"Massive hausse de salaire", "les revenus du roi vont doubler", "53,4 millions d’euros de plus pour Charles III"… La presse britannique joue franc jeu depuis la publication du rapport annuel sur les finances du Crown Estate, le domaine de la Couronne, le 24 juillet dernier. Le bilan révèle un profit record passant de 524 millions d’euros à 1,3 milliard d’euros sur une année fiscale - au Royaume-Uni, celle-ci débute et se termine en avril. La monarchie, qui perçoit un pourcentage de ce montant pour financer son fonctionnement, devrait ainsi voir sa dotation accroître considérablement. Des chiffres qu’il convient pourtant de nuancer puisque cette augmentation n'est en effet ni durable, ni immédiate et encore moins destinée à enrichir la fortune personnelle de Sa Majesté.
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Plus que pour toute autre monarchie européenne, comprendre le financement de la cour de Saint James relève parfois du casse-tête. Pour couvrir les dépenses du roi et de sa famille liées à leurs devoirs officiels - à l’exception du prince et de la princesse de Galles, dont les activités sont financées par le duché de Cornouailles - les Windsor peuvent compter sur le Sovereign Grant, mis en place en 2012. Avec ce système, la Couronne s’auto-finance. Alors que depuis 1760 les revenus du Crown Estate étaient reversés entièrement à l’État, un pourcentage de ses recettes est désormais affecté au fonctionnement de la monarchie. Cette part est fixée par le gouvernement sur la base d’une moyenne des deux années précédentes. Pour l’année fiscale 2022-2023, elle s’élevait à 25% des bénéfices du domaine de la Couronne. Ce qui représente environ 101 millions d’euros, dont 40% rien que pour les travaux de rénovation du palais de Buckingham, estimé sur dix ans à près de 448 millions d’euros.
Comment expliquer cette croissance inédite ?
L’insolente rentabilité du Crown Estate s’explique en grande partie par l’étendue de ses biens. Le Washington Post estime qu’il détient un peu plus de 1% de la surface du Royaume-Uni. Des terres agricoles, mais aussi des parts importantes du centre de Londres mais qui n’appartiennent pas au roi à titre privé. C’est pourtant du côté des eaux territoriales britanniques qu’il faut chercher la soudaine et remarquable performance de cette année. La couronne ne possède rien de moins que la quasi-totalité des fonds marins au large du pays, de la basse mer jusqu’à 22 kilomètres des côtes. Ainsi, aucun projet de parc éolien offshore ne se fait sans une licence du Crown Estate. Une mine d’or alors que l’énergie éolienne est devenue la seconde source d’électricité au Royaume-Uni en 2023. "Une année aux résultats records qui s’explique par des décennies d’investissement dans l’éolien offshore […] montre comment le domaine de la Couronne continue d’offrir une plus-value économique, sociale et environnementale à la nation", peut-on lire dans le rapport de cette année. Les six nouvelles fermes éoliennes offshore actuellement en construction devraient fournir de l’électricité pour sept millions de foyers d’ici 2030.

Charles III va pourtant devoir s’armer de patience avant de percevoir les dividendes d’un succès qui est en partie le sien, lui qui a toujours plaidé pour un investissement de la Couronne dans les énergies renouvelables. C’est sur les années 2025-2026 et 2026-2027 que le budget de la monarchie va voir ses revenus passer de 101 millions à 154 millions d’euros. Buckingham a déjà fait savoir que la différence perçue serait allouée à la rénovation du palais. Ces chiffres sont pourtant en deçà de ce qui aurait dû revenir aux caisses royales selon la règle des 25%. En bons gestionnaires, les administrateurs du Crown Estate ont anticipé le soudain boom de ses bénéfices et revu à la baisse le pourcentage alloué à la Couronne, qui s’élève désormais à 12%. Sans cette intervention, le montant reversé se serait élevé à 326 millions d’euros. Un chiffre politiquement intenable qui dépasse largement les besoins nécessaires au bon fonctionnement de l’institution. Sir Michael Stevens, le gardien de la cassette royale, a d’ores et déjà annoncé qu’une "réduction du Sovereign Grant serait demandée en 2026-2027" pour revenir aux 60 millions d’euros que coûtait la monarchie avant la rénovation, étalée sur une décennie, du palais de Buckingham.
Le rapport publié ce 24 juillet revient aussi en détail sur la façon dont la Couronne utilise cet argent. Sur l’année fiscale écoulée, environ 4,6 millions ont été affectés aux frais de transport des membres de la famille royale dans l’exercice de leurs fonctions. Crise énergétique oblige, la facture d’électricité des Windsor a augmenté d’un million d’euros pour atteindre 2,6 millions d’euros. Au total, les membres de la famille royale ont accompli 2.300 engagements officiels, pour un coût incluant le transport et les frais de service de 4,9 millions d’euros. Les frais de bouches relatifs aux réceptions, dîners, garden parties et investitures, qui ont rassemblé sur l’année 105.000 personnes, s’élèvent à 1,7 million d’euros. Quant aux frais liés au couronnement de Charles et Camilla, environ 700.000 euros ont été dépensés, notamment dans l’ajustement des couronnes du roi et de la reine, ainsi que la création de leur traine. Le poste de dépense le plus important reste les salaires des 508 employés de la Maison du roi avec 37,8 millions d’euros.

L’achat de deux nouveaux hélicoptères, en remplacement de deux modèles vieux de 15 ans, est aussi à noter. "Essentiels pour la famille royale afin de se déplacer dans des localités difficiles d’accès", selon le rapport, ils sont aussi un gain financier par rapport au coût astronomique de la sécurisation d’un voyage en train. L’empreinte carbone est également plus faible que celle d’un vol en avion.
"L’obsession de William pour la confidentialité"
Si certaines critiques se font déjà entendre sur l’augmentation de la somme perçue par Charles III, elles restent anecdotiques, le palais ayant fait un important travail de pédagogie pour en expliquer les raisons. Un désir de transparence de la part du roi que ne semble pas partager son fils et successeur. Le prince de Galles, dont les activités officielles sont financées par les revenus tirés du duché de Cornouilles, a préféré ne pas révéler, dans le rapport du Sovereign Grant, le montant des impôts dont il s’est acquitté.
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Une discrétion qui tranche avec le précédent établi par son père lorsqu’il était lui-même héritier du trône. "Rien ne l’oblige à révéler ce montant", explique-t-on au palais de Kensington, la résidence officielle de Kate et William, qui assure en même temps que le fils aîné du souverain paye un montant "approprié". Sur X (anciennement Twitter), l’ancien correspondant royal de la BBC Peter Hunt dénonce "l’obsession de William pour la confidentialité", une attitude qui "pourrait devenir intenable dans les prochaines années" selon lui.