Spectacle surréel. Le roi Vajiralongkorn, désormais Rama X, dixième souverain de la dynastie Chakri, vêtu du lourd manteau du couronnement, coiffé du chapeau à une aigrette blanche, hissé sur un palanquin d’or porté par seize hommes, encercle symboliquement Bangkok, sa capitale, au long d’une lente et munificente procession qui s’arrête dans trois temples majeurs.
Sur ses genoux, l’épée de la victoire, ou Phra Saeng Khan Shai Sri, symbole de sagesse quand elle tranche les malentendus. Ni le rituel ni la tenue du monarque n’ont bougé depuis l’avènement de Chao Phya Chakri, en 1785.
En cet après-midi du dimanche 5 mai 2019, au lendemain de son sacre, le successeur de Bhumibol va ainsi au-devant d’un peuple avide de le contempler dans sa pleine majesté et conscient de vivre un moment d’histoire. Ils sont 250.000, vêtus de polos jaunes –couleur royale– souvent frappés des armoiries du couronnement, assis, à submerger les trottoirs et une partie des routes sur les sept kilomètres qu’emprunte le cortège.
Beaucoup se sont présentés tôt le matin en prévision des queues interminables aux points de contrôle. Tothong, loueur de motos, a fait le voyage depuis Chiang Rai. Minchakarn est étudiante à la faculté de sciences de Bangkok. "C’est une cérémonie comme je n’en ai jamais connue de ma vie", dit-elle en serrant contre son coeur l’appareil photo destiné à immortaliser cette journée.
Il est bientôt 18h mais le vent, qui fait claquer les oriflammes, brasse un air épais comme du beurre. N’importe, la touffeur extrême n’ôte rien à la fascination de la foule. C’est d’abord un silence religieux quand apparaissent les tuniques amarante du 1er Régiment d’infanterie, dit des gardes du corps, puis les porte parasols, les gardes du palais et leur Musique aux instruments antiques qui fait avancer la procession au battement sourd des tambours.
En Thaïlande, des éléphants rendent hommage au roi Rama X #AFP pic.twitter.com/88w4rLZWDM pic.twitter.com/61wQnubaV9
— Agence France-Presse (@afpfr) 8 mai 2019Enfin, voici le palanquin d’or, ou Bhudtan Thong, surmonté du trône Budtan Kanchana Singhasana où se tient Vajiralongkorn, statufié, divinité offerte à la vénération de son peuple. Et soudain les cris éclatent comme une pluie de mousson, "Songpra Jaren, songpra Jaren, longue vie à notre roi!" Une nuée de petits drapeaux s’agitent, frénétiques et, dans leur enthousiasme, beaucoup en oublient le wai, la prosternation protocolaire devant le souverain.
La famille royale est au premier rang des cérémonies du couronnement
Depuis des semaines, et plus encore depuis la veille, les Thaïlandais ont vécu avec ferveur chaque phase de l’avènement de Rama X. Au coeur de tout, le mystère, comme ce Grand Palais aux multiples bâtiments dont l’essentiel est inconnu de la quasi-totalité des Thaïlandais.
C’est dans le saint des saints de l’ensemble du Phra Maha Monthira, coeur secret du palais, qu’en ce matin du samedi 4 mai 2019 se jouent les cérémonies du couronnement proprement dites.
Accompagné de la reine Suthida, ancienne responsable de sa garde du corps épousée trois jours plus tôt, le roi Vajiralongkorn est arrivé peu après 8h30 dans sa Daimler DE 36 au bouchon de radiateur sommé d’un Garuda d’or et de cristal. Ici le temps s’écoule suivant des règles étranges, les époques, les continents se mêlent.
Soldats en uniforme d’apparat occidentalisé, pages, gardes et porteurs en tenue thaïe du XVIIIe siècle rendent ensemble les honneurs à Rama X. Les cris de longue vie au roi saluent son passage tandis qu’il se rend à la résidence Chakrabat Biman où il va accomplir les premiers rituels en présence des membres du conseil privé, du gouvernement, du parlement. Et bien sûr de la famille royale.
La princesse Sirindhorn est là, très en vue, avec ses deux soeurs, Ubolratana Rajakanya et Chulabhorn, souffrante mais qui a tenu à assister à ce début de cérémonie pour saluer son frère et souverain. Sans oublier les princesses Bajrakitiyabha et Sirivannari Nariratana, ni le prince héritier Dipangkorn, tous trois enfants des précédentes épouses du roi.
Patriarches hindouistes et bouddhistes accueillent le protecteur de la foi pour le rituel de la purification
Parmi les psalmodies des bonzes, le suprême patriarche Somdet Phra Ariyavongsagatayan allume le cierge monumental qui ne cessera de brûler qu’à la toute fin du couronnement. Il est 10h lorsque Rama X fait pour la deuxième fois son entrée dans cette salle impressionnante qui fut la première résidence des monarques de la dynastie et où sont aujourd’hui conservés et consacrés les emblèmes royaux.
Après les prières bouddhiques liminaires, Vajiralongkorn quitte les lieux pour troquer son uniforme contre la robe immaculée du rite de la purification. Le chef des brahmanes de la cour, Phra Maha Rajakru Phitea Sri Wisut Ti Khun, le guide tant l’hindouisme joue un rôle crucial dans toutes ces célébrations.
Bouddhiste et protecteur de cette foi, le souverain thaïlandais est aussi une réincarnation de Narayana, un des dieux hindous qui descendent sur la terre pour répandre la paix et le bonheur et dont la monture fabuleuse est l’homme-oiseau Garuda, emblème de la monarchie. Car ici les deux cultures religieuses s’influencent l’une l’autre, ainsi qu’en atteste le célèbre Bouddha d’émeraude, statue de jade du XVe siècle dont l’attitude de la méditation évoque l’art du sud de l’Inde.
Les portes se sont rouvertes et Vajiralongkorn apparaît, un bras nu, à la manière des bonzes. Précédé par les brahmanes, il se dirige vers l’extérieur de la résidence et un autel chargé d’offrandes et de fleurs où il allume cierges et encens avant de gagner le busabok, ou pavillon, Mondop Phra Kraya Sanan où a lieu le rite de purification avec, notamment, les eaux des sources sacrées des soixante-dix-sept provinces de Thaïlande. Manière d’affirmer que la bénédiction, la prospérité, l’harmonie symbolisées par ces eaux proviennent de chaque parcelle du royaume dont le souverain est en train de prendre possession pour y étendre sa protection.
Un dignitaire, prosterné, se glisse jusqu’aux pieds du roi et lui tend un premier récipient où puise Rama X avant de s’oindre le front. Le dignitaire se retire ensuite au bas du pavillon où il prie les mains jointes vers le ciel et son souverain avant de déclencher un mécanisme. Aux accents acides et envoûtants des trompettes et des conques, c’est une pluie libérée du toit du busabok qui tombe sur la tête, les épaules et le corps tout entier du roi. Au loin, des batteries des trois Armées ont commencé de tirer cent un coups de canon. Le couronnement est entré dans sa phase cruciale.
Le patriarche suprême du bouddhisme asperge maintenant le dos du monarque. Et encore ses mains qu’il se passe sur le visage pour une nouvelle ablution sacrée. Suit le chef des brahmanes. Il tend une feuille de bael, sainte aux yeux des hindous de par sa ressemblance avec le trident de Shiva. Vajiralongkorn la positionne derrière son oreille droite et, bientôt, des récipients de formes et de tailles variées, les "vaisseaux des eaux", sont proposés au souverain qui s’asperge les épaules pour placer son règne sous des auspices favorables.
Rama X se présente en souverain terrestre et réincarnation divine mais aussi en père de la nation
Au terme de la purification, Rama X s’éclipse de nouveau. Il doit se préparer aux cérémonies de l’onction et du couronnement qui vont se dérouler dans la salle du trône Baisal Daksin dont les hauts-reliefs peints retracent des scènes des mythologies bouddhiste et hindoue.
Cette fois, le monarque est vêtu de la tenue du sacre telle que l’a conçue, comme chaque détail du rituel, le premier souverain de la dynastie, Chao Phya Chakri. Le lourd manteau surbrodé de vieil or ne laisse pas d’impressionner. Rama X gagne le trône Atha Disa Undumbara Raja Asana, sorte de banc octogone pour les huit points cardinaux.
LIVE: Thailand holds ornate ceremonies for king's coronation https://t.co/kMsysJWbRQ
— Reuters Top News (@Reuters) 4 mai 2019Autant de dignitaires l’encerclent, altesses sérénissimes mais aussi le Premier ministre Prayut, le ministre de l’Intérieur, le président du conseil privé du roi, celui de la cour suprême et de l’Assemblée nationale. À tour de rôle, quand le roi se déplace pour leur faire face, ils vont verser un peu d’eau sainte dans le récipient qu’il leur tend et, à chaque fois, le chef brahmane de la cour va approcher de Rama X un autre "vaisseau des eaux" où le monarque plongera le bout des doigts avant de s’oindre le front.
Une fois le rite accompli, les brahmanes en procession escortent leur souverain à l’opposé de la salle, côté ouest, jusqu’au trône Bhadrapitha, sommé du parasol blanc à neuf étages, insigne suprême de son rang. Agenouillé devant Rama X, Maha Rajakru Phitea Sri Wisut Ti Khun, le chef des brahmanes, lui remet d’abord les plaques d’or où sont gravés ses titres et son horoscope.
Viennent ensuite les emblèmes, au premier rang desquels, l’épée de la victoire,...
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