Alastair Bruce of Crionaich : "Charles III a été très impressionnant"

Gouverneur du château d’Édimbourg, sir Alastair Bruce of Crionaich n’est pas seulement un proche de la famille royale, parrain du vicomte Severn, il est aussi le seul à avoir interviewé Élisabeth II à la télévision. Le 6 mai, il commentera le couronnement de Charles III. Conseiller historique sur le tournage de Downton Abbey, il raconte la monarchie comme personne. Entretien exclusif.

Par Thomas Pernette - 09 mars 2023, 09h00

 Sir Alastair Bruce of Crionaich, au château d'Édimbourg.
Sir Alastair Bruce of Crionaich, au château d'Édimbourg. @ Rich Dyson

En septembre dernier, le monde entier était en deuil. En tant qu’expert, vous avez commenté à la télévision les obsèques de Sa Majesté la reine Élisabeth II. Quels souvenirs en gardez-vous ? La disparition de la reine Élisabeth II était une chose à laquelle nous nous attendions, ce qui était parfaitement normal vu son grand âge. Je pense qu’elle a eu une belle vie et une belle mort. En tant qu’Écossais, je suis très touché que les anges soient venus la chercher alors qu’elle était en Écosse. L’Écosse comptait beaucoup pour elle. Le fait qu’elle soit le premier monarque à s’éteindre ici depuis Jacques V, en 1542, est saisissant. Le temps a été comme suspendu pour les Britanniques, tout comme pour celles et ceux qui, dans le monde, souhaitaient partager ce moment de recueillement.

Qu’avez-vous ressenti personnellement ?

Je ne veux pas réduire l’instant à sa seule trisesse – je suis sans doute d’un autre temps – car il y a aussi quelque chose de beau dans la longue existence de la reine. Évidemment, sa disparition m’attriste car sa présence était une constante de la vie publique britannique. Elle était excellente dans son rôle. Elle incarnait la monarchie avec un tel calme, elle était un tel soutien pour la nation ! En outre, ayant connu Sa Majesté grâce à ma mère – toutes deux sont devenues amies en 1951 –, j’ai eu la chance de la voir de nombreuses fois. Mais bien sûr, c’est toujours diffcile de perdre quelqu’un qu’on a le sentiment d’avoir bien connu.

Vous évoquiez le lien profond qui unissait Élisabeth II à l’Écosse. Le roi Charles III éprouve-t-il le même attachement ?

Le roi Charles III est vraiment très attaché à l’Écosse. Il avait une profonde affection pour sa grand-mère [Queen Mum, ndlr], qui était elle-même écossaise. Il a passé beaucoup de temps avec elle dans sa résidence de Birkhall et il a choisi de conserver cette propriété après sa disparition. 

Alastair Bruce
Le major-général Alastair Bruce of Crionaich a reçu Point de Vue au château d’Édimbourg dont il est gouverneur depuis juin 2019. © Rich Dyson

Vous savez, les Écossais sont des gens de la terre. La chose appréciable avec eux, c’est qu’ils vous disent automatiquement ce qu’ils pensent. C’est très rassurant pour un souverain. Les membres de la famille royale ont toujours été entourés d’Écossais qui savaient les cerner... L’honnêteté écossaise est proverbiale. Et le roi connaît aussi très bien la nature, la beauté des Highlands. Ses deux parents lui ont appris à apprécier ces paysages quand il était enfant, l’été, à Balmoral.

Comment décririez-vous les premiers pas de Sa Majesté comme souverain ?

Quand vous commentez un événement à la télévision, vous êtes à la fois le témoin de ce que vous découvrez en direct – comme le conseil d’accession et la proclamation de Charles III au palais St James – et vous essayez d’expliquer aux téléspectateurs ce qu’ils regardent exactement ! Vous tentez de rendre la chose compréhensible, accessible. Construire des récits peut vous y aider. J’ai consacré ma vie à l’histoire et à la façon dont on pouvait la présenter pour qu’elle ne paraisse pas indigeste. Voir le roi à la tâche, à un moment où il vivait un deuil personnel, était très impressionnant. Sa visite des quatre composantes du Royaume-Uni dès les premiers jours de son règne a dû être éprouvante. Vous pouviez voir que les gens ne l’approchaient plus de la même manière. C’est amusant parce que je travaille aussi dans un monde où des comédiens viennent me demander conseil quand ils doivent interpréter un rôle dans un film ou une série historique. En réalité, quand vous devez jouer le rôle du roi, vous n’agissez pas différemment. Ce sont les autres qui se comportent différemment à votre encontre. Vous pouvez voir comment Charles III réagit à tout cela. Inspiré par l’exemple de sa mère – peut-être se souvient-il aussi de son grand-père George VI ? –, je trouve qu’il fait cela admirablement bien.

La reine Camilla au dîner d'État donné à Buckingham en l'honneur du président sud-africain Cyril Ramaphosa, le 22 novembre 2022.
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Quels défis la monarchie doit-elle affronter en 2023 ?

Les souverains devront toujours assumer leurs devoirs constitutionnels. Leur rôle évolue avec le temps, bien sûr. Être roi demande une grande capacité d’adaptation pour incarner l’âme de la nation. Les leçons du passé peuvent l’y aider. Mais le passé ne fait pas tout. Le passé ne vous donne pas la force de façonner l’avenir.

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Alastair Bruce of Crionaich lors de l’ouverture du Parlement, à Londres, le 10 mai 2022. © Getty Images

Que dire de la nouvelle génération ? L’institution monarchique semble bien lourde pour certaines épaules...

Je ne suis qu’un soldat. En tant que soldat, je sais qu’il y a toujours des défis, des obstacles. Vous pouvez surmonter ces obstacles en vous entraînant. Soit l’entraînement vous réussit, soit il ne vous réussit pas. C’est une question d’individu. Les membres actifs de la famille royale puisent dans la formation que la vie leur donne. Ils font tout pour soutenir le monarque. Je peux juste imaginer combien c’est difficile. Notre vie à tous est difficile. D’ailleurs, je ne crois pas que la vie ait pour vocation la facilité. Allons, nous devons tous faire face ! C’est justement cela la vie.

En tant que gouverneur du château d’Édimbourg, quel est votre rôle ?

Mon rôle de gouverneur est de représenter le roi dans l’enceinte du château et d’être son représentant à l’extérieur quand l’Armée ou le souverain lui-même me le commandent. Cela étant dit, je dois être présent lors des cérémonies officielles en Écosse comme, par exemple, quand le lord haut-commissaire de l’Assemblée générale de l’Église d’Écosse vient au château. C’est un moment peu connu, même des Écossais, et pourtant, pendant une semaine, ce dernier a le même rang que le roi lui-même. La mission traditionnelle du gouverneur est de s’assurer de la sécurité du monarque ou de ses représentants quand ils sont en Écosse. 

Alastair Bruce
Élisabeth II et le major-général lors de la cérémonie de remise des clefs de la ville d'Édimbourg, en juin 2021. © Getty Images

C’est aussi de faire tirer les salves d’honneur quand le roi vient, et aussi pour son anniversaire, pour son couronnement, pour l’anniversaire de son couronnement ou pour l’anniversaire du duc de Rothesay, titre que porte le prince William en Écosse.

Vous avez derrière vous une longue carrière dans l’armée britannique. Pouvez-vous nous en dire plus ?

J’ai rejoint l’armée en 1979, quand j’avais 18 ans, et je ne l’ai plus quittée. J’ai d’abord été un soldat d’active. Après ma formation d’officier à Sandhurst, à 19 ans, j’ai été envoyé en Irlande du Nord et j’ai servi à Belfast. Puis, en tant que Scots Guards, j’ai pris part à la guerre des Malouines en 1982. J’ai quitté le service actif l’année d’après et j’ai immédiatement réintégré l’armée en tant que réserviste. J’ai travaillé au sein du service de presse de la Défense avant d’atteindre des postes de commandement. Je suis aujourd’hui major-général et je suis convaincu que j’ai le meilleur poste parce que, né en Écosse, être le gouverneur du château d’Édimbourg est un immense honneur qui s’accompagne de quelques responsabilités. Cette année, nous aurons sans doute une autre cérémonie quand le roi recevra les Honneurs de l’Écosse – la couronne, le sceptre et l’épée qui sont les symboles du royaume et sont conservés au château. J’aurai le privilège d’être un acteur de cette cérémonie.

En 2017, vous avez enregistré une conversation avec la reine qui a été diffusée sur la BBC. Élisabeth II, pour la première et unique fois, évoquait son propre couronnement. Parlez-nous de ce moment...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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