"Est-ce que vous cherchez à démêler le vrai du faux quand vous regardez The Crown ?", demande avec malice l’animateur américain Stephen Colbert. Bon client, Harry admet en riant que oui, c’est quelque chose qu’il fait... Il en profite pour ajouter d’un ton triomphant, désignant son livre paru le 10 janvier, raison de sa présence sur le plateau de ce Late Show : "Voilà pourquoi il est si important de relater l’Histoire avec exactitude !"
Un prince à la mémoire "parcellaire"
Le duc de Sussex considère Le Suppléant (Spare) – le livre-confession vendu à 1,4 million d’exemplaires pour la seule langue anglaise le jour de sa sortie – comme sa croisade personnelle pour la vérité. À ses yeux, tout y est vrai. Harry lance quand même en guise d’avertissement dès les premières pages : "Les choses dont je me souviens, la façon dont je m’en souviens, sont tout aussi véridiques que les faits prétendument objectifs. La chronologie, les relations de cause à effet – ce genre de considérations ne sont le plus souvent que des fables dont nous nous berçons pour raconter le passé." Un postulat qu’apprécieront les historiens. Il explique aussi que depuis le traumatisme causé par la mort de sa mère Diana, sa mémoire est "parcellaire" et ne retient plus les choses comme avant.

Quelques pages plus loin en effet, parmi d’autres incohérences, le prince se trompe sur le souvenir du jour où il a appris la mort de son arrière-grand-mère, la reine mère. Il raconte qu’il était à Eton, en train de réviser, quand il a reçu un appel. "J’aimerais me rappeler à qui appartenait la voix à l’autre bout du fil ; un membre officiel de la Cour, je crois, écrit-il. Je me souviens que c’était juste avant Pâques ; il faisait un temps magnifique, l’air était doux et la lumière du jour inondait ma chambre, y déversant ses couleurs vives. 'Votre Altesse Royale, la reine mère est morte'." En dépit de ces détails bucoliques et météorologiques, il s’avère que ce fameux 30 mars 2002, Harry n’était pas à Eton mais à Klosters, en Suisse, en vacances au ski avec son père Charles et son frère William. Tous les trois ne sont rentrés au pays que le lendemain de la triste annonce. De quoi troubler le lecteur et entamer la crédibilité de l’auteur.
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La mémoire de Harry se fait plus pointilleuse en revanche quand le journaliste britannique d’ITV, Tom Bradby, avance face à lui : "Dans l’interview à Oprah, vous accusez des membres de votre famille de racisme..." "Non, le coupe sèchement le prince. C’est la presse britannique qui a dit ça. Meghan a-t-elle dit : 'Ils sont racistes' ?" Le mot n’a en effet pas été prononcé : son épouse s’était contentée d’avancer qu’un membre de la famille royale avait émis des questions sur la couleur de peau de leur enfant à naître. Une remarque qui a tout de même fait couler beaucoup d’encre ces deux dernières années, au point que le prince William était sorti de son mutisme pour assurer à un journaliste qui l’interpellait à ce sujet : "Nous ne sommes pas une famille raciste."

Peut-être Harry et Meghan auraient-ils pu dénoncer l’emballement et calmer ces rumeurs plus tôt ? Étonnamment, la biographie de Harry ne revient à aucun moment sur cet épisode. Mais le 6 décembre dernier, à New York, les Sussex acceptaient avec fierté un prix de la Fondation Robert F. Kennedy pour les droits de l’homme récompensant leur "travail pour la justice raciale". La présidente de la fondation, Kerry Kennedy, s’était dite fière avant la cérémonie de couronner le courage du couple d’avoir dénoncé le "racisme structurel" qui gangrène "l’une des plus vieilles institutions du Royaume-Uni".
Charles et William pourront-ils pardonner Harry ?
"Rien de tout ce que j’ai pu écrire n’a pour but de blesser ma famille", certifie Harry dans une interview à CBS. Sur ITV, il assure encore : "Je voudrais retrouver mon père. Je voudrais retrouver mon frère." Des vœux étonnants après qu’il leur a tiré dessus à boulets rouges dans son livre, accusant son frère de violents accès de colère, et son père de manquer de chaleur. Harry dit garder l’espoir d’une discussion franche, d’excuses de leur part puis d’une réconciliation. Il semble ne pas considérer comme une entrave à ces retrouvailles ses retranscriptions en verbatim du sommet de Sandringham, ou des conversations privées qui ont eu lieu après les obsèques du prince Philip, ou encore des textos échangés entre Kate et Meghan. Il ne s’empêche pas non plus de soutenir sans ironie apparente à Tom Bradby : "Je ne sais pas s’ils vont regarder [cette interview] ou pas, mais ce qu’ils ont à me dire et ce que j’ai à leur dire restera privé, et j’espère qu’il pourra continuer à en être ainsi."

Comment croire à cette promesse alors même qu’il est en train de multiplier les révélations sur sa famille en 16 langues et face caméra ? Comment oublier qu’il accuse Camilla d’avoir fait fuiter des informations à la presse après sa première rencontre avec William, et de l’avoir sacrifié lui au profit d’une campagne de réhabilitation de son image ? Charles ne lui tiendra-t-il pas rigueur d’avoir écrit qu’il ne sépare jamais de Teddy, l’ours en peluche qu’il chérit depuis l’enfance, ou encore qu’il fait tous les matins le poirier en sous-vêtements pour tenter de soulager son éternel mal de dos ? William pourra-t-il lui pardonner de l’avoir présenté comme un être sanguin, incontrôlable, soulevant en creux la question de sa capacité à faire un bon roi ?

Du côté du Palais, aucun commentaire officiel n’a été communiqué, et il est probable que cela reste ainsi. Kristina Kyriacou, ancienne responsable de la communication de Charles, estime que "la stratégie consistant à garder le silence est pour le moment tout à leur avantage. Mais je pense qu’il est difficile pour les membres de la famille royale d’envisager une réconciliation maintenant que la confiance a été rompue." Du côté du public, les derniers sondages YouGov montrent que jamais le prince Harry n’a si peu été soutenu. Quatre Britanniques sur dix estiment qu’il n’a écrit ce livre que pour l’argent, et 68% des personnes interrogées disent avoir de lui une opinion négative. Une chute de popularité inédite, y compris auprès des 18-24 ans, qui autrefois le considéraient comme leur chouchou.
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