Princes et rois : les agriculteurs de demain ?

Ils ont l’art de passer d’un dîner d’État à une virée à la ferme, en bottes de caoutchouc. Nombreux sont les princes et souverains chez qui l’appel de la terre résonne de plus en plus fort. En France, alors que s’ouvre le Salon international de l’agriculture, une génération d’entrepreneurs du patrimoine prend également la clé des champs, prête à réconcilier la fourche et le château.

Par Angélique d'Erceville - 25 février 2022, 06h13

 Félix de Luxembourg dans les vignes du Château Les Crostes à Lorgues.
Félix de Luxembourg dans les vignes du Château Les Crostes à Lorgues. © Christel Jeanne

Savez-vous qui sont les premiers fermiers de Grande-Bretagne ? Les Windsor. Propriétaire des duchés de Lancastre et de Cornouailles, mais aussi de gigantesques domaines privés comme Sandringham, Balmoral ou Highgrove, la famille royale britannique règne en maître sur plus de 323.748 hectares de terres, selon un décompte de l’association The Wild Card, tenant compte aussi du Domaine de la Couronne. Autant de champs, de fermes et de pâturages qui, certes, assurent de confortables revenus à la famille royale, mais lui permettent aussi de cultiver son amour de la terre. Si Élisabeth II voue une tendresse particulière à ses chers Sandringham et Balmoral, son fils aîné, le prince Charles, est connu pour maîtriser les cultures bio aussi bien que l’étiquette britannique. 

Le prince Charles à Highgrove en 2013
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"Le prince a toujours eu une passion pour l’agriculture et les questions rurales", rappelle David Wilson, dans les colonnes du magazine agricole Le Sillon. Celui qui, pendant plus de vingt ans, a exploité le domaine de Home Farm, près de Highrove, pour le compte du prince de Galles, connaît mieux que quiconque le côté paysan de Charles et son désir sincère de se tourner vers des pratiques d’avenir. C’est d’ailleurs dans sa ferme de Highgrove que le futur roi a, dès 1985, commencé à développer l’agriculture biologique. À une époque où personne n’en parlait. 

Charles, le "prince-paysan"

L’engagement écologique de Charles et son amitié avec David Wilson ont même fait l’objet en 2013 d’un documentaire du réalisateur Bertram Verhaag, The Farmer and his Prince. "L’agriculture est très différente des autres activités économiques, car elle porte la responsabilité à long terme des précieux fruits que nous tirons de la nature", y assure le prince de Galles. Ses convictions profondes lui valent des soutiens de poids. À l’instar de Vandana Shiva, la scientifique indienne, plusieurs fois primée pour son engagement en faveur de la protection de l’environnement. "Je l’appelle 'mon ami, le prince paysan', car je pense que c’est sur la terre qu’il s’épanouit le mieux", confie-t-elle dans le documentaire. "Ce n’est pas un prince manucuré, ses ongles auront toujours un peu de terre en dessous, la terre et le sol font partie de son corps et de son âme", ajoute celle qui a reçu le prix Nobel alternatif (le Right Livelihood Award), en 1993. 

Encore aujourd’hui, Charles utilise ses domaines pour déployer des projets d’agriculture régénérative, même s’il a annoncé à l’été 2020 qu’il n’allait pas renouveler le bail de son exploitation Home Farm. À Sandringham, dont il a repris la gestion en 2017, il s’est empressé de passer 30% des surfaces agricoles en bio, tandis que sur son duché de Cornouailles, il vante la permaculture et promeut des initiatives qui visent la neutralité carbone. Mais le travail de la terre ne s’appréhende que sur le temps long. Et déjà, la relève se prépare. 

Puisque le duché de Cornouailles revient à l’héritier de la couronne, pour assurer ses revenus (20 millions de livres sterling pour le prince Charles en 2021), William en héritera dès que son père montera sur le trône. Depuis deux ans, le duc de Cambridge multiplie donc les séjours à la rencontre des fermiers et participe à la réintroduction d’espèces endémiques. "J’en sais un peu (en matière d’agriculture), j’ai l’intérêt et la passion, la campagne chevillée au cœur", a-t-il confié récemment au Telegraph. 

La princesse héritière Victoria de Suède laboure un champ avec un cheval et une charrue à Heljesgarden, en septembre 2017.
La princesse héritière Victoria de Suède s'essaie au labour à Heljesgarden, en septembre 2017. © Nilsson Joergen/Stella Pictures/ABACA

La famille royale britannique n’est pas seule à avoir la main verte. Régulièrement, Victoria de Suède parcourt la campagne suédoise à la rencontre des fermiers ou des éleveurs du royaume. Avec eux, elle s’essaie aux travaux agricoles et rien ne semble l’arrêter : ni le fauchage du foin ni le labourage. Dès que c’est possible, la princesse héritière entraîne son mari Daniel et leurs enfants, Estelle et Oscar, à la découverte d’une ferme pédagogique ou du travail d’apiculteur. Certaines familles royales ont même trouvé dans l’Hexagone des domaines où tisser leurs liens à la terre. 

La reine Margrethe de Danemark, ses enfants et petits-enfants participent régulièrement au travail de la vigne ou aux vendanges dans leur propriété viticole du Lot, le château de Cayx. Le prince Joachim, le fils cadet de la reine, a même commencé ses études supérieures en décrochant un diplôme agricole. 

Albert de Monaco à Rocagel pour Point de Vue en novembre 2015
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De son côté, le prince Albert II de Monaco a hérité du domaine de Rocagel qu’avait acquis son père Rainier III en 1957, sur les hauteurs de la Principauté. Sur cette propriété de 56 hectares, dont 2 000 m2 de potager, où poussent aubergines, tomates anciennes et autres salades, il cultive sa passion pour une nature préservée et le développement durable. Le jardinier de Rocagel se souvient du prince Rainier fauchant les foins l’été. "C’était un amoureux des animaux et de tout ce qui touchait au monde agricole", confiait Joseph Giordano à Point de Vue voici quelques années. 

Réconcilier le châtelain et le paysan

En France, l’histoire a pris une autre tournure. Les grands domaines appartenant à l’aristocratie ont été morcelés au fil des ans, des partages ou des cessions. "Villandry a compté jusqu’à 3.000 hectares de terres au XIXe siècle", rappelle Henri Carvallo, l’actuel propriétaire du domaine. Aujourd’hui, peu de monuments possèdent encore des terrains leur permettant de financer leur entretien. Mais, doucement, le modèle renaît. "La composante agricole est un moyen de redonner du carburant à ces châteaux pour les remettre dans une trajectoire dynamique", estime Thibault le Marié, directeur de Château des Langues. "Les châteaux ont toujours été des lieux nourriciers, il faut trouver des solutions pour recréer ce rôle et un équilibre économique." 

À Laval, le château de la Mazure accueille une maraîchère, qui fournit des paniers de légumes aux adhérents de "la Grande Famille".
À Laval, le château de la Mazure accueille une maraîchère qui fournit des paniers de légumes aux adhérents de "la Grande Famille". © Château de la Mazure

Au château de la Mazure, que possède sa mère, Thibault le Marié vient de réinstaller une maraîchère et de lancer un projet de paniers de légumes baptisé "Grande famille". Ce renouveau agricole est d’une telle ampleur qu’on pourrait croiser bien des châtelains dans les allées du Salon de l’agriculture – à partir de ce samedi 26 février 2022 – pour discuter tracteurs ou culture du lin. 

À Chambord, les vignes et le potager renaissent, à la Bourdaisière les festivals des tomates et des plantes rencontrent chaque année plus de succès. Autant de projets qui réunissent deux figures longtemps présentées à tort comme antinomiques : le châtelain et le paysan. "La vraie réconciliation peut venir des bonnes pratiques agricoles développées autour de monuments historiques", considère Manuel Roussel, propriétaire du Château Le Rocher Portail, fier d’être le nouveau châtelain, tout en cotisant à la MSA (le régime de protection sociale des agriculteurs), puisqu’il a décidé de reprendre une des fermes adjacentes, d’une trentaine d’hectares. "L’agriculture est un métier très noble : depuis le néolithique, c’est ce qui a permis aux humains de créer de la stabilité et de faire société", ajoute Henri Carvallo. 

Les propriétaires de châteaux français redynamisent le territoire

Descendant du ministre de Louis XIV et vigneron au château de Flaugergues, une folie montpelliéraine du XVIIIe siècle, Pierre de Colbert pourrait à lui seul illustrer cette réconciliation. Avec son père, ils viennent de planter deux cents pieds de grenadiers pour faire évoluer leurs 28 hectares de vignes vers un...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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