Des nombreux modistes de la reine, elle est sans doute celle qui a eu le parcours le plus atypique. Née en 1925, Marie O'Regan perd son père quand elle n'est qu'une enfant. Sa mère émigre alors en France et s'installe avec ses enfants à Paris : deux filles et un garçon. La famille vit très modestement. Douée pour le dessin, la petite fille renonce à intégrer une école d'art, faute de moyens, et se tourne vers le métier de modiste. Après son apprentissage, elle rejoint l'atelier de Gilbert Orcel où elle se perfectionne puis décide de s'installer en Angleterre, quelques mois croit-elle, pour y apprendre l'anglais. "Je n'imaginais pas une seconde rester et surtout qu'un jour je ferais des chapeaux pour la reine", nous confie-t-elle en février 2021 lors d'un entretien. Elle fabriquera pourtant plus de deux cents chapeaux pour Élisabeth II, en collaboration avec le couturier Ian Thomas avec qui elle noue une amitié sincère dans les années 1990. Ce dernier lui écrira d'ailleurs : "J'apprécie et j'admire votre incroyable vision artistique. Vous m'avez redonné vie !"

Parmi les réalisations les plus marquantes, l'incroyable pillbox en velours rose fuchsia, flanqué d'un gigantesque nœud, porté le 6 mai 1994 pour l'inauguration du Tunnel sous la Manche. "Faire un chapeau, c'est être sculpteur", raconte volontiers Marie O'Regan. Devant le succès rencontré par ce modèle, un second "à pois", verra également le jour, étrenné lors d'une visite d'État en Hongrie en 1993.

Autre couvre-chef entré dans l'histoire, une toque en tissu moulé rouge dont le drapé évoque un turban. Élisabeth II le porte notamment pour faire ses adieux au Britannia, le 11 décembre 1997. "Pour ce chapeau, j'avais dû fabriquer une forme que j'ai montrée à la reine. Nous devions ensuite choisir un feutre. Mais, faute de trouver la teinte qui convenait, nous avons décidé de le faire avec le tissu du manteau".

Être modiste de la reine offre à Marie O'Regan l'occasion d'approcher la souveraine dans l'intimité, notamment lors des essayages qui ont lieu au palais de Buckingham. Un véritable rituel au cours duquel la reine laisse parfois tomber le masque. "Elle est la cliente la plus agréable que j'ai connue ; et j'ai vu beaucoup de femmes venir commander des chapeaux et être très difficiles", se souviendra Marie O'Regan. "C'est une personne avec qui j'aurais pu être amie. Pendant les essayages, elle adorait imiter mon accent français."
À la fin des années 1990, les commandes de Buckingham se font de plus en plus rares. Marie O'Regan n'abandonne pas son métier pour autant. À son domicile, dans sa petite cuisine, elle forme une nouvelle génération de modistes qui lui rendent fréquemment visite. Appréciée de tous pour son humour et sa vivacité, la modiste s'est éteinte paisiblement chez elle. Nos pensées vont à ses proches, notamment ses fils Stephen et Michael.