Le duc d’Aoste, le dernier grand seigneur

Ce 1er juin 2021, Amedeo de Savoie-Aoste s’est éteint à l’âge de 77 ans, victime d’une crise cardiaque à l’hôpital d’Arezzo, dans cette province toscane qu’il aimait tant. Retour sur la vie de ce prince fier, affable et un peu querelleur.

Par François Billaut - 09 juin 2021, 07h45

 Amedeo, 5e duc d'Aoste, ici en 2003, est décédé le 1er juin 2021.
Amedeo, 5e duc d'Aoste, ici en 2003, est décédé le 1er juin 2021. © Sanna / Giacominofoto/IPA/ABACAPRESS.COM

Il y avait quelque chose de don Fabrizio Corbera, le prince de Salina du Guépard de Giuseppe di Lampedusa, ou du film de Luchino Visconti, chez le duc d’Aoste. L’aménité d’un prince, teintée de drôlerie, une aisance à communiquer avec tous, obscurs ou célèbres, sans jamais se départir pourtant d’une forme de réserve, un rien jupitérienne.

C’était un père aimant et attentif, un époux peut-être pas toujours fidèle... Un passionné de politique, souvent sollicité, mais jamais engagé : "La différence fondamentale entre la république et la monarchie, c’est justement le fait que la seconde n’est liée à aucun parti, à aucune faction politique", nous confiait-il il y a quelques années. Un prince de Savoie avant tout soucieux du devoir de réserve de la royauté italienne, sa grande fierté. Son orgueil même, tout entier voué à cet héritage dynastique du roi Umberto II, qu’il pensait devoir défendre, parfois même contre son cousin le prince Victor-Emmanuel.

Il perd son père très jeune

Amedeo de Savoie a vu le jour à Florence, le 27 septembre 1943, unique enfant du prince Aimone de Savoie-Aoste, 4e duc d’Aoste, et de la princesse Irène de Grèce et de Danemark, une fille du roi Constantin Ier. Son père ayant été nommé roi de Croatie, sous le nom de Tomislav II, l’enfant est aussi baptisé "Zvonimir" : "En 1941, pour maintenir l’hégémonie fasciste, Hitler et Mussolini avaient imaginé cette couronne fantoche. Mais Papa refusait de se laisser manœuvrer, il n’est jamais allé en Croatie et il n’est jamais monté sur ce trône..."

Amedeo, duc d'Aoste, et sa mère Irène de Grèce prennent la pose en Italie. © Archivio Arici / Bridgeman Images
Amedeo, duc d'Aoste, et sa mère Irène de Grèce prennent la pose en Italie. © Archivio Arici / Bridgeman Images

Au moment de la naissance, le duc d’Aoste accompagne dans sa retraite de Brindisi le roi Victor-Emmanuel III, et l’encourage à démettre il Duce et à se rapprocher des Alliés. Par mesure de rétorsion, sur un ordre personnel signé d’Heinrich Himmler, la duchesse d’Aoste et son bébé de huit mois sont déportés au camp d’internement d’Hirschegg, en Autriche. Ils ne seront libérés qu’en mai 1945.

Amedeo a donc presque 2 ans quand il rencontre enfin son père, à Naples. Pour peu de temps, hélas. Le prince Aimone s’éteint moins de trois ans plus tard, en janvier 1948, lui aussi victime d’une crise cardiaque : "J’ai oublié sa voix, mais je conserve de lui l’image d’un géant. Il mesurait 1,98 m !"

Un premier mariage tumultueux

Désormais duc d’Aoste, le cinquième du nom, Amedeo de Savoie grandit auprès de sa mère à San Domenico di Fiesole, seul dynaste de la maison royale autorisé à résider en Italie, après la chute de la monarchie. Il étudie d’abord au Collegio alla Querce de Florence ; devient interne au Seaford College de Petworth, dans le Sussex ; intègre l’Académie navale de Livourne dont il sort officier, avant d’obtenir un diplôme en sciences politiques à l’université de Florence. "Cela m’a donné une bonne culture générale, mais j’aurais aimé devenir ingénieur des eaux et forêts..."

Amedeo, un marin comme son père qui sortira officier de réserve de l’Académie navale de Livourne. © Mondadori Portfolio/Sergio del Grande / Bridgeman Images
Amedeo, un marin comme son père qui sortira officier de réserve de l’Académie navale de Livourne. © Mondadori Portfolio/Sergio del Grande / Bridgeman Images

C’est à Athènes, en 1962, au mariage de leurs cousins Juan Carlos d’Espagne et Sophie de Grèce, qu’Amedeo tombe amoureux de Claude de France, la cinquième fille du Comte et de la Comtesse de Paris.

Deux ans plus tard, le 22 juillet 1964, en dépit de leur jeune âge – 20 ans chacun –, ils se marient à Sintra, au Portugal, sous les bons auspices du souverain italien en exil, Umberto II : "Le roi s’est montré d’une grande bonté à mon égard. Chaque année, je passais une semaine auprès de lui à la Villa Italia. Il m’appelait le journaliste parce que je lui posais continuellement des questions. J’ai beaucoup appris à son contact. C’était mon roi, un gentilhomme d’une extraordinaire humilité pour qui j’ai toujours eu la plus grande dévotion."

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Le jeune couple s’installe dans la propriété familiale du Borro, proche d’Arezzo, où vont naître trois enfants : Bianca, en 1966, Aimone, en 1967, et Mafalda, en 1969. Quand son mariage, tumultueux, avec Claude se termine par une séparation, en 1976, puis par un divorce, en 1982, le duc d’Aoste garde les enfants auprès de lui.

"J’ai de la chance, ma famille m’a donné beaucoup de joies"

Il convole à nouveau, en 1987, après l’annulation religieuse de sa première union, avec une belle aristocrate sicilienne, donna Silvia Paternò di Spedalotto, fille du marquis de Reggiovanni, comte de Prades et baron de Spedalotto. "J’ai de la chance, ma famille m’a donné beaucoup de joies", confiait ce bon père, un peu volage toutefois et "crédité" de quelques autres paternités, dont une petite Ginevra de Savoie-Aoste, née d’une liaison extra-conjugale, en 2006, et reconnue.

De sa demeure patricienne du Borro, le prince gère son domaine et ses affaires – peut-être pas toujours très heureusement –, dont le restaurant du village et une compagnie d’assurances, entretient son propre aérodrome, et même un zoo privé. Toujours très grand seigneur, c’est au Borro que le duc d’Aoste reçoit, en septembre 1988, la fine fleur du gotha européen, sa tante la reine Marie-José d’Italie, sa cousine l’archiduchesse Marguerite d’Autriche-Este, la princesse Caroline de Monaco, pour le mariage de Bianca avec le comte Giberto Arrivabene Valenti Gonzaga.

Amedeo, duc d'Aoste, épouse en secondes noces Silvia, une belle aristocrate sicilienne. © Francesco Barilaro / Avalon /ABACAPRESS.COM
Amedeo, duc d'Aoste, épouse en secondes noces Silvia, une belle aristocrate sicilienne. © Francesco Barilaro / Avalon /ABACAPRESS.COM

Une dizaine d’années plus tard, il doit malheureusement se séparer de la demeure patricienne et de son parc, vendus à la famille Ferragamo. Entre-temps est né, en 1991, le premier de ses petits-enfants : "Me voilà grand-père, c’est formidable ! Je suis totalement amoureux de ma petite-fille Viola." Il pourra un jour déclarer : "J’ai seize tatouages et onze petits-enfants !"

La fillette sera rejointe par quatre frères et sœurs, puis par les trois enfants de Mafalda, mariée, en 2001, à don Francesco Lombardo, baron de San Chirico. Puis par les trois enfants d’Aimone, sa grande fierté, qui a convolé dans la plus pure tradition dynastique avec la princesse Olga de Grèce, en 2008, et est depuis devenu père d’Umberto, en 2009, d’Amedeo, en 2011, et d’Isabella, en 2012.

Une "querelle dynastique" sans fin

Au tournant des années 2000 à 2010, d’abord retiré sur l’île de Pantelleria, au sud de la Sicile, puis de retour en Toscane, dans le village de Castiglion Fibocchi, le duc d’Aoste entame une interminable "querelle dynastique" avec son cousin de la branche aînée, le prince de Naples, empêtré dans de nouvelles affaires judiciaires.

Soutenu par les sœurs de ce dernier, les princesses Maria Pia, Marie Gabrielle, Marie Beatrice, et le "Conseil des [anciens] sénateurs du royaume", Amedeo dispute les titres, les armoiries et la qualité de chef de la maison royale à Victor-Emmanuel. S’ensuit une contre-offensive de celui-ci, et de son fils Emanuele Filiberto, prince de Venise, qui veulent interdire au duc d’Aoste et à son fils d’utiliser le simple nom de "de Savoie" au lieu de "de Savoie-Aoste". Les princes de Naples et de Venise perdront finalement en janvier 2018, en appel d’un premier jugement qu’ils avaient gagné.

Aimone, ici avec son père Amedeo en 2007, lui succède comme 6e duc d'Aoste. © Marco Piovanotto/ABACAPRESS.COM
Aimone, ici avec son père Amedeo en 2007, lui succède comme 6e duc d'Aoste. ©...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

Savoie-Aoste

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