La plupart des Cours ont pris le deuil du roi Frederik IX : il était le père de la reine de Grèce, le gendre du roi de Suède, apparenté à la reine d'Angleterre et au prince Philip, au roi de Norvège et aux princes d'Espagne. Doyen des souverains d'Europe (non par l'âge, mais par la durée du règne), il était l'idole de près de cinq millions de Danois et le symbole de la démocratie couronnée. Mais leur peine s'est trouvée adoucie par le courage et la dignité d'une jeune femme exemplaire : Margrethe II. Le roi est mort le 14 janvier. Le 15 janvier, la reine, dans une "Lettre ouverte" à son peuple, écrivait : "Mon père ayant retrouvé ses ancêtres, je deviens votre souveraine". Il y avait Élisabeth d'Angleterre, il y avait Juliana des Pays-Bas. Il y aura Margrethe de Danemark, mariée — pour notre grand honneur — à un Français, qui devient prince consort.

Ce "roi-marin" qui ressemblait physiquement au président René Coty (ne descendaient-ils pas tous deux des Vikings ?) et avait 1'"impudence" de mesurer deux centimètres de plus que le général de Gaulle, n'aura pas fêté, à quelques semaines près, ses noces d'argent avec le peuple danois. À quelques jours près, il n'aura pas assisté à l'entrée de son pays dans le Marché commun. Il n'aura pas vu le retour de sa fille cadette, la reine Anne-Marie, sur le trône de Grèce.
Mais il aura eu, pour l'escorter jusqu'au terme de sa vie, l'exceptionnelle chaleur, l'exceptionnelle tendresse des siens. Il aura accompli, avec la reine Ingrid, un dernier beau voyage en assistant, au mois d'octobre, aux fêtes de Persépolis. Il disait, avec cette philosophie qui lui était propre : "Quand on a un foyer où il fait bon vivre, comme j'en ai un, avec qu'on me permette de le dire sans façon — une charmante épouse et trois charmantes enfants, tout est facile et tout comble nos aspirations. J'ai fait moi-même cette expérience : quand on prend les choses avec bonne humeur, le travail s'effectue facilement."

Il a conduit ses trois filles, les princesses Margrethe, Benedikte et Anne-Marie, à l'autel. Il eut le temps de voir l'accomplissement de leur union : cinq petits princes bien vigoureux, deux charmantes petites princesses. Il joua, sans se forcer, à l'art d'être grand-père. Il eut surtout, dans ses derniers moments, la conviction que tout était pour le mieux au royaume de Danemark : Margrethe était prête. Elle serait une bonne reine, une reine populaire. Une reine heureuse aussi dans sa vie privée, grâce au prince Henrik.
Tout s'est passé avec une émotion contenue, une dignité remarquable. Vendredi 31 décembre : le roi, par un message radiotélévisé, adresse ses voeux au peuple danois. Il apparaît à tous extrêmement las.
Voir cette publication sur InstagramLundi 3 janvier : Frederik IX est transporté d'urgence à l'hôpital communal de Copenhague. Diagnostic : grippe, début de pneumonie, mais surtout défaillance cardiaque. La princesse héritière Margrethe est nommée régente. La reine Anne-Marie accourt de Rome. La princesse Benedikte, de Berleburg, en Allemagne. Le roi Constantin, puis le prince Richard de Sayn-Wittgenstein-Berleburg les rejoindront. On se relaie au chevet du roi. On reprend espoir. Puis on désespère. Le 13 janvier, l'état est de nouveau très alarmant.
Pas de couronnement pour Margrethe
Le 14 janvier, Frederik IX présente des troubles circulatoires et cérébraux. Il entre progressivement dans le coma. Un perpétuel va-et-vient de voitures s'instaure entre le palais et l'hôpital. Sur la place d'Amalienborg, les Danois viennent aux nouvelles et déposent des bouquets de fleurs. À 19 h 30, tout est consommé. Le communiqué officiel de la mort du roi est publié une demi-heure plus tard. La princesse Margrethe est, de plein droit, reine de Danemark. Malgré sa peine, malgré sa fatigue, la famille royale veillera jusqu'à minuit pour régler le protocole de l'avènement.

Copenhague s'éveille au matin du 15 janvier dans la tristesse et le froid brumeux. Le cercueil du roi, recouvert du drapeau à ses armes, est désormais exposé dans la "Salle des Chevaliers" du palais d'Amalienborg. Les drapeaux sont mis en berne. Les cloches des églises sonnent le glas. À midi, quatre-vingt-un coups de canon sont tirés en hommage au défunt. Dans la matinée, la nouvelle souveraine a fait savoir qu'elle s'appellerait désormais "Sa Majesté la reine Margrethe II", à l'exclusion de tout autre titre. Elle dit avoir choisi comme devise : "Aide de Dieu, amour du peuple, force du Danemark." Ce que signifiait, en d'autres termes, celle de son père : "Ma force réside dans l'amour de mon peuple." Il n'est, à nul moment, question de Couronnement : les rois de Danemark ne sont plus couronnés depuis 1840.

Selon la tradition, le Premier ministre, M. Jens Otto Krag, présente à la reine sa démission. Celle-ci, tout aussi traditionnellement, la refuse. M. Krag est un ministre social-démocrate qui affirme volontiers : "La monarchie n'est pas au Danemark un obstacle au développement de la démocratie ou du progrès social." À 14 heures, ce même samedi, premier jour de son règne, la reine Margrethe se rend en calèche, la même qu'utilisèrent, il y a un quart de siècle, le roi Frederik et la reine Ingrid, dans les mêmes circonstances, au palais Christiansborg, siège du gouvernement et du Parlement.
Le prince Henrik est à ses côtés. Ils sont émus, très émus : Margrethe ne peut retenir ses larmes. Les Danois conserveront longtemps le souvenir de cette image pathétique d'une jeune femme aux voiles noirs, qui se tient très droite, et tente de maîtriser son émotion. Margrethe est venue présider son premier Conseil d'État. Une courte séance, au cours de laquelle est rédigée la "lettre ouverte", annonçant officiellement son accession au trône. Elle commence ainsi : "Mon père ayant retrouvé ses ancêtres, je deviens votre souveraine...

À 15 heures, c'est l'apparition au fameux balcon d'où sont proclamés tous les règnes. Deux personnages : la reine. Le Premier ministre. Par trois fois, M. Otto Krag prononce la formule rituelle, d'une voix forte et solennelle, en levant, puis abaissant le bras : "Le roi Frederik IX est mort. Vive Sa Majesté la reine Margrethe II." Sur la place, plus de cent mille Danois applaudissent frénétiquement.
Dans l'encadrement de ces célèbres portes-fenêtres, on croit toujours apercevoir la haute stature...
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