"Les garçons, je vous en supplie, ne faites pas de mes dernières années un supplice." Tels auraient été les mots prononcés par le roi Charles III — à l’époque prince de Galles — après avoir été le témoin d’une violente altercation entre ses deux fils, en avril 2021, alors que viennent de se dérouler les obsèques du prince Philip. La phrase est écrite en toutes lettres dans Le Suppléant – Spare, dans sa version originale –, autobiographie sortie le 10 janvier 2023 dans le monde entier et traduite en dix-sept langues.

Ce n’est pas la révélation la plus croustillante de l’ouvrage, loin de là, mais elle surnage dans ce torrent de confessions, publié après six jours de fuites, de polémiques à tout-va, dans une frénésie médiatique quasi inégalée depuis la sortie de Diana, sa vraie histoire d’Andrew Morton, voici un peu plus de trente ans. Au fil des 534 pages du livre, ce "Ne faites pas de mes dernières années un supplice" résonne comme un vœu pieux, pire encore, comme un terrible aveu d’échec. Car c’est bien d’un "supplice" dont il s’agit, ou du moins d’un nouvel incendie allumé avec soin par le duc de Sussex, quatre mois seulement avant le couronnement de son père.
Une autobiographie sans filtre
Que retenir de ce livre, de loin le plus attendu de l’année, propulsé en tête des ventes bien avant sa sortie, et dont les Espagnols ont eu la primeur, certains libraires ayant délibérément brisé l’embargo ? D’abord, que le prince Harry ne mâche plus ses mots, qu’il est prêt à tout dire, à tout dévoiler, même les détails les plus intimes — certains diront les plus scabreux — de son existence. Si les six épisodes de la série documentaire Harry & Meghan, diffusée sur la plateforme Netflix en décembre dernier, ont déçu les fans par la relative faiblesse des révélations pourtant promises, les lecteurs de Spare, eux, en apprennent parfois peut-être plus qu’ils n’auraient souhaité.
Au fil des pages, on découvre, pêle-mêle, que le duc de Sussex a perdu sa virginité à 17 ans dans un champ avec une femme plus âgée que lui — une cavalière qui l’a traité "en étalon" —, qu’il a appris la mort de la reine en consultant le site Internet de la BBC, ou encore qu’il a abattu vingt-cinq talibans quand il servait en Afghanistan…

Une information qui n’a pas manqué de faire bondir les cadres de l’armée britannique et, avec eux, quantité de vétérans, l’usage voulant qu’un soldat, même après avoir quitté le service, ne s’ouvre jamais publiquement sur le nombre d’ennemis neutralisés, tant par respect humain que pour des raisons de sécurité. Dans ce flot ininterrompu de confidences, mis en musique par un prête-plume couronné d’un prix Pulitzer, difficile d’y voir clair. L’effet produit est parfois proche de la cacophonie. Le résultat, sans doute, d’une juxtaposition de voix qui se répondent. Car à celle du prince incompris et cadet négligé, se mêle celle de l’enfant inconsolable, l’orphelin qui pleure encore la disparition de sa mère, faute d’être parvenu à en faire le deuil.
L'histoire d'un orphelin
"Je n’ai pleuré qu’une fois, lors de l’inhumation", a assuré Harry sur ITV, dans l’unique interview accordée à la télévision britannique pour la promotion de l’ouvrage, diffusée dimanche 8 janvier 2023. Face caméra, le duc de Sussex ressuscite certains de ses plus douloureux souvenirs, notamment le malaise ressenti face aux foules éplorées se pressant devant le palais de Kensington. "Il y avait des dizaines de milliers de bouquets de fleurs pour notre mère et nous serrions la main de tous ces gens en souriant… Ces mains, nous ne comprenions pas pourquoi elles étaient mouillées, mais c’était toutes les larmes que ces gens essuyaient."

Harry avait alors 12 ans. Et l’homme qu’il est devenu d’ajouter : "Tout le monde pensait et avait l’impression de connaître notre mère, et les deux personnes les plus proches d’elle [William et Harry, ndlr], les deux personnes qu’elle aimait le plus, n’ont pu montrer aucune émotion à ce moment-là." Même écho tragique dans Spare : "Ce dont je me souviens avec une clarté étonnante, c’est que je n’ai pas pleuré. Pas une larme. Mon père ne m’a pas embrassé." Larmes défendues ? Confisquées ? Celui qui s’apprête à entrer dans l’adolescence est surtout soufflé par la déflagration d’une nouvelle qu’il ne veut pas croire, qu’il ne peut pas croire. Trop abrupte, trop irréelle. Et si Diana n’était pas vraiment morte ? Toujours dans son autobiographie, Harry avoue qu’il a cru un temps que sa mère s’était "enfuie", qu’elle avait voulu échapper à "sa vie malheureuse", l’hypothèse d’une mise en scène, d’un nouveau départ, dans l’anonymat, étant plus acceptable pour le jeune garçon qu’une mort injuste, ressentie comme absurde, et d’une séparation définitive.

Harry livre d’ailleurs qu’il a ressenti le besoin d’aller lui-même dans le tunnel du pont de l’Alma. Alors qu’il est à Paris pour la Coupe du monde de rugby de 2007, il demande au chauffeur qui le conduit de suivre le même itinéraire et de rouler à la même vitesse que la voiture empruntée par Dodi Al-Fayed et la princesse de Galles dans la nuit du 30 au 31 août 1997. Il veut pouvoir juger par lui-même "la bosse qui a, soi-disant, fait dévier la Mercedes de maman". Les conclusions de l’enquête sur l’accident sont connues depuis longtemps… Qu’importe, elles ne le satisferont jamais pleinement.
Cherchant une explication à tout prix, Harry n’hésite pas à consulter la voyante Sally Morgan, amie intime de Diana. "Alors, que pensez-vous de la façon dont ma mère est morte ?", l’interroge le prince. Une autre médium — dont on ignore l’identité — lui aurait permis d’entrer en contact avec la défunte. Cette femme douée "de pouvoirs" aurait affirmé que Diana veillait toujours sur son frère et lui, et qu’elle était satisfaite de ses choix, qu’il puisse mener "la vie qu’elle avait toujours voulue pour lui. Une vie qu’elle avait aussi voulue pour elle."

Étonnamment, Élisabeth II est assez peu présente au long de cette autobiographie, tout comme le prince Philip, figures presque lointaines, inatteignables. Ce qui n’empêche ni la bienveillance, ni l’affection sincère. Ainsi, Harry raconte la dernière conversation qu’il a eue avec sa grand-mère, quatre jours avant sa disparition : "Nous avons abordé quantité de sujets. Sa santé, bien sûr. Le chaos du 10 Downing Street, les Braemar Games auxquels elle était désolée de ne pouvoir assister […]. Elle riait. Je lui ai dit de prendre soin d’elle et que j’avais hâte de la revoir."
Camilla, "l'autre...
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