Tiphaine, vous avez 36 ans, une vie bien remplie par votre carrière d’avocate et votre rôle de mère de famille. Pourquoi vous lancer dans cette aventure?
TIPHAINE AUZIÈRE: Ma motivation est double: mes enfants et ma région, celle du Montreuillois où j’ai choisi de vivre et travailler. Pour Élise, 7 ans, et Aurèle, bientôt 5 ans, j’ai envie plus tard du meilleur système éducatif possible. Chez nous, cela n’existe pas et implique forcément de partir en internat. À 15 ans, ils n’en auront peut-être pas envie… et moi non plus! J’ai voulu agir tout de suite car je trouve dommage de voir fuir des talents et des potentiels alors qu’il y a tellement de challenges et d’enjeux ici. D’où l’idée de créer un lycée d’excellence, innovant, accessible à tous, empreint d’humanisme. J’en suis la présidente bénévole, à l’image de l’équipe de direction. Comme toutes les écoles qui se créent, nous sommes hors contrat, avec un statut d’association.
Vous évoquez la Côte d’Opale mais nous sommes à Paris, à deux pas du Trocadéro, dans les futures salles de classe…
T. A.: Tout cela est cohérent. Trouver des locaux sur la Côte d’Opale prend du temps car nous voulons y créer un internat. Paris, qui représente un deuxième site, complémentaire, était plus simple à lancer. Nous avons trouvé ces espaces très fonctionnels, 400 m2 en rez-de-jardin. Nous allons commencer petit, par une classe de seconde-première. Puis, l’an prochain, ajouter une terminale. À terme, j’aimerais qu’il y ait des échanges entre les deux sites, tout au long de l’année scolaire.
Comment innover en matière d’éducation?
T. A.: Par les méthodes d’enseignement auxquelles nous croyons, la qualité de l’équipe pédagogique et la mixité des élèves qui fréquenteront ce lycée, boursiers et non boursiers. L’objectif est de leur permettre d’accéder à l’excellence et de les inciter à passer le bac en deux ans pour consacrer une année dite "d’élévation" à chercher leur voie. Ou, s’ils savent ce qu’ils veulent faire, à embrayer tout de suite vers les études supérieures.
Dans vos locaux se trouve déjà La Prépa Autrement, qui prépare les étudiants aux concours des écoles de commerce. Quels sont vos liens?
T. A.: Le lycée et la prépa ont des structures juridiques différentes mais vont avoir les mêmes professeurs et le même esprit d’ouverture vers le monde extérieur. Toute cette aventure a pu prendre corps grâce à ma rencontre avec Christophe Cadet, qui a successivement dirigé deux prépas de qualité, Saint-Jean à Douai et Intégrale à Paris, et qui m’a aidée à construire le projet éducatif.

Christophe Cadet, comment est née l’intuition pédagogique qui guide ce nouvel établissement?
CHRISTOPHE CADET: Il y a plus de quarante ans, j’ai commencé à enseigner l’histoire. Et je constate que, loin de se résorber, les fractures s’exacerbent, se creusent. Jusqu’au bac, le système est moins exigeant qu’avant, exception faite des quelques lycées parisiens à la formation académique solide mais qui se paye humainement un peu cher: on y perd en jeunesse d’esprit et curiosité intellectuelle ce que l’on y gagne en goût de la performance. Nous voulons essayer de réduire cette fracture, enseigner autant la confiance en soi et le sens pratique que les matières indispensables à l’entrée dans des parcours d’exception. Il faut se connaître soi-même pour comprendre un peu le monde. Les professionnels que j’ai interrogés m’ont dit qu’il était possible de préparer le bac en deux ans, en renforçant les fondamentaux, le français, d’abord, la grammaire, la littérature et le vocabulaire, les maths –calcul et logique–, l’anglais bien sûr. Et puis le théâtre, trois heures le samedi après-midi, afin qu’ils maîtrisent la prise de parole dès leur plus jeune âge.
Théâtre le samedi après-midi, cela raccourcit les week-ends…
C. C.: C’est sûr, nous serons stricts. Je dis aux élèves qui se présentent: sache que dans un mois, si tu es ici, tu auras un prof de français qui enseigne aussi en khâgne à Lakanal et à Intégrale. Il te fera connaître Le Rouge et le Noir. Si tu t’attaches à Julien et Madame de Rênal, ça veut dire que tu vas réussir chez nous. Quant au théâtre, c’est apprendre autrement, mémoriser, comprendre le lien entre l’individu et le groupe.
Convaincre les élèves boursiers, cela n’est pas très compliqué, mais les autres, susceptibles d’aller dans les grands lycées parisiens?
C. C.: L’excellence pédagogique est autant un moyen qu’une fin. Elle peut convaincre des gamins de Neuilly qu’il n’y a pas d’infamie ou de préjudice dans leur destin social d’être avec des gamins de Seine-Saint-Denis. S’il s’agit seulement de faire se rencontrer pendant deux ans des gens qui n’auraient jamais dû se croiser, c’est sympathique, mais ça ne sert à rien. Notre idée, c’est qu’avec l’année d’élévation, ces jeunes, parce qu’ils auront été des copains de lycée, poursuivront ensemble des projets d’entreprise. Les enfants de bonne famille ont les codes, une sorte d’aménité qu’ils doivent à leur chance dans la vie mais qui peut les rendre naturellement mous ou désinvoltes. Les adolescents qui n’ont pas eu leur chance dans la vie sont animés, à l’inverse, par la rage de s’en sortir. Ces deux jeunesses ont beaucoup à gagner à vivre un peu ensemble.
Tiphaine, comment allez-vous financer ces bourses?
T. A.: Par des mécènes, pour l’instant anonymes. Le réseau des anciens élèves de Christophe est incroyable. Par ailleurs, le statut d’association loi 1901 nous permet de recevoir des dons via la fondation Kairos d’Anne Coffinier, qui nous soutient. Nous sommes tous bénévoles.
Votre mère, Brigitte Macron, vous conseille-t-elle?
T. A.: Bien sûr, nous en parlons beaucoup ensemble, et je continuerai à le faire au fur et à mesure du développement du projet.
Le fait qu’elle soit professeur de français a-t-il joué dans votre envie de vous lancer dans cette aventure?
T. A.: J’ai eu la chance d’avoir une mère passionnée par son métier, qui plus est en professeur particulier! Il paraît que les enfants d’enseignants ne s’en sortent pas trop mal… J’aimerais que d’autres enfants puissent avoir autant de chance que moi.
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