Rencontre avec Diane von Furstenberg et sa petite-fille Talita

Créatrice de mode iconique, présidente du très puissant Conseil des créateurs de mode américains, mère et grand-mère, cette féministe, "avec beaucoup de m" comme elle aime le souligner, vient de publier un passionnant livre de mémoires: La femme que j'ai voulu être chez Flammarion. Elle nous a reçus dans sa propriété de Los Angeles, en compagnie de sa petite-fille Talita von Furstenberg, jeune femme brillante et déjà passionnée de politique...

Par Adélaïde de Clermont-Tonnerre - 24 avril 2017, 10h32

 Grand-mère et petite-fille se sont confiées pour Point de vue.
Grand-mère et petite-fille se sont confiées pour Point de vue. Courtesy of David Atlan

Votre récit a été inspiré par l'incroyable parcours de votre mère, Liliane, rescapée de la Shoah. Comment est né ce projet?

DIANE VON FURSTENBERG: J'ai écrit ce livre lorsque ma mère est morte. J'avais besoin de raconter son histoire. C'était une femme très forte. De son vivant, sa force m'étouffait un peu, mais après son départ, j'ai compris tout ce que je lui devais. Elle m'a appris à ne pas avoir peur. Elle a fait de moi la femme que je suis devenue. En racontant sa vie et en me penchant sur la mienne, j'ai aussi compris à quel point j'étais le fruit de sa personne, de son passé, de tout ce qu'elle était.

Diane petite fille avec ses parents. Archives personnelles de Diane von Fürstenberg

L'une des scènes les plus marquantes de votre livre se passe entre votre mère et Talita, votre petite-fille...

Ma mère n'était pas bien du tout. Elle sortait de l'hôpital. C'était le jour de la fête des Mères et Talita venait juste d'avoir un an. Mon fils, Alex, nous avait offert des bouquets de fleurs. Ce jour-là, Talita a fait ses premiers pas. Nous étions très émus. Ma mère la regardait attentivement. Talita lui a rendu son regard et, tout à coup, j'ai vu une énergie blanche, lumineuse, sortir de ma mère pour aller vers le corps de cette petite fille qui l'a acceptée. Vous penserez peut-être que j'ai rêvé cet échange, mais je l'ai vraiment vu. Cela m'a marquée. Aujourd'hui Talita a 17 ans passés et je retrouve en elle la puissance et la force de ma mère.

Diane et Talita, vos proches disent que vous vous ressemblez beaucoup... Le ressentez-vous?

TALITA VON FURSTENBERG: Oui, nous sommes très proches, ne serait-ce que dans nos attitudes, notre manière de bouger, de nous asseoir, de regarder les choses ou les gens. Nous avons les mêmes priorités, le même état d'esprit...

D.V.F.: Mon fils trouve que nous sommes identiques, mais il pense que Talita a plus d'ambition que moi... Préparez-vous!

Diane avec Talita, petite, lors d'un défilé… Getty Images

Talita, quel est votre meilleur souvenir avec Diane?

T.V.F.: Quand j'avais 6 ou 7 ans, je suis partie avec elle en Italie pour un défilé. J'ai pu venir en coulisses, l'accompagner partout. Je prenais des notes, j'étais fascinée.

D.V.F.: Nous avons passé une semaine magique à Florence. Nous travaillions d'arrache-pied la journée. Le soir, nous étions toutes les deux. Nous regardions ensemble des films romantiques avec Audrey Hepburn... Nous nous sommes beaucoup amusées.

Vous souvenez-vous d'un conseil important de Diane?

T.V.F.: Ce qui me frappe le plus chez ma grand-mère, c'est son assurance. Elle m'a appris à chercher la confiance en moi, pas dans le regard des autres. Elle m'a montré comment être forte, comment m'apprécier, comment être ma meilleure amie.

Diane, cette confiance vient de votre père...

D.V.F.: Ma mère m'a donné sa force, mon père, la confiance. Il m'a offert tant d'amour qu'il m'a permis d'être autonome affectivement. Talita s'est aussi construite grâce à son père. Alex est d'une rare générosité et gentillesse, il est très attentionné. Le meilleur fils et le meilleur père qui soit.

T.V.F.: Mon père me pousse beaucoup. Il me rassure. Il pense que je suis la plus forte... Il est comme ma grand-mère. Ils ont la même nature. 

Self-made woman, Diane l'est certainement… Elle a connu un immense succès dès ses 25 ans avec sa fameuse robe portefeuille. «Ce n'est pas moi qui ai fait la robe, c'est la robe qui m'a faite», s'amuse-t-elle. Courtesy of David Atlan

Diane, votre mère vous disait que "la peur n'est pas une option". Rien ne vous effraie?

D.V.F.: Si, bien sûr: qu'il arrive quelque chose aux gens que j'aime. Mais elle m'a vraiment appris à dépasser mes craintes. Un soir où j'avais peur du noir, elle m'a enfermée dans un placard. Ce n'était pas politiquement correct, mais petit à petit je me suis rendu compte qu'il ne faisait pas si noir, que mes yeux s'habituaient et que je n'étais menacée en rien. Elle a survécu à des choses terribles, elle voulait que je sois capable de tout affronter. Elle me disait qu'il ne faut jamais être une victime ou blâmer autrui de quoi que ce soit.

T.V.F.: J'ai peur de l'échec, mais j'essaie de me dépasser, de faire les choses malgré tout...

D.V.F.: Talita a toujours été première de la classe! Elle est anxieuse en ce moment parce qu'elle attend ses résultats d'admission à l'université.

Diane, l'amour est la grande affaire de votre vie, écrivez-vous dans votre livre, mais vous dites aussi que peu d'hommes ont vraiment compté...

Sur le moment, bien sûr, chaque homme a compté plus que tous les autres, mais avec le recul, je m'aperçois que j'ai souvent été amoureuse de l'amour. Et puis j'étais jeune, j'aimais la vie, la nature, les flirts... Les temps étaient différents. Aujourd'hui, je sais que les deux hommes de ma vie sont ceux que j'ai épousés: Egon [von Furstenberg, ndlr] et Barry [Diller].

Diane, le jour de son mariage avec le prince Egon von Furstenberg, le père de ses enfants. Archives personnelles de Diane von Fürstenberg

Donnez-vous des conseils à Talita sur l'amour?

Talita, est-ce que je te donne des conseils ?

T.V.F.:Oui, mais j'ai le même petit ami depuis cinq ans! Donc je ne t'écoute pas vraiment...

D.V.F.: Je lui conseille de s'amuser un peu plus!

Talita, êtes-vous la femme que vous voulez être?

T.V.F.: Je grandis et je travaille à devenir une meilleure version de moi-même. Mais j'espère être sur la bonne voie. J'aimerais beaucoup m'engager en politique, servir, aider les gens autour de moi. Cela pourrait aussi se traduire par de la philanthropie ou de l'anthropologie...

Tatiana, sa fille, et Alexander, son fils, enfants. Archives personnelles de Diane von Fürstenberg

Diane, vous ne semblez pas avoir de regrets...

D.V.F.: Ma mère disait souvent: "Tu ne regretteras que les choses que tu n'as pas faites." Et j'ai fait à peu près tout ce dont j'avais envie. Mon seul vrai regret est de ne pas avoir décelé plus tôt la maladie de ma fille. Tatiana a été extraordinairement courageuse... Et c'est une grande artiste.

Vous écrivez des choses très justes sur le temps qui passe...

L'avantage de l'âge, c'est que vous avez un passé et que personne ne peut vous l'enlever. Surtout, il ne faut jamais tricher sur son âge! D'abord parce que l'on ne peut plus mentir avec Internet (rires), ensuite parce qu'embrasser son âge, c'est embrasser la vie.

Diane en 1976, à 30 ans; «Ma décennie préférée», écrit-elle. Archives personnelles de Diane von Fürstenberg

L'obsession de la beauté peut-elle nous empêcher de devenir la femme que nous voudrions être?

La beauté est tellement ancrée dans notre monde, la publicité, les magazines... Il faut se regarder lucidement et jouer de ses atouts, mais surtout s'accepter et ne pas se comparer. Nous avons toutes regardé avec envie une femme assise en face de nous en nous disant: "Elle est si parfaite!", mais elle vous regarde peut-être en retour avec la même pensée...

T.V.F.: C'est un cadeau, mais il est vrai que certaines personnes partent du principe que si vous êtes jolie, vous êtes forcément idiote. Comme si un beau visage était incompatible avec des capacités intellectuelles.

Diane, que voudriez-vous dire aux femmes d'aujourd'hui?

D.V.F.: Si vous pouvez compter sur vous-même, vous pourrez toujours vous en sortir. N'ayez pas peur de votre force, même si parfois vous pouvez vous égarer. 

Diane dans sa maison de Los Angeles avec sa petite-fille Talita… Courtesy of David Atlan

Diane, durant la campagne présidentielle vous avez soutenu Hillary Clinton, et Talita vous avez fait un stage dans son équipe, qu'avez-vous ressenti en apprenant sa défaite?

T.V.F.: J'étais très déçue. Après tout ce que Donald Trump a dit et fait, je n'ai pas compris que ce soit le désir des États-Unis. Il me semble que c'est un recul pour le droit des femmes et les droits civiques. Mes amis étaient très en colère. J'en ai pleuré. Maintenant il faut faire avec et faire au mieux.

Qu'est-ce qui vous heurte chez Donald Trump?

Notamment son rapport aux femmes. Le fait qu'il ait publiquement fait des déclarations insultantes et que plusieurs d'entre elles aient été victimes de comportements dégradants de sa part... Cela donne l'idée qu'une telle attitude est acceptable. Pourquoi les hommes respecteraient-ils les femmes, puisque le président, l'homme le plus important du pays, ne le fait pas? En même temps je pense que chacun d'entre nous a un pouvoir et qu'il faut nous réunir pour défendre nos valeurs.

D.V.F.: Il est notre président. Il faut l'accepter. Il a été élu de façon démocratique. Cela implique en revanche que chaque citoyen américain soit un peu plus actif pour améliorer les choses autour de lui. Les jeunes femmes devront aussi être plus militantes, pour ne pas laisser des idées contestables se propager. J'espère que c'est un pas en arrière, qui, finalement, nous fera avancer beaucoup plus. 

Talita, brillante étudiante, porte l'une des célèbres robes portefeuille de sa grand-mère. Courtesy of David Atlan

Cela rejoint votre philosophie selon laquelle "on ne sait jamais ce qu'est une mauvaise chose..."

Ma mère disait cela... Elle l'avait compris très jeune, lorsqu'elle a été déportée. Pendant quatre jours, elle avait été enfermée dans un wagon à bestiaux bondé. Pas de nourriture....

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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