire sur Marion Crawford ?
Après vingt ans de comédies romantiques plutôt humoristiques, ce que l’on appelle de la "chick lit", j’avais envie de changer de registre. J’ai toujours eu dans un coin de ma tête – bien avant The Crown – l’idée d’écrire sur la famille royale. En Angleterre, on trouve énormément de romans historiques sur des périodes lointaines comme les Tudors, mais rien sur les Windsor du XXe siècle. Cela m’a toujours beaucoup étonnée car c’est un sujet à la fois dramatique et passionnant. Un jour, alors que je farfouillais dans les étagères de l’un de mes bouquinistes favoris, l’autobiographie de Marion Crawford, The Little Princesses, m’est littéralement tombée dessus. Je l’ai ouverte pour parcourir les premières pages et j’ai trouvé cette phrase : "J’ai toujours voulu m’occuper d’enfants des quartiers défavorisés, je n’ai jamais rêvé d’élever des membres de la famille royale." J’ai su instantanément que je tenais mon histoire.

Qu’est-ce qui fait d’elle une héroïne ?
Ce n’est pas une simple nurse. Elle appartient à cette première génération de femmes éduquées, qui nourrissent une certaine ambition. Elle veut enseigner dans les classes populaires, elle a soif de justice sociale, elle est très moderne ! C’est ce paradoxe qui la rend intéressante : comment s’est-elle retrouvée au service de l’une des plus anciennes institutions du pays, pour instruire les enfants sans doute les plus privilégiés de l’époque ? Car au départ, elle n’a aucune envie de travailler pour la famille royale. La duchesse d’York, après l’avoir rencontrée chez une amie, en Écosse, a l’idée de génie, pour la recruter, de lui proposer de venir faire un mois d’essai à Londres. Dès sa première rencontre avec la princesse Élisabeth, c’est comme un coup de foudre. Elle choisit alors de mettre en pratique ses principes éducatifs pour élever les jeunes sœurs comme des enfants normales. Elle rompt avec des traditions solidement établies, un univers presque conservé dans le formol, pour les mettre en contact avec le monde réel en emmenant Élisabeth, par exemple, visiter le métro. Dans le même temps, elle devient un témoin privilégié et extraordinairement intime de la vie des princesses lors d’événements historiques qui changent leur destin à jamais, notamment l’abdication de leur oncle, le roi Édouard VIII.

Vous n’aviez jamais entendu parler de Marion Crawford avant d’entamer la rédaction du livre ?
Je connaissais son existence mais je la voyais comme une vieille nanny un peu austère, à l’image de Mrs Knight, surnommée "Alah", qui était déjà au service de la famille à son arrivée. Je n’avais pas réalisé qu’elle était si jeune, et qu’elle était professeur. Je ne suis pas une biographe – et de toute façon, je n’avais pas assez de matière pour me lancer dans une biographie. En revanche, "Crawfie", ainsi que la surnomment Élisabeth et Margaret, est un merveilleux personnage de roman, avec des sacrifices et une fin tragique. Sa vie amoureuse a été plutôt ratée, notamment parce qu’elle reste trop longtemps au service de la famille royale pour pouvoir construire sa propre vie. À chaque fois qu’elle essaie de s’en aller, la duchesse d’York a un argument imparable pour la retenir : l’abdication, la guerre... J’ai pris plaisir à lui imaginer plusieurs relations sentimentales pour étoffer cette dimension de son existence, notamment un premier amoureux carrément communiste, Tony, car elle avait des idées politiques très progressistes.

Et sa fin tragique ?
Le livre s’ouvre sur cette scène terrible dans laquelle elle guette désespérément l’arrêt de la voiture royale qui viendrait la voir dans le cottage où elle a fini ses jours, et le bruit des roues qui ne ralentissent pas tandis que le véhicule repart inexorablement. La publication de The Little Princesses, qui était pourtant une déclaration d’amour et d’engagement à l’égard de la famille royale, a signé la mise au ban définitive de Marion Crawford. Les princesses ne lui ont plus jamais adressé la parole, ce qui l’a véritablement désespérée. Elle a même essayé de se suicider. Ce rejet radical était d’autant plus injuste qu’elle a été vraiment dupée et instrumentalisée par certaines personnes, notamment par son mari qui estime qu’elle a bien le droit de récolter un peu d’argent après tous les sacrifices qu’elle a consentis. Si son livre est totalement hagiographique, il enfreint la sacro-sainte règle de confidentialité de tous ceux qui travaillent auprès des Windsor, et donne accès à une intimité jamais dévoilée auparavant. Cela ne lui sera pas pardonné.

Vous soulignez ainsi les sacrifices énormes qui sont demandés à ceux qui approchent la Couronne d’aussi près...
Elle comprend progressivement qu’elle ne peut pas avoir de vie privée. Si elle entretient une relation amoureuse, elle introduit dans le premier cercle quelqu’un susceptible de trahir l’intimité de la famille royale. Elle doit être soit dedans, soit dehors. C’est un peu ce qui est arrivé à Harry et Meghan : ils ont voulu sortir de la "Firme", mais garder un pied à l’intérieur....
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