Au téléphone, la voix est lasse, presque désabusée. Patrice Pastor ne souhaite plus s’exprimer dans la presse. L’un des héritiers de l’une des plus grandes fortunes monégasques répond pourtant très poliment depuis Londres, où il se déplace fréquemment pour gérer l’une des antennes du groupe Pastor, dont le logo rouge et blanc — les couleurs de la Principauté — s’affiche au fronton de la plupart des chantiers.
"On essaie de détourner le projecteur des véritables problèmes"
Le plus emblématique d’entre eux, l’extension "Mareterra", grâce à laquelle la Principauté va gagner six hectares sur la mer d’ici à décembre 2024, était encore l’objet d’une interview début février, sur la chaîne locale Monaco Info, de ce quadragénaire aux cheveux mi-longs, directeur délégué du groupe qui porte son nom. Un immeuble de luxe signé Renzo Piano, un écoquartier entièrement planté de 1.000 arbres et 800 personnes employées sur un chantier qui devrait en mobiliser jusqu’à 1 500 par jour au plus gros de son activité : le projet est titanesque, dans la droite ligne des premiers travaux pharaoniques qui ont fait, en leur temps, la réputation de l’entreprise fondée par l’arrière-grand-père de Patrice Pastor, Jean-Baptiste, un tailleur de pierre débarqué de Ligurie dans les années 1880 pour participer à la construction de la cathédrale et du musée océanographique.
En 1936, c’est carrément la réalisation du stade de football qu’il se voit confier par le souverain de l’époque, le prince Louis II. Son fils aîné, Gildo, aura lui la confiance de Rainier III pour faire sortir de terre, dans le quartier du Larvotto, les gratte-ciel les plus florissants de la Riviera. Propriétaire des terrains qu’il n’a jamais vendus, Gildo voit leur valeur s’envoler et transmet ce patrimoine inestimable à ses trois enfants, Victor — le père de Patrice —, Hélène et Michel.
Entre-temps, l’entreprise de BTP a su se diversifier dans d’autres corps de métier nécessaires aux ambitions immobilières du Rocher, au point d’obtenir le précieux imprimatur de "fournisseur breveté" de SAS le prince souverain de Monaco. C’est cette réussite et cette omniprésence qui fait de sa famille, selon Patrice Pastor, un bouc émissaire idéal pour des concurrents en mal de nouveaux marchés publics à remporter.
Dans l’enquête en deux volets publiée par Le Monde, son nom revient en effet sans arrêt même si, comme le soulignent les journalistes, "aucune preuve ne vient, pour l’heure, le confondre et le relier aux fameux 'Dossiers'." Pour le "G4", c’est-à-dire les quatre proches du prince Albert mis en cause par le site Internet à coups de diffusion d’e-mails privés et de documents compromettants, il ne semble cependant faire aucun doute qu’il est à l’origine de cette entreprise de déstabilisation numérique. "Pastor veut avoir le gouvernement à sa botte et l’administration qu’il contrôle, et laisser au prince l’inauguration des chrysanthèmes", accuse notamment dans le quotidien du soir Claude Palmero, administrateur des biens d’Albert II et l’un des membres du "G4".
"On essaie de monter contre le prince une famille qui travaille depuis plusieurs générations, se défend Patrice Pastor. Je suis quelqu’un d’indépendant. La seule chose que je peux dire, c’est que je n’ai jamais été convoqué par la police et n’ai jamais échangé un mot à ce sujet avec le souverain. On essaie de détourner le projecteur des véritables problèmes en le braquant sur une grande famille locale." Visiblement blessé, l’homme n’en dira pas plus.
2014, une année terrible pour la famille Pastor
En principauté, depuis la parution des articles, la tension est palpable, tant il est vrai que le Rocher, où tout le monde se connaît, préfère régler ses comptes loin de l’attention médiatique. L’origine d’un des principaux conflits larvés évoqués par Le Monde, le projet de "l’Esplanade des pêcheurs", remonte d’ailleurs à 2014, une année funeste pour le clan Pastor.
En février, Michel Pastor, l’oncle de Patrice et l’un des petits-fils de Jean-Baptiste, le fondateur, meurt des suites d’une longue maladie. Ancien président de l’AS Monaco, propriétaire un temps d’Hédiard et grand collectionneur d’art, il est l’une des figures les plus en vue de la famille, heureux père de cinq enfants parmi lesquels une fille, Alexandra, a épousé David Hallyday. Quelques semaines plus tard, c’est au tour de son neveu Gildo, entrepreneur à la tête d’une société de voitures électriques, d’être terrassé par un double AVC et hospitalisé en soins intensifs à Nice. C’est en venant lui rendre visite que sa mère, Hélène, sera assassinée au fusil de chasse par deux hommes en embuscade, le 6 mai 2014.
L’enquête sur le meurtre d’Hélène Pastor s’oriente alors rapidement vers le compagnon de sa fille, Wojciech Janowski, ex-consul de Pologne et homme d’affaires ruiné, dont la culpabilité a été confirmée en novembre dernier par la cour d’assises des Bouches-du-Rhône après qu’il a fait appel d’un premier jugement. Si son avocat a annoncé vouloir se pourvoir en cassation, la famille Pastor espérait pouvoir retrouver un peu de discrétion avant un futur troisième procès. Peine perdue : tant que le fameux "corbeau" et son site Internet distilleront leurs révélations, la lumière monégasque restera braquée sur eux.
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