Comment est née cette autobiographie ?
Germain Louvet : Les éditions Fayard ont apprécié le contre-discours et les engagements que je défends dans les médias. C’est un peu bizarre d’écrire sa vie à 28 ans, mais j’ai relevé ce défi d’autant plus grand pour moi que j’ai écrit ce livre moi-même.
Vous nous recevez dans votre loge, au palais Garnier, et vous écrivez dans votre livre : "Ce qui prend le plus de place, dans cette loge, c’est la solitude" !
En effet. Dès l’instant où je suis arrivé dans cette pièce, j’ai compris que j’allais, pour la première fois, me retrouver seul face à moi-même, pour me préparer, m’inquiéter, me reposer... Jusqu’alors, j’étais toujours avec mes camarades. La danse est un art très collectif. Sauf pour les solistes. J’ai dû apprivoiser cette solitude...

Vous n’étiez pas un petit garçon ordinaire. Vous dites qu’à 12 ans, lorsque vous entrez à l’École de danse de l’Opéra de Paris, vos parents ne vous manquent absolument pas...
Mais oui ! j’étais très heureux de quitter le nid familial et de rejoindre un nouveau microcosme et des gens avec qui je partagerais ma réalité, mes joies, nos difficultés. J’étais Harry Potter arrivant à Poudlard... J’ai appris à travailler, mais aussi, grâce à certains professeurs, comme ma prof de philo, à regarder la société avec un sens critique.

Vous rentrez dans le ballet de l’Opéra de Paris, vous êtes doué, et vous découvrez une part de son quotidien. Comme cette répétitrice extérieure à l’Opéra venue pour Roméo et Juliette, et qui vous parle sans filtre, vous lance que vous ne comprenez rien à rien. Or, vous dites au final, que sa dureté vous a servi.
Cette danseuse, avec sa sévérité à l’ancienne, qui passe presque par l’humiliation, n’a, je crois, jamais perdu l’idée de nous faire progresser. Mais cette méthode m’interpelle. Moi, j’en ai pleuré, mais les autres ? À quel point des personnalités peuvent en tirer profit et d’autres, en souffrir énormément ?
Vous questionnez beaucoup l’univers actuel du ballet classique. Sur ses caricatures, et sur l’archétype du danseur de ballet idéal, grand, beau, de type caucasien... Or, vous répondez exactement à ce stéréotype que vous déplorez de trop voir...
Oui, c’est mon paradoxe et celui du livre. Être un danseur, dit "noble", fait ma personnalité, mais je m’interroge sur ce que cela véhicule de notre art. Pourquoi n’y voit-on pas plus de physiques différents, plus de gens racisés ? Je ne me rebelle pas, mais je réfléchis et pose un regard critique, avec parfois, de la colère. L’Opéra a décidé de prendre les choses en main sur ce plan-là, et tant mieux.

Aujourd’hui, Rudolf Noureev serait-il étoile ? Il n’avait pas votre gabarit, il était petit, costaud, avait mauvais caractère...
C’est une vraie question. Je ne sais pas s’il aurait fait une carrière facilement. Mais il avait une sacrée personnalité, intemporelle et rebelle. Il aurait sans doute trouvé son chemin aujourd’hui et c’est pour cela qu’il reste une source d’inspiration aussi forte.
Vous dites aussi que les rôles des grands ballets classiques vous obligent à vous "hétérosexualiser".
En effet, ces rôles de princes cherchant une femme ne me ressemblent pas, et cela me peine de devoir sans cesse "m’hétérosexualiser" sur scène, ce que je ne suis pas dans la vie. Alors, sans doute y a-t-il d’autres manières d’appréhender certains rôles. Quand je suis le prince Siegfried du Lac des cygnes, je le danse comme un jeune prince vivant dans son château, mais j’essaie maintenant de chercher en moi ce qui est à mettre en parallèle. Le Lac des cygnes, c’est une quête introspective d’une jeune personne qui ne se retrouve pas dans sa propre réalité, qui est celle de la Cour et du mariage obligatoire. Il cherche un sens à sa vie, et moi aussi.

Vous avez défilé pour Jean Paul Gaultier en marchant sur pointes, technique dévolue aux danseuses. Aujourd’hui, des danseurs commencent à danser sur pointes. Le feriez-vous ? Danseriez-vous le rôle d’Odette/Odile du Lac des cygnes ?
Je ne suis pas sûr de le vouloir, mais c’est important de savoir que je pourrais, aujourd’hui, demander à l’interpréter, si je maîtrisais la technique. Je ne suis pas pour faire la révolution à tout prix. Mais oui, il y a des rôles de femme que je rêve de danser, notamment celui de l’Élue du Sacre du printemps de Nijinski.
À quoi va ressembler votre saison cette année ?
Je danserai le prince de Giselle en juin et tâcherai de lui trouver une vraie modernité. Et je saurai bientôt, après une semaine d’auditions, si Mats Ek me choisit dans sa soirée de ballets ou si je danse La Bayadère de Noureev. Vous savez, les danseurs étoiles aussi doivent auditionner pour les rôles. Ils connaissent leurs plannings souvent très tardivement.

Ce qui vous manque aujourd’hui ?
J’aimerais ne plus être aussi esclave de cette image de "danseur noble", et pouvoir aller vers une danse plus radicale. J’aimerais aussi avoir des enfants, faire des études supérieures, m’investir dans la vie associative, danser hors des théâtres et pour des publics défavorisés. Et affirmer haut et fort que moi, danseur, je ne sers à rien. C’est cela qui est beau. Être quelqu’un qui ne sert à rien...
*Des choses qui se dansent, de Germain Louvet, éditions Fayard. 234 pages, 19 euros.

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