Sous le chapiteau, la foule retient son souffle. En haut du mât, Lola s’apprête à s’élancer dans les airs sous le regard de Tino. Et lorsqu’elle lâche le trapèze, le cœur des spectateurs fait un bond. Autre saltimbanque, l’Esmeralda qui danse en robe pourpre sur le parvis de Notre-Dame a les mêmes yeux que Lola. Ceux incandescents de Gina Lollobrigida, fougueuse Italienne qui, en deux scènes cultes, met à ses pieds l’acrobate Tony Curtis dans Trapèze et Anthony Quinn dans Notre-Dame de Paris. Il est peu dire que l’actrice subjugua ses contemporains. Un caractère entier allié à une infinie sensualité ont été de précieux atouts pour que la jeune fille née en 1927 puisse s’extraire d’une condition qui ne la prédisposait pas à triompher sous la lumière des projecteurs.
La vie ne lui fait pas de cadeau. Un père ruiné par la guerre lui réserve une éducation à la dure. Au milieu de ses sœurs blotties dans le famélique une pièce faisant office d’appartement familial à Rome, Gina développe une personnalité à part, plus attirée par l’art que la comédie. "J’étais l’artiste de la famille, se souvient l’actrice lors d’une entrevue télévisée en 2014. Ils se sont sacrifiés pour que je puisse étudier la peinture." Quand elle ne suit pas les cours des Beaux-Arts, Gina dessine des GI alors nombreux dans les rues de la capitale, fait un peu de figuration et participe à des romans-photos. Sa beauté lui vaut déjà d’être remarquée, notamment par Silvana Mangano qu’elle rencontre lors du concours de Miss Italie.

Elle a 20 ans quand les portes du cinéma s’ouvrent à elle. "La première fois que je suis allée à Cinecittà, c’était à vélo, confie-t-elle. Le lendemain, j’étais dans une Rolls-Royce que les producteurs m’avaient offerte. Ils étaient persuadés que je ferais une grande carrière." Il faudra cependant attendre Fanfan la Tulipe pour que l’on s’attarde sur elle. Faussement ingénue, s’exprimant avec un charmant accent, elle déclame sa flamme à un Gérard Philipe beau comme un astre, virevoltant et défiant sans peur le roi Louis XV. Prix de la mise en scène à Cannes, le film constitue son sésame pour la gloire. "La vérité est que je dois mon succès aux Français", lâche-t-elle alors. Hollywood tombe à ses genoux. Et parmi ses légendes, Howard Hughes, qui lui fait la cour… treize années durant. Trop tard pourtant, car la belle est depuis 1949 l’épouse de Milko Škofič, médecin d’origine yougoslave qui a abandonné sa carrière pour gérer la sienne.
Star incontournable des années 1950
Les années 1950. Sa décennie prodigieuse, qui la voit enchaîner Les Belles de nuit de René Clair, Plus fort que le Diable de John Huston, mais aussi Pain, Amour et Fantaisie, dans lequel le personnage campé par Vittorio De Sica la poursuit de ses assiduités. Des comédies mais aussi de l’aventure et des frissons, comme lorsqu’elle s’affranchit de la pesanteur sous le regard de Burt Lancaster et Tony Curtis dans Trapèze avant de se muer en l’incendiaire Esmeralda de Notre-Dame de Paris. "À côté de Gina Lollobrigida, les astres s’éteignent", peut-on lire en 1956 en titre de la critique du Monde pour le film La Belle des belles dans lequel elle donne la réplique à Vittorio Gassman.

L’actrice fascine au-delà de toute raison. Les critiques se bousculent pour recueillir un peu de cette précieuse poussière d’étoile. Sur le tournage de La Loi de Jules Dassin, avec Yves Montand, Pierre Brasseur et Marcello Mastroianni, le reporter François Chalais interroge celle qui glisse alors du statut de femme à celui de quasi-divinité : "Ce n’est pas ma faute, s’étonne-t-elle. Je ne peux pas empêcher les gens de penser ce qu’ils veulent. Cela me met quelquefois dans des situations gênantes. Cette vie est agréable, mais je suis fatiguée d’être toujours regardée par les gens [comme une chose]. J’essaie de m’isoler à la maison avec mon enfant, pour me sentir une femme comme les autres."

Et de fait, entre les tournages, Gina Lollobrigida veille sur son fils, le petit Milko Škofič Jr., né en 1957 et qui fait son bonheur. Après Chalais, c’est au tour d’Orson Welles de s’enflammer pour la jolie Italienne. Le cinéaste lui consacre l’improbable documentaire Portrait of Gina, dans lequel il fait d’elle une Cendrillon des temps modernes : "Vous êtes le fruit d’une heureuse combinaison d’actrice et de mère. Gina, vous êtes indestructible !", lance-t-il, éperdu d’une admiration teintée de paternalisme.
Gina, photographe et sculptrice
Mais ce vacarme incessant commence à lasser l’actrice. Peu lui importe finalement de regarder dans les yeux Sean Connery, Jean-Paul Belmondo, Jean-Louis Trintignant, Frank Sinatra ou Steve McQueen. Gina Lollobrigida tourne encore jusqu’au début des années 1970 mais, le plus souvent cantonnée à la comédie, le cœur n’y est plus. Son divorce d’avec Milko Škofič s’éternise en raison des lois italiennes, peu enclines à tolérer pareil écart. Au fond d’elle se réveille le feu de sa première passion : les arts, et plus particulièrement la photographie et la sculpture. L’artiste multiplie les voyages, réalise un premier documentaire sur Fidel Castro avec qui elle passe deux semaines à La Havane, puis un second sur Indira Gandhi en Inde. Elle photographie aussi bien son amie Maria Callas que les mines de diamant d’Afrique du Sud ou les défilés haute couture pour le compte de Vogue.

Revenir à ses premières amours lui fait un bien fou. Elle fige dans l’espace de monumentales représentations d’elle-même dans ses rôles cultes. Les galeries les plus vastes exposent ces visions délirantes de Lollobrigida en reine de Saba, en Pauline Bonaparte ou en une Esmeralda haute de près de sept mètres qui lui a demandé deux années de travail. "Lors d’une de mes expositions, racontait-elle, des visiteurs m’ont dit : 'Nous pensions vous connaître. Mais à présent que nous avons vu vos sculptures, nous vous connaissons complètement.' C’était le plus beau compliment, car je ne suis pas seulement cette image que beaucoup de gens imaginent. Je suis une artiste. Et quand vous êtes une artiste, vous ne vieillissez jamais."

Lors des vernissages, Gina Lollobrigida peut compter sur la présence de son fils Milko qui n’a jamais cessé de veiller sur elle. L’aura de la star est telle qu’elle reste courtisée comme au premier jour. Devenue ambassadrice de bonne volonté de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture, elle fait quelques apparitions, notamment dans des séries télévisées. Carambolage cocasse, l’artiste peut apparaître la même année 1986 en présidente du jury au festival de Berlin et en invitée d’honneur de l’épisode de Noël de La croisière s’amuse… Un recul qui lui permet d’aborder sans amertume les rives de l’âge.
En 2018, elle se voit enfin honorée d’une étoile sur le Walk of Fame. De Hollywood...
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