Apparemment elle a certaines compétences, acquises dans un établissement de Shangaï…" Cette réplique du film Le discours d’un roi, prononcée par le personnage de Queen Mum à propos de Wallis Simpson, prouve à quel point la rumeur a imprégné la culture populaire. Les fameuses "compétences" sagement évoquées par la reine mère à l’écran font référence à une pratique sexuelle, le ‘Shanghai grip’ ou prise de Shangaï. Il s’agit d’une contraction musculaire du vagin dont la légende dit que Wallis Simpson l’aurait découverte dans les bordels chinois, avant de la mettre à profit pour ensorceler les hommes.
Le site des éditions de l’université d’Oxford donne d’ailleurs comme définition du ‘Shanghai grip’ : "technique sexuelle prétendument maîtrisée par la divorcée américaine Wallis Simpson qui ‘donne à une allumette l’impression d’être un cigare’." Or contrairement aux apparences, tout l'intérêt de cette définition réside dans le "prétendument".
Enquête sur le dossier chinois : Wallis victime d’un complot ?
Dix ans avant de faire la rencontre du prince de Galles, en 1923 Wallis suit à l’autre bout du monde son premier époux, le comte Winfield Spencer Jr, un alcoolique volage et violent envoyé commander le USS Pampanga, navire de l’armée américaine stationné en mer de Chine. Leur mariage prend l’eau, chacun entretient des liaisons adultères et à l’occasion d’une énième rupture, Wallis prend la décision de partir seule faire un tour de Chine. C’est du mystère de cette escapade en solo que naîtront les rumeurs.
Au début des années 1930, alors que Wallis revient en Europe et commence à fréquenter l'héritier de la couronne, l’establishment britannique voit cette liaison d’un très mauvais œil. On commence alors à parler d’un "dossier chinois" la concernant. Il se raconte que Wallis a eu "d’innombrables liaisons" au cours de son séjour en Chine, dont une avec le comte Ciano, un diplomate fasciste devenu entre temps le gendre de Mussolini. On raconte aussi qu’elle aurait posé pour des clichés pornographiques devant l'objectif de l’hôtelier Victor Sassoon, subi un avortement qui l’aurait rendue stérile, ou encore travaillé pour des gangsters de la mafia chinoise afin d'éponger ses dettes de jeu et assouvir un goût prononcé pour l’opium. Pour autant, il n’existe aucune preuve pour appuyer ces histoires.
Dans son prochain ouvrage à paraître le 12 novembre en édition anglaise, Her Lotus Year: China, The Roaring Twenties and the Making of Wallis Simpson (traduisez Son année du Lotus : la Chine, les folles années 20 et la fabrique de Wallis Simpson), l’historien britannique Paul French, spécialiste de la Chine et installé depuis des années à Shangaï, s’emploie à démêler le vrai du faux dans cette fameuse affaire du "dossier chinois". Un dossier qui a fait grand bruit en Angleterre sans que personne n’ait jamais pu le consulter. "J’adorerais que quelqu’un se manifeste en disant qu’il l’a trouvé dans le grenier de sa grand-mère, parce qu’alors on pourrait l’analyser mot à mot et prouver ce qui est faux" explique l'auteur à nos confrères du Times.
Une campagne orchestrée par l’establishment britannique
"Avec Her Lotus Year, j’espère montrer une Wallis très différente de celle que tout le monde croit connaître" explique Paul French. "L’année que Wallis a passé en Chine lui a permis de devenir indépendante, de se prouver qu’elle pouvait naviguer dans une société cosmopolite et se faire sa propre place dans le monde. C’est, pour le dire simplement, l’histoire originelle de Wallis, la duchesse de Windsor".
Celle qui dix ans plus tard a su conquérir le cœur du futur Édouard VIII, qui abdiquera pour l’épouser, a-t-elle alors été victime d’un complot, d’une campagne de dénigrement orchestrée pour la décrédibiliser aux yeux du public ? Et, par ricochet, porter atteinte au futur souverain ? C’est la question que soulève l’éclairage amené par les recherches de l’auteur. Pour French, l’exotisme affriolant de ces rumeurs associé à la sinophobie ambiante qui régnait à l’époque en Angleterre auraient favorisé la propagation de ces ragots, puis leur inscription dans l’imaginaire collectif. "Si son mari avait été en poste à Portsmouth, je ne pense pas que nous parlerions du dossier de Portsmouth" pointe-t-il.
"Ils voulaient juste saboter cette relation"
Après enquête, l’auteur évoque la figure d'un agent des services secrets qui pourrait être à l’origine de l’affaire du "dossier chinois". French cite le nom de Harry Steptoe, qui dirigeait alors les services de renseignements britanniques en Extrême-Orient depuis Shangaï. "Il était incroyablement puissant, et la seule personne qui aurait pu avoir connaissance de telles affaires en Chine." Et les relayer jusqu'en Grande-Bretagne ?
Dans son ouvrage l'historien tend à montrer que la plupart de ces rumeurs ne tiennent pas la route. Bien sûr, il y avait parfois un fond de vérité dans certaines : Wallis a par exemple bien entretenu une liaison en Chine avec un officier de marine italien, Alberto de Zara. Mais pas avec le comte Ciano, future figure clef du régime fasciste et gendre de Mussolini - qui n’est arrivé dans le pays que quelques années après le départ de Wallis.
Même problème avec la rumeur de clichés pornographiques prétendument réalisés par Victor Sassoon et jamais retrouvés. S'il était bien adepte de la photographie érotique, à l'époque où Wallis vivait en Chine le magnat de l’hôtellerie résidait lui à Bombay, en Inde. Ils n'ont donc pas pu se croiser. Quant à la fameuse technique sexuelle du 'Shanghai grip', à laquelle Wallis aurait été initiée dans les bordels locaux, encore eut-il fallu qu’elle fréquente ce genre d’établissements - ce qui, d’après l’auteur, était impensable pour une américaine de son statut à l’époque. "Ils voulaient juste saboter cette relation, d’une manière ou d’une autre" conclut French à propos de l'impact de ces rumeurs sur son histoire avec le futur Édouard VIII.
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