D’un côté, il y a des meubles contemporains ou Art déco signés Ronan et Erwan Bouroullec, Marc Newson ou encore Eileen Gray. De l’autre, des lots de somptueuses taies d’oreiller bordées de dentelles, des ensembles de mitaines en cuir, des jéroboams de Château Lafite, des Rolls-Royce à 400.000 euros, des figurines ou un ours en peluche à l’effigie de Karl. Et encore, des dizaines de dessins de mode, de bagages signés, de couverts en argent massif de Jean Després ou Puiforcat.
La vente Lagerfeld est à son image : multiple, surprenante, jamais ennuyeuse. Elle raconte le couturier, le décorateur, le photographe, le collectionneur, mais aussi, et c’est plus rare, quelques secrets de l’homme qu’il fut.
Depuis deux ans, la presse, le monde de l’art et la rumeur évoquent une collection qui compterait plusieurs milliers d’objets provenant des différentes résidences de Lagerfeld… De quoi se compose exactement cette collection ?
Elle est très vaste et répartie sur plusieurs sites. Karl Lagerfeld résidait à Paris, où il possédait plusieurs appartements, à Louveciennes, où il avait acquis une propriété, et à Monaco. Il possédait aussi plus de 2.000 objets dans un entrepôt de la région parisienne. L’inventaire général de ce qui était conservé dans ces différents lieux a duré des mois. Il était indispensable de savoir tout ce qu’il y avait afin de proposer cette vente. Elle aura lieu au mois de décembre. Elle comprend 1.500 lots, qui sont un florilège, tout à la fois du goût personnel de Karl Lagerfeld mais aussi de sa vie et de sa carrière.
La principauté de Monaco a souvent été annoncée comme le lieu où se déroulerait cette vente. Le confirmez-vous ?
Une première session aura bien lieu à Monaco les 3, 4 et 5 décembre 2021. Quatre cents objets seront proposés aux enchères durant ces trois journées avec une vente le soir et plusieurs ventes le matin et l’après-midi. Deux cents objets supplémentaires, dont beaucoup de memorabilia, seront vendus dans une vacation "online". Une deuxième session comprenant elle aussi plusieurs centaines de lots aura lieu à Paris, chez Sotheby’s, les 15 et 16 décembre. Ensuite, une troisième session de ventes aura lieu en Allemagne au cours du premier semestre 2022, à l’occasion de l’ouverture de notre salle de ventes à Cologne.
Comment avez-vous réparti les objets dans les catalogues de ces différentes ventes ?
D’abord en fonction de leur localisation géographique, mais aussi selon des critères plus personnels. La vente de Monaco est très liée à l’attachement profond que Karl Lagerfeld éprouvait envers la principauté, dont il était résident. En outre, il entretenait un lien particulier avec la famille princière. Son appartement du Millefiori, l’un des plus beaux immeubles de Monaco, était décoré d’une manière très contemporaine, mais avec d’importantes touches Art déco. L’argenterie était de Jean Després ou de Puiforcat. Le catalogue comporte aussi un portrait du couturier par Takashi Murakami. Dans un tout autre domaine, c’est aussi à Monaco, lors de cette même vente, que seront vendues les trois somptueuses Rolls-Royce qu’il possédait. Chacune d’entre elles est estimée entre 300.000 et 400.000 euros.
Un portrait de Karl Lagerfeld réalisé par Takashi Murakami. © Sotheby's
De quoi se composera la vente online ?
Ce sont des objets plus simples, mais d’une grande qualité. Il y avait chez Karl Lagerfeld un sens du détail haute couture très présent, et les pièces de son quotidien sont souvent des éditions uniques. Les premières estimations se situent aux alentours de 10 à 20 euros pour des objets comme les coupelles de Choupette, le chat adoré du créateur, des dessins, des ensembles de livres, des scrapbooks. N’importe où dans le monde, une personne qui n’a jamais participé à une vente aux enchères mais qui connaît Karl Lagerfeld et qui admire son travail pourra enchérir sur des lots d’éventails ou de mitaines, du linge de maison provenant de l’appartement de Monaco, un casque de chantier ou des figurines Tokidoki à son effigie (entre 200 et 300 euros). Il y aura aussi des accessoires mode, des jéroboams de Château Lafite et plusieurs souvenirs concernant Jacques de Bascher, le grand amour de sa vie.
Un portrait de Jacques de Bascher, qui fut le grand amour du couturier. © West Image
À Paris, est-ce le contenu de l’appartement du quai Voltaire qui sera vendu ?
Ce sera la base de la vente mais pas uniquement. La vente parisienne met en exergue le goût plus épuré que Karl Lagerfeld développe dès le début des années 2000 avec des créations de Martin Szekely, contemporaines d’objets design signés par des artistes que Karl Lagerfeld appréciait énormément. Parmi les lots les plus importants, on peut citer le fauteuil chromé de Marc Newson, que nous avons estimé entre 50.000 et 60.000 euros, ou encore un bureau de Martin Szekely, dont nous espérons 40.000 euros. Plusieurs pièces proviennent de Ronan et Erwan Bouroullec. Louis Süe et André Mare, deux créateurs Art déco de la première période, sont aussi très représentés avec deux coiffeuses, des fauteuils, des guéridons qui se situent tous aux alentours de 10.000 euros. Il y aura aussi des choses amusantes, comme cette statue en faïence et crochet à la main signée Joana Vasconcelos, qui représente Choupette. Elle est estimée entre 5.000 et 7.000 euros. Parmi les ensembles les plus importants se trouvent une extraordinaire collection de valises de Goyard, un lot de 270 somptueuses taies d’oreiller en coton bordées de dentelles et, bien sûr, des dessins et des objets à son effigie.
Pourquoi avez-vous choisi d’organiser une troisième vente en Allemagne ?
D’abord parce qu’il y a un lien profond entre Karl Lagerfeld et son pays. Et aussi parce que certaines pièces de la collection sont très liées à l’Allemagne. Le couturier possédait un important ensemble de gravures expressionnistes allemandes. Nous avons aussi plusieurs pièces signées par Bruno Paul (1874-1968), qui est un architecte designer allemand. C’est d’ailleurs un joli clin d’œil de l’histoire de l’art, puisque Bruno Paul a participé en 1914 à la célèbre exposition du Deutscher Werkbund, qui s’est justement déroulée à Cologne, où nous organisons la troisième session de vente.
Dans sa maison de Louveciennes, la commode jaune est signée du designer allemand Bruno Paul. © Louis Blancard/Art Digital Studio Sotheby's
Sotheby’s s’est montrée très prudente dans les estimations, notamment pour les memorabilia…
Il est certain que la provenance va jouer dans les prix d’adjudication, mais c’est un phénomène qui n’est pas rationnel et que nous ne pouvons pas intégrer dans une estimation.
Karl Lagerfeld a été un important collectionneur de mobilier du XVIIIe siècle français (vendu chez Christie’s en 2000) ou de mobilier Art déco (vendu chez Sotheby’s en 2003). Son goût avait-il beaucoup évolué?
Il a vendu ces collections souvent parce qu’il changeait de cadre de vie, après avoir quitté La Vigie, à Monaco, ou vendu son immense villa de Biarritz. Mais il avait conservé des témoignages importants de ces différents ensembles. À Paris, dans son lieu de travail de la rue de Lille, se trouvait un groupe en plâtre de la fin du XVIIIe siècle qui représente deux femmes tenant une athénienne. C’est un objet important que nous avons estimé 60.000 euros. Dans l’entrepôt de la région parisienne que j’ai évoqué, il avait gardé un très étonnant lit d’époque Louis XVI, estimé entre 20.000 et 30.000 euros, et des lustres du XVIIIe siècle en cristal, bronze ou bois doré. Dans le même entrepôt se trouvaient beaucoup d’objets Art déco, notamment une paire de bases cubiques en bronze doré et marbre vert datant des années 1940.
Connectez-vous pour lire la suite
Profitez gratuitement d'un nombre limité d'articles premium et d'une sélection de newsletters
Continuer
Un journalisme d’excellence, des contenus exclusifs, telle est la mission de Point de Vue. Chaque article que nous produisons est le fruit d’un travail méticuleux, d’une passion pour l’investigation et d’une volonté de vous apporter des perspectives uniques sur le monde et ses personnalités influentes. Source d’inspiration, notre magazine vous permet de rêver, de vous évader, de vous cultiver grâce à une équipe d’experts et de passionnés, soucieux de porter haut les couleurs de ce magazine qui a fêté ses 80 ans. Votre abonnement, votre confiance, nous permet de continuer cette quête d’excellence, d’envoyer nos journalistes sur le terrain, à la recherche des reportages et des exclusivités qui font la différence tout en garantissant l’indépendance et la qualité de nos écrits. En choisissant de nous rejoindre, vous entrez dans le cercle des amis de Point de Vue et nous vous en remercions. Plus que jamais nous avons à cœur de vous informer avec élégance et rigueur.