Votre première photo de Johnny Hallyday dans Salut les copains, vous vous en souvenez ?
Bien sûr ! C’était en 1965. Je venais d’être embauché. À l’époque, il y avait une rubrique qui s’appelait "Le match" : deux portraits d’artistes qui se faisaient face et qui devaient être similaires. Ils ont eu l’idée de faire Elvis Presley contre Johnny Hallyday. On avait une image d’Elvis, extraite d’un film, où il était assis sur un lit aux draps jaunes, vêtu d’un pyjama bleu, dans une chambre d’hôtel. On m’a envoyé à Strasbourg — Johnny faisait alors son service militaire à Offenbourg, en Allemagne. Je suis arrivé le premier dans l’hôtel réservé où, évidemment, les draps n’étaient pas jaunes. J’ai foncé aux Nouvelles Galeries pour en acheter, ainsi qu’un pyjama bleu pour Johnny… qui s’est avéré bien trop grand, mais qui a fait l’affaire ! Il est arrivé à l’heure, ce qui était rare pour lui.
Comment était le Johnny des débuts ?
Il était impressionnant, même pour les autres chanteurs, les autres groupes. Il dégageait quelque chose. Une sorte d’aura. Quand il rentrait dans un restaurant, même à l’étranger où il était forcément moins connu, les regards se tournaient irrémédiablement vers lui. Au début des années 1960, il avait toujours un 45 tours d’avance, même sur Eddy Mitchell et Les Chaussettes Noires. Il se roulait par terre sur scène. C’était un extraterrestre. Il s’était acheté une Triumph TR3, tout le monde l’enviait.

Et vous êtes très vite devenus proches ?
J’ai commencé à suivre ses tournées, d’abord pour Salut les copains, puis pour Hit Magazine. J’ai fait des photos en studio, des pochettes de disque... Les tournées, c’était tout un monde. On allait d’une ville à l’autre pour ce qu’on appelait alors des "galas", souvent dans des salles de cinéma, parfois sous un chapiteau. Une année, Johnny a décidé de partir en Rolls-Royce avec un chauffeur allemand ! Chaque matin, il fallait le tirer hors du lit. En attendant qu’il émerge, on allait acheter des roses qu’il devait lancer dans la foule pendant le concert. Notre boulot, c’était d’ôter les épines pour éviter que les gens ne se blessent. J’avoue qu’à la fin, on en avait marre : on laissait les épines. Je me souviens aussi qu’au début, il n’y avait pas de service d’ordre. C’était le chauffeur du bus où s’entassait toute la troupe qui empêchait les filles de monter sur scène. Une fois, après plusieurs jours à les suivre, je devais absolument rentrer à la rédaction pour livrer les photos. Johnny a appelé Salut les copains, il a prétendu qu’il avait été griffé par ses fans et que je devais rester quelques jours de plus pour faire des photos où il serait présentable. C’était totalement faux ! Le magazine a décalé le bouclage et je suis resté avec eux.
Qui était-il quand il n’était pas sur scène ?
On habitait à 600 mètres l’un de l’autre, à Paris, dans le XVIe arrondissement. Quand il n’était pas en tournée, on était ensemble du matin au soir. J’allais le chercher en voiture le matin pour aller à la salle de sport. Je le déposais devant la salle et, souvent, comme je ne trouvais pas facilement de place pour me garer, il m’engueulait ! On déjeunait ensemble. S’il l’avait décidé, certains jours, on ne mangeait que des haricots verts, d’autres, seulement de la viande blanche… C’était ses périodes "diététiques". L’après-midi, il s’endormait devant la télévision, chez lui. Quand j’essayais de me sauver, il ouvrait un œil, et il me disait : "Où tu vas ? Tu n’es pas bien là ?" C’est quelqu’un qui avait besoin de compagnie. Il parlait très peu. Même au milieu de la foule, il pouvait être perdu dans ses pensées, le regard lointain. Personne n’a jamais demandé à Johnny Hallyday à quoi il pensait. Parfois, je me dis qu’il pensait à son père, longtemps absent, à sa mère également, au fait qu’enfant, c’était presque un orphelin… Et si jamais je devais photographier et suivre d’autres artistes en tournée, comme Michel Sardou ou Julien Clerc, il était presque jaloux.

Vous faisiez partie de la famille ?
Une année, pour les fêtes, alors que ma femme était enceinte de notre fille, il nous a dit : "Pour Noël, je ne veux qu’un cadeau : être parrain de la petite " Et il a ajouté : "Si j’avais une deuxième fille, je l’appellerais Sarah." Le message ne pouvait pas être plus clair. On a décidé d’appeler notre fille Sarah-Lee. Il était heureux. Il y a aussi les années Saint-Tropez… Il m’a emmené sur le terrain qu’il avait trouvé à Ramatuelle, là encore pour faire des photos, avant que le chantier ne commence. C’est là où il a fait bâtir sa villa, baptisée la Lorada — d’après les prénoms de ses deux premiers enfants, Laura et David. L’architecte a fait tout ce qu’il voulait, avec même un bar sous une cascade. C’était très beau, comme les grands hôtels d’Acapulco. En vérité, on n’y allait jamais. Mais Johnny était un grand enfant : quand il avait envie de quelque chose, il se l’offrait! Voitures, motos, bateaux… C’étaient ses jouets. Que vous a-t-il appris ? Il m’a appris à dépenser de l’argent et à ne pas en mettre de côté, ce que je regrette aujourd’hui ! Plus sérieusement, on pensait tous mourir à quarante ans. On roulait trop vite, on vivait dans le culte de James Dean. On se marrait aussi beaucoup. Après douze ans sans vous voir, vous vous êtes retrouvés sur la tournée des Vieilles Canailles avec Jacques Dutronc et Eddy Mitchell, en 2014.
C’était un moment émouvant ?
Comme j’ai commencé avec eux, ils ont pensé que j’étais le plus légitime pour faire les photos. C’était une réunion de potes. Dès les répétitions, la magie opérait. Ce qui était amusant, c’est que Jacques Dutronc arrivait en avance, Eddy Mitchell à l’heure, et Johnny forcément en retard. Eddy était fou ! Il répétait : "Il y en a marre du Belge !" Votre livre s’achève sur une photo d’un concert des Vieilles Canailles justement… C’est à Bercy. Johnny quitte la scène. Il fait un signe de la main. Est-ce qu’il dit "à bientôt", "au revoir" ou "adieu" ? On ne saura jamais.
Johnny Hallyday : Les années Tony Frank, éditions EPA, 288 p., 39,95 euros.

Connectez-vous pour lire la suite
Profitez gratuitement d'un nombre limité d'articles premium et d'une sélection de newsletters
Continuer
Un journalisme d’excellence, des contenus exclusifs, telle est la mission de Point de Vue. Chaque article que nous produisons est le fruit d’un travail méticuleux, d’une passion pour l’investigation et d’une volonté de vous apporter des perspectives uniques sur le monde et ses personnalités influentes. Source d’inspiration, notre magazine vous permet de rêver, de vous évader, de vous cultiver grâce à une équipe d’experts et de passionnés, soucieux de porter haut les couleurs de ce magazine qui a fêté ses 80 ans. Votre abonnement, votre confiance, nous permet de continuer cette quête d’excellence, d’envoyer nos journalistes sur le terrain, à la recherche des reportages et des exclusivités qui font la différence tout en garantissant l’indépendance et la qualité de nos écrits. En choisissant de nous rejoindre, vous entrez dans le cercle des amis de Point de Vue et nous vous en remercions. Plus que jamais nous avons à cœur de vous informer avec élégance et rigueur.