C’est au bout d’un chemin de cinq cents mètres, au milieu d’un jardin public situé au sud-est de la capitale bulgare, que se situe le palais de Vrana. Ancienne résidence des rois Ferdinand Ier et Boris III, Siméon de Bulgarie y réside depuis le printemps 2001. Ses appartements se trouvent dans un ancien pavillon de chasse. Souriant, il nous accueille lui-même et nous remercie de nous être déplacés. Au milieu des bronzes et autre photos de famille et d’amis -le roi et la reine d’Espagne, Juan Carlos dans les années 1970 en habit de capitaine général des forces armées-, le roi répond précisément à nos questions. Avec toute l’élégance et la force de caractère qui le distinguent. Dans un français impeccable.
Sire, vous fêtez aujourd’hui vos 80 ans. Vous avez été roi, Premier ministre, vous avez contribué à intégrer la Bulgarie dans l’Otan puis dans l’Union européenne. Le poste de président vous intéresse-t-il aujourd’hui?
Non, une fois qu’on a été chef de l’exécutif, on ne peut pas aspirer à mieux. Et puis avec l’âge, on connaît ses limites, il faut être réaliste. Cependant, lors de la dernière campagne, de nombreuses personnes m’y ont encouragé mais je ne voyais pas l’intérêt. J’ai quasiment commencé ma vie en tant que roi. La terminer président, avec tout le respect que j’ai pour la fonction, ce ne peut pas être une motivation. Pour la quasi-totalité des gens, chef d’État est le poste suprême. Pas pour moi.
La Bulgarie est-elle parfaitement intégrée dans l’Europe?
Il y a beaucoup de choses à améliorer. Mais le fait d’appartenir à l’U.E. renforce la Bulgarie. Elle est ressentie comme une pression qui nous pousse à aller de l’avant. Nous nous plaignons que cela n’avance pas assez vite, mais regardons en arrière: si nous comparons la situation actuelle à celle de 1989, il y a des années-lumière de différence! Les Bulgares sont défaitistes et envieux. Ces traits sont néfastes. Au lieu de féliciter une personne qui a réussi, on va chercher des magouilles. En Bulgarie, sans exagérer, je dirais que nous aurions pu faire deux fois plus sans cette mentalité. Au lieu d’appuyer la directrice générale de l’Unesco Irina Bokova comme secrétaire générale des Nations unies, nous l’avons critiquée. Nous devions nous mettre d’accord. Au lieu de cela nous avons proposé une autre candidate. Résultat: ce n’est pas l’Europe de l’Est mais l’Europe de l’extrême-ouest qui l’a emporté avec le Portugais Antonio Guterres.
Votre mère, la reine Giovanna, vous disait: "Un roi ne prend pas parti en politique." Regrettez-vous d’avoir quitté votre rôle d’arbitre pour revêtir les habits de Premier ministre?
Oui… Je suis allé faire tout ce qu’on m’a enseigné de ne pas faire. Entrer en politique, fonder un parti… Je suis d’accord avec ma mère mais je n’étais plus roi depuis longtemps. J’ai donc voulu servir mon pays autrement. C’était un grand sacrifice. Je savais que j’allais m’attirer les foudres de ceux dont je ne jouais pas le jeu. Rester à ma place comme le bon vieux roi était peut-être plus digne et plus joli mais je n’aurais pas pu contribuer à changer "cette baraque". J’ai longtemps douté. J’en rêvais même la nuit: "Est-ce finalement la bonne idée?" À l’Assemblée nationale, j’étais sous les feux croisés: la droite ne nous a jamais pardonné d’avoir gagné les élections en tant que libéraux et la gauche avait une antipathie pour moi sans même regarder mes actions. Nous sommes tout de même parvenus à une stabilité politique qui, en Bulgarie, faisait défaut jusque-là.
Quels membres des familles royales sont présents aujourd’hui pour votre anniversaire?
Mon amie la reine Sophie, le roi Constantin et son épouse la reine Anne-Marie, le chef de notre famille le prince Andreas de Saxe-Cobourg-Gotha, la princesse Margareta de Roumanie, le prince Alexandre de Serbie, le prince Leka d’Albanie, le prince Nicolas de Monténégro, l’Aga Khan et son frère, le prince Amin.
Où habitent vos enfants?
Kyril vit à Londres, Kubrat et Konstantin à Madrid et Kalina à Rabat. Il était impossible pour eux de venir s’installer à Sofia car ils avaient déjà tous leur vie à Madrid. Les médias locaux voyaient d’un très mauvais œil chaque visite de mes enfants. Ils redoutaient le rétablissement de la monarchie! C’est absurde, il n’en a jamais été question.
Quelles professions exercent-ils?
Kardam, décédé il y a deux ans, travaillait dans les télécommunications, Kyril dans les finances et Kubrat est chirurgien. J’ai d’ailleurs été très fier de voir dans un journal espagnol qu’il faisait partie des vingt meilleurs chirurgiens d’Espagne! Konstantin a travaillé pour la banque Rothschild et dirige Barclays en Espagne. Ma fille Kalina s’adonne à des concours hippiques. Elle porte même un casque aux couleurs de la Bulgarie.
Votre petit-fils, Boris, est prince héritier. Que signifie ce titre dans une république parlementaire?
Mon fils Kardam était prince héritier. Boris ne l’est pas, car il n’y a plus de fils du roi. J’aime cette formule que nos voisins roumains ont adoptée: un gardien de la Couronne. Voilà comment j’aimerais qualifier mon petit-fils Boris.
Comment partagez-vous votre temps entre Madrid et Sofia?
Je passe dix mois de l’année ici depuis 2000. Je vais parfois à Madrid pour une semaine. Outre ma famille, j’y revois mes amis. J’y ai tout de même passé ma vie. Les conférences à l’étranger me prennent également du temps. Mais les choses avancent ici en Bulgarie et je m’y sens de mieux en mieux.
Vous êtes onze fois grand-père. Vous souvenez-vous du vôtre, Ferdinand Ier, roi des Bulgares de 1908 à 1918 et décédé lorsque vous aviez 11 ans?
Je ne l’ai jamais vu. La seule fois où une rencontre était prévue, c’était à l’été 1948. Mais pour le voir nous devions nous rendre à Cobourg, qui était à dix minutes de la RDA. Ma mère a eu peur que je me fasse kidnapper par les Soviétiques. Ferdinand est décédé en septembre: je ne l’ai donc jamais vu. Mais nous échangions des lettres. Lui écrivait au crayon, moi à l’encre. Je lui écrivais "Sire" et "Votre Majesté" et lui me répondait "Majesté" également. Le tout en français bien entendu. Un protocole très Ancien Régime. Je crois que c’était un personnage étonnant. Il était peut-être trop grand pour ce modeste pays qu’était la Bulgarie. Mais il faisait bien des efforts pour se rapprocher de ses compatriotes. Cela lui a d’ailleurs attiré les foudres de ses cousins allemands avec qui il prenait ses distances.
Qu’en est-il de votre autre grand-père, le roi d’Italie Victor-Emmanuel III?
Il était très cérémonieux, très froid et difficile à approcher. Je l’ai rencontré à Alexandrie. Il était venu me chercher au port. Je suis resté un moment en tête-à-tête avec lui dans la voiture. J’étais mort de peur, parce qu’en plus je ne parlais pas bien l’italien. C’était très intimidant.
Quel est, pour vous, le rôle d’un grand-père?
Pouvoir faire ce qu’on n’a pas pu faire en tant que parent. J’ai été très exigeant avec mes enfants. Je suis plus détendu avec mes petits-enfants, que je vois peu, malheureusement. Certains m’appellent même par mon prénom. Cela me fait rire. Mais j’aurais fait ça avec mon grand-père, j’aurais reçu une gifle immédiatement.
Quelles différences voyez-vous entre le monde du gotha des années 1950 et celui d’aujourd’hui?
La question est intéressante, je ne me l’étais jamais posée. Aujourd’hui, nos relations sont plus directes et spontanées. Lors de ma jeunesse, c’était bien plus strict. Je préfère l’époque actuelle.
Vous qui êtes cousin avec de nombreuses familles royales européennes, considérez-vous ces événements comme des réunions de famille?
Absolument. Les mariages et autres événements de ce type se déroulent dans des ambiances fort sympathiques. Je suis allé l’an dernier aux 70 ans du roi de Suède et l’atmosphère était très détendue, finalement moins protocolaire que dans une république.
Aucune invitation n’avait été envoyée aux cours européennes pour l’acte officiel d’abdication du roi Juan Carlos. En tant qu’ami intime du roi, vous seul étiez présent. Quel souvenir en gardez-vous?
Il m’avait prévenu avant d’en faire l’annonce officiellement. J’étais ici même lorsqu’il m’a appelé. Il m’a dit: "Écoute, nous avons vécu tant de choses ensemble. J’aimerais que tu sois auprès de moi pour cet événement." Je ne suis d’ailleurs pas resté pour l’avènement du roi Felipe VI afin de bien souligner que j’étais venu pour mon ami Juan Carlos. Mon quatrième fils, Konstantin, est très proche du roi. Ils sont nés à un mois d’écart et jouaient ensemble quand ils étaient enfants. Kyril aussi est un ami de longue date de Felipe.
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