C’est l’une des rares images privées de la famille régnante d’Espagne qui a fuité ces deux derniers mois: l’infante Elena, sœur aînée de l’actuel roi Felipe VI, marchant masquée dans les rues de Madrid, avec au bout d’une laisse –aux couleurs du drapeau national– la silhouette poilue de son fox-terrier Tula. L’animal a été offert par la duchesse de Lugo à sa fille, Victoria, lorsque celle-ci n’avait qu’un an, perpétuant une coutume ancrée dans la dynastie des Bourbons.

Son père, Juan Carlos, grand ami des chiens, élevait des portées de bergers allemands –sa race préférée– dans les jardins du palais de la Zarzuela. Très attaché à ses bêtes, qui gagnaient les premiers prix des concours de beauté, il faisait parfois don de ses chiots aux ambassadeurs en visite officielle. "Si vous refusiez parce que vous ne vouliez pas de chien, vous étiez impolis. Si vous le gardiez, vous étiez embêtés aussi", raconte dans ses mémoires le biographe José Luis de Vilallonga. Faire des animaux ses alliés pour séduire et affirmer l’air de rien son pouvoir: un procédé utilisé de longue date par les souverains d’Europe, et qui s’est perpétué à travers les siècles.
Des alliés pour séduire et affirmer son pouvoir
Bien avant l’ère des chiens, chats et autres bêtes domestiques, ce sont d’abord les espèces exotiques, venues de contrées lointaines, qui assoient le prestige de la monarchie par leur présence et leur rareté. De Charlemagne à Louis XI, un bestiaire à plumes et à crinière suit les monarques et leur Cour dans leurs nombreux déplacements. Lions, léopards, porcs-épics, éléphants, ours blancs… Admirées dans un cortège ou peintes sur un tableau, ces créatures étranges, vues souvent pour la première fois, semblent des êtres mythologiques descendus du ciel. À leurs côtés, rois et reines s’apparentent à des dieux.

Cette aura symbolique et politique les encourage à aller plus loin. Notamment par la construction de ménageries, ancêtres des parcs zoologiques, qui se multiplient à travers l’Europe. À Chantilly, à la Tour de Londres ou au château de Schönbrunn en Autriche, chacun y va de son raffinement architectural pour mettre en avant sa galerie d’animaux, composée de cadeaux de voyage ou de spécimens rapportés par des naturalistes en expédition. À Versailles, Louis XIV possède des dizaines de lions, tigres et léopards, et se montre très doux envers ses quatorze chiens de compagnie, auquel un pâtissier dédié prépare des biscuits.

Le temps passant, les souverains affichent au grand jour leurs amours animalières moins pour se distinguer de leurs compatriotes que pour s’en rapprocher. En Grande-Bretagne, la reine Victoria cajole tendrement ses teckels, ses colleys et ses carlins, entrés grâce à elle dans l’histoire nationale. Plusieurs ont les honneurs de portraits officiels, et pour les accueillir, des chenils royaux sont bâtis à Windsor.
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Noble, le colley préféré de la souveraine, est enterré à Balmoral, en Écosse. Caesar, le terrier de son fils, le roi Édouard VII, sera, lui, autorisé –une première– à participer à la procession funéraire de son maître en 1910. Une longue tradition dans laquelle s’enracine, aujourd’hui encore, la sensibilité des membres des familles royales à la cause animale.
L’amour des animaux se transmet génération après génération chez les Windsor
Cavalière assidue et passionnée, Élisabeth II retrouve dès qu’elle le peut ses chevaux, des pur-sang de haut niveau qu’elle prépare aux meetings hippiques les plus prestigieux, comme celui de Royal Ascot. Pendant dix-huit années consécutives, elle monte sa jument noire Burmese, offerte en 1969 par la Gendarmerie royale du Canada, lors de la parade militaire du Trooping the Colour –son anniversaire officiel. Mais c’est surtout au calme, et en privé, qu’elle aime se retrouver seule avec ses bêtes. Comme du temps de son enfance et de sa grande amitié avec Peggy, son premier poney (un Shetland), offert par son grand-père, le roi George V, et avec qui elle a grandi.

Dignes héritiers de cette passion de famille, le prince de Galles et son épouse, la duchesse de Cornouailles, visitent fréquemment des refuges pour animaux et posent régulièrement avec leurs deux Jack Russell, Beth et Bluebell, adoptés par Camilla. Le prince Charles reconnaît avoir été très marqué par la disparition de Pooh, l’un de ses terriers préférés, lors d’une visite à Balmoral en 1994. Une récompense avait été promise à celui qui le retrouverait –sans succès.

Le duc et la duchesse de Cambridge sont, eux, les heureux propriétaires de Lupo, un cocker anglais hérité de la famille Middleton, dont ils louent les vertus pédagogiques auprès de leurs jeunes enfants. Quant à leur belle-sœur, la duchesse de Sussex, c’est dans un refuge pour chiens et chats de l’organisation Mayhew, dont elle est la marraine, qu’elle a choisi d’effectuer l’une de ses dernières visites officielles avant son retrait de la vie publique, en janvier dernier.
À Los Angeles, où elle a emménagé en compagnie de son époux, le prince Harry, et de leur fils, Archie, un an, elle promène aujourd’hui Oz, son beagle, et Guy, son labrador noir… donnant aux curieux l’occasion de la photographier.
Des compagnons à quatre pattes (presque) aussi connus que leurs propriétaires
Utiles outils de communication, les animaux royaux mènent pourtant une vie bien différente de celle de nos "ordinaires" compagnons domestiques. Lupo voyage en hélicoptère, le hamster du prince George et de la princesse Charlotte de Cambridge a, lui, son propre compte Twitter.

Au Danemark, Ziggy, le regretté colley de la princesse Mary, a pendant douze ans montré sa truffe dans les photocalls et en couverture des magazines. Trois mois après son décès, qui a suscité une vive émotion dans la famille, l’annonce de l’arrivée de Grace, un chiot border collie issu de la même lignée que Ziggy, a battu des records de "likes" sur les réseaux sociaux. Tout comme, début mai, l’adoption de Rio, le cavoodle de Victoria et Daniel de Suède et de leurs enfants, dernier-né à poils longs et bouclés des monarchies scandinaves.

Mais ce sont, bien sûr, les corgis d’Élisabeth II qui jouissent d’une popularité planétaire, forts de leurs petites pattes et de leurs grandes oreilles. Une histoire d’amour fusionnelle qui remonte à 1933, lorsque les parents de Lilibet adoptent Dookie, le premier corgi de la future souveraine.
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Pour son dix-huitième anniversaire, celle-ci reçoit en cadeau Susan, une femelle qui la suivra pendant sa lune de miel avec le prince Philip. Inséparables de son règne, les corgis –plus de trente sur quatorze générations, tous descendants de Susan– dorment dans une pièce voisine de la chambre de leur maîtresse au palais de Buckingham et, lorsqu’elle travaille, lui tiennent fidèle compagnie dans la solitude du pouvoir.

En 2012, quatre d’entre eux –Monty, Cider, Candy et Vulcain– sont les vedettes surprises d’un clip tourné au palais à l’occasion des J.O. de Londres. Trois ans plus tard, la presse rapporte que sa Majesté n’élève plus de nouveaux corgis, ne souhaitant pas que ces derniers restent sans elle après sa mort. "Ils sont ma famille", a-t-elle dit un jour. Peut-être étaient-ils les seuls à ne pas voir en elle une souveraine. Juste une personne comme les autres, infinie source d’amour et de caresses…