Un vent de panique souffle sur le palais royal d’Amman, au lendemain des révélations des Pandora papers. S’appuyant sur la fuite de près de douze millions de documents confidentiels, une enquête du Consortium international ICIJ montre comment les dérives de l’industrie offshore profiteraient à plusieurs dizaines de hauts responsables politiques, parmi lesquels le roi Abdallah II de Jordanie.
D’après les investigations notamment menées par Le Monde et The Guardian, le souverain hachémite a constitué une trentaine de sociétés-écrans anonymes dans des paradis fiscaux – les îles Vierges et Panama – pour acheter, en toute discrétion, au moins quatorze propriétés de luxe aux États-Unis et au Royaume-Uni.
Estimé à 106 millions de dollars, ce vaste parc immobilier, dont la population jordanienne ignorait jusqu’ici l’existence, comporte entre autres une somptueuse villa à Malibu, plusieurs maisons à Washington et dans le riche quartier de Belgravia, à Londres.
جلالة الملك عبدالله الثاني، خلال لقائه عددا من شيوخ البادية الوسطى ووجهائها، يؤكد أن #الأردن سيبقى أقوى، فهذه ليست المرة الأولى التي يتم فيها استهدافهتفاصيل:https://t.co/80mDaS0j4C pic.twitter.com/0cwKHc7n5Y
— RHC (@RHCJO) October 4, 2021
Au fil des transactions, le chef d’État aurait eu soin de dissimuler son identité, son comptable britannique et son gérant de fortune le désignant comme "le bénéficiaire effectif" ou "vous-savez-qui", plutôt que d’utiliser son nom.
Gênées par la divulgation de ces détails et craignant le scandale, les autorités jordaniennes ne tardent pas à réagir, dénonçant des informations "inexactes, déformées et exagérées" et estimant que "la publication par certains médias des adresses de ces appartements et résidences" constitue "une menace pour la sécurité du roi et des membres de sa famille".
Dans un communiqué officiel, le palais royal ne dément pas les achats, mais souligne qu’ils ont été faits avec la fortune personnelle du souverain, justifiant le recours à des structures offshore non pour des motifs fiscaux – la loi jordanienne exempte le roi de payer des impôts –, mais pour des "raisons légitimes de sécurité et de confidentialité".
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Une mise au point que le gouvernement double d’une autre opération à l’échelle nationale : l’accès au site du Consortium a été bloqué en Jordanie, et, quelques jours avant la publication de l’enquête, le roi a convoqué les principaux responsables de médias à Amman pour les mettre en garde contre toute diffusion des informations qu’il contient.
La richesse personnelle du roi suscite de vives critiques en Jordanie
Souvent épinglé à propos de son train de vie, alors qu’il se présente en souverain proche du peuple, Abdallah II a des raisons très politiques d’éviter d’afficher sa richesse en public. Avec 25% de la population au chômage, son pays, confronté à une grave crise économique, doit faire face à une forte hausse des taxes et à une baisse du pouvoir d’achat, accentuée par la pandémie de Covid-19.
Alliée des Occidentaux, la Jordanie dépend par ailleurs très étroitement de l’aide financière internationale. En 2020, celle-ci s’élevait à 1,5 milliard de dollars de la part des États-Unis et à 218 millions de dollars de l’Union européenne.
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Inquiets de la montée des critiques au sein de la société civile, les avocats du roi soulignent que "Sa Majesté n’a à aucun moment fait mauvais usage de l’argent public ou utilisé une quelconque aide internationale pour ses achats" et qu’il est "profondément engagé pour la Jordanie et son peuple, et agit avec intégrité dans le meilleur intérêt de son pays et de ses citoyens".
Pas sûr que ces précisions suffisent à freiner la baisse de la confiance de la population envers le roi, six mois après qu’une tentative de sédition menée entre autres par son demi-frère, le prince Hamza, a fragilisé Abdallah II et ébranlé tout le Proche-Orient.
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