Régine, adieu à la reine de la nuit

Elle fut la papesse incontestée des soirées parisiennes, une chanteuse reconnue et une femme d’affaires accomplie. Mais Régine, qui s’est éteinte le 1 er mai à l’âge de 92 ans, était bien plus que cela. Noctambule insatiable, excentrique et gouailleuse, elle avait construit son destin en suivant son instinct et son cœur.

Par Hermance Murgue - 03 mai 2022, 13h08

 En janvier 1979, Régine reçoit dans sa discothèque à Londres la princesse Caroline de Monaco, accompagnée de son mari de l’époque, Philippe Junot.
En janvier 1979, Régine reçoit dans sa discothèque à Londres la princesse Caroline de Monaco, accompagnée de son mari de l’époque, Philippe Junot. © Alamy/ABACAPRESS.COM

"Reine de la nuit". Le surnom a beau être sympathique, et plutôt flatteur, Régine ne l’a jamais supporté. Trop hautain, trop déconnecté, déplorait-elle. Il lui a pourtant collé à la peau tout au long de sa carrière. Comment aurait-il pu en être autrement pour la célèbre noctambule, amie du Tout-Paris, qui a régné sur les dance-floors français et étrangers durant plus de cinq décennies ? C’est sa petite-fille, Daphné, qui a annoncé son décès ce 1er mai, à l’âge de 92 ans. Et avec elle, c’est un peu de la nuit parisienne et de ses paillettes qui s’éteignent.

De ses boîtes de nuit à ses refrains mythiques, écrits et composés sur mesure par ses compagnons de route, les inoubliables Gainsbourg, Aznavour, Henri Salvador, Barbara, sa carrière fut à l’image de sa personnalité : hors norme. À Paris comme ailleurs, son prénom restera à jamais synonyme d’insouciance, de plaisir et de divertissement. Il appartient désormais au patrimoine culturel et artistique français. Pour se hisser au sommet, Régine a d’abord et toujours suivi son instinct. Une audacieuse, voilà ce qu’elle est. À Paris, où la tornade à la chevelure flamboyante a bâti son royaume nocturne en partant de rien, ses discothèques, créées à partir de la fin des années 1950, ameutent la fine fleur du monde artistique et intellectuel en quête d’insouciance.

Édouard VIII et Wallis Simpson apprennent à danser le twist

Sous les boules à facettes de Chez Régine à Saint-Germain-des-Prés, du New Jimmy’s à Montparnasse et du Régine’s à deux pas des Champs-Élysées se croisent Elizabeth Taylor, les Kennedy, Johnny Hallyday, Françoise Sagan, Brigitte Bardot et tant d’autres parmi lesquels… le duc de Windsor ! L’éphémère roi Édouard VIII et son épouse Wallis Simpson se seraient accordés, au début des années 1960, une virée Chez Régine pour apprendre à danser le twist après une réception dans leur hôtel particulier en bordure du bois de Boulogne. Le couple est à l’époque l’un des plus célèbres au monde. De quoi impressionner la patronne ? Ce serait mal la connaître.

Car le monde de la nuit, ses ivresses et ses mirages, elle en a connu le goût très jeune. Née à Anderlecht, en Belgique, de parents juifs polonais, Régine Zylberberg, de son vrai nom, connaît une enfance cabossée. Grand amateur de poker, son père, fantasque et excentrique, passe plus de temps au casino et au bistrot qu’à la maison. Sa mère est aux abonnés absents après avoir quitté le domicile familial pour l’Argentine peu de temps après sa naissance. Séparée de son frère Maurice, durant la Seconde Guerre mondiale, Régine, contrainte de se cacher, se retrouve ballottée de refuges en couvents. Et atterrit dans plusieurs villes : Paris, Lyon, Aix-en-Provence… C’est là, dans le sud de la France, qu’elle se passionne pour les revues. "Le week-end, mon père nous emmène au casino, mon frère et moi. Pendant que Joseph bat les cartes, nous enchaînons les spectacles. Nous en voyons cinq dans le week-end ! Moi, je suis ravie… Piaf, Trenet… ne chantent que pour moi !", se remémore Régine dans son autobiographie, Moi, mes histoires*, parue en 2006. De cette enfance difficile, elle tire une force de caractère et une opiniâtreté à toute épreuve. De précieux atouts qu’elle va déployer tout au long de sa carrière.

ANTHONY QUINN, LA CHANTEUSE REGINE ET LE JOUEUR DE FOOTBALL PELE LORS DE LA SOIREE POUR LE 30EME ANNIVERSAIRE DU CLUB "REGINE' S" DE NEW YORK EN 1985
Amie du Tout-Paris, Régine a fait danser, pendant plus de trente ans, les célébrités du monde entier. À l’image de l'acteur Anthony Quinn et du footballeur Pele, photographiés ici à ses côtés lors du trentième anniversaire du club "Régine's" de New York en 1985. © AGENCE / BESTIMAGE

Au début des années 1950, à seulement 23 ans, elle est déjà un pilier du Whisky à Gogo, un club parisien situé à quelques encablures du Palais-Royal. Celle qui cumule alors toutes les casquettes, de barmaid à disc-jockey, en passant par portière et hôtesse, se met en tête de métamorphoser l’endroit. Elle filtre les entrées, bazarde les juke-box pour les tourne-disques. Et invente, comme elle aimait tant à le répéter, le concept même de discothèque. "Si j’avais pu le prévoir, je l’aurais déposé", assure-t-elle dans son ouvrage. Les clients les plus chics accourent rue de Beaujolais, dans le Ier arrondissement de la capitale : de Jean Cocteau à Jean d’Ormesson, en passant par les pensionnaires de la Comédie-Française, Sacha Distel et, bien sûr, Serge Gainsbourg, son grand copain, son acolyte. En lui écrivant en 1966 son premier succès, Les P’tits Papiers, il lui ouvre grand les portes d’une carrière de chanteuse dont Régine avait toujours rêvé.

Entré au patrimoine de la variété, le morceau marque le début d’une avalanche de titres, signés des plus grands noms : La Grande Zoa de Frédéric Botton, Gueule de nuit, chanson offerte par Barbara, Il m’a laissé deux cigarettes concoctée par Jean-Loup Dabadie, Je viens danser écrite par Renaud, Azzurro composée par Adriano Celentano… Des collaborations à n’en plus finir qui font du répertoire de Régine, l’un des plus fournis de la chanson française avec pas moins de deux cent cinquante morceaux !

"Mon premier métier, c’étaient les discothèques"

Comment ne pas sourire quand on pense que tout est parti d’un petit dîner organisé un soir de 1963 dans son appartement situé au-dessus du Jimmy’s, à Montparnasse ? "Il y avait Henri Salvador et Charles Aznavour. Je leur ai dit que je voulais chanter, ils m’ont tout de suite encouragée", se souvient Régine, interrogée par l’AFP en 2020 à l’occasion de la sortie d’un coffret regroupant l’intégralité de sa discographie. "J’ai enregistré mon premier disque en 1963 avec deux titres d’Aznavour [Nounours et Tu m’bats plus]." C’est ainsi que Régine mène, pendant quatre décennies, une double carrière. D’un côté les dance-floors, les fêtes endiablées. De l’autre, les studios, la scène qu’elle enchante un peu partout.

"Mon premier métier, c’étaient les discothèques. Longtemps, la chanson n’a été qu’un passe-temps. Aujourd’hui, je me rends compte que la scène a été la chose plus importante dans ma vie, confesse l’artiste. Enfant, je fredonnais tout le temps… À l’école, j’organisais des spectacles. Très tôt, j’ai été une animatrice". Jamais rassasiée, Régine ajoute même à son C.V. le cinéma dès les années 1960 : des rôles significatifs dans Mazel Tov ou le Mariage de Claude Berri, Le Train de Pierre Granier-Deferre ou encore Les Ripoux de Claude Zidi, dans lesquels elle excelle. Le tout sans jamais abandonner sa carrière d’entrepreneuse, qui connaît son apothéose dans les années 1980.

Une rage de vivre et une vitalité hors du commun

Mondialement connue, elle dirige à cette époque vingt-cinq discothèques en France et à l’étranger, en direct ou en franchise. New York, Miami, Londres, São Paulo, Marbella, Monte-Carlo, Marrakech, Istanbul… Partie à la conquête du monde après avoir enchanté Paris, Régine a tissé sa toile sur tous les continents. Une nuit par ci, une nuit par là… Synonyme de branchitude, de fêtes, de rencontres VIP, ses établissements séduisent la crème de la clientèle étrangère. Et génèrent un chiffre d’affaires de plusieurs millions de francs annuels. Une belle revanche pour celle qui s’est battue toute sa vie pour panser les plaies de ses jeunes années chahutées, conclues par un drame qui la marquera à jamais : la mort de Claude, son "grand amour", arrêté à Lyon par la Gestapo le jour du Débarquement. Elle n’a alors que 15 ans. D’autres traumatismes viendront ébranler sa vie de femme, notamment la disparition, en 2006, de son fils unique, Lionel, fruit de son amour avec Paul Rotcage, à qui Régine reste mariée trois ans, de 1947 à 1950.

JANE BIRKIN, SERGE GAINSBOURG ET REGINE FETENT LA NOUVELLE ANNEE
Jane Birkin, Serge Gainsbourg et Régine célèbrent la nouvelle année 1977. ©  BERTRAND RINDOFF PETROFF / BESTIMAGE

Touchée mais jamais coulée, l’ex-meneuse de revue trouve...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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