Géraldine d'Albanie, reine de coeur

Plus de 80 ans après le départ en exil de la famille royale albanaise, une princesse prénommée Géraldine est née sous le soleil de Tirana, un hommage à son illustre aïeule la très populaire épouse du roi Zog Ier. L'occasion de se replonger dans le destin exceptionnel d'une souveraine éphémère. 

Par Jérôme Carron - 05 novembre 2020, 07h25

 La reine Géraldine en Italie avec son fils, le futur souverain Leka.
La reine Géraldine en Italie avec son fils, le futur souverain Leka. © David E. Scherman

Le prénom choisi par le prince Leka et la princesse Elia est celui de l’épouse du roi Zog Ier. D’une beauté stupéfiante et d’une dignité sans faille, elle était la plus parfaite image de la royauté albanaise.

Lorsque le monarque découvre la photo de Géraldine Apponyi de Nagy-Apponyi, il tombe immédiatement sous son charme. La finesse de ses traits et son port de reine ne laissent pas insensible cet homme au destin hors du commun.

Coup de foudre entre le roi et la débutante 

Zog Ier, né Ahmet Zogu en 1895, est le descendant d’un chef de clan de la région de Mati. Officier albanais formé à Vienne, il devient ministre de l’Intérieur de son pays à 26 ans, puis Premier ministre, président, et enfin roi en 1928. Désireux d’assurer l’avenir de sa dynastie, il cherche une épouse.

Géraldine sera son élue. Fille du comte Gyula Apponyi et de Gladys-Virginia Steuart, issue de la haute société américaine, elle grandit dans le château familial jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale. Ruinés, les Apponyi doivent quitter le pays. De retour à Vienne, Géraldine achève ses études avec succès. Et même si les temps sont durs –elle vend des souvenirs dans un musée–, elle reçoit les cartons d’invitation des bals de l’aristocratie.

La reine Géraldine d’Albanie en 1930. © akg-images / Mondadori Portfolio
La reine Géraldine d’Albanie en 1930. © akg-images / Mondadori Portfolio

Son nom, son allure, sa jeunesse, sa connaissance de nombreuses langues étrangères font d’elle une parfaite débutante. Son visage d’actrice n’échappe pas à l’œil des photographes. À l’âge de 22 ans, Géraldine apparaît dans les pages des magazines de l’époque.

L’une des trois sœurs du roi Zog, très associées à la vie du monarque, la remarque et l’invite à Tirana. Contre l’avis de sa famille, elle s’y rend pour le bal du nouvel an de 1937. Au milieu des deux mille invités, elle se fait présenter au souverain. "Il se tourna vers moi et rencontrant son regard pour la première fois, je ressentis un étrange embarras. Il avait des yeux bleus perçants, envoûtants…" racontera-t-elle à sa biographe française, Joséphine Dedet.

Au cours des jours suivants, Zog la couvre de roses et l’enchante par sa prévenance. Un mois plus tard, ils célèbrent leurs fiançailles. Titrée "princesse Géraldine", la future reine apprend l’albanais et se présente en costume traditionnel lors des sorties officielles.

Le pape Pie XI interdit leur mariage

Séduits par ce conte de fées, les sujets de Zog l’adoptent, charmés par son rayonnement et sa bienveillance. La veille de son mariage, la princesse déclare à des journalistes: "Je veux travailler pour le bonheur de ce peuple qui m’accueille si affectueusement (...) Je souhaite avant tout m’occuper des femmes et des enfants de mon nouveau pays." 

Le lendemain, le 27 avril 1938, elle porte une robe de satin blanc et sa traîne de cinq mètres de long signée Chanel, pour dire "oui" au souverain dans une salle du palais de Tirana, lors d’une cérémonie civile.

Zog Ier et Géraldine d'Albanie lors de leur mariage en 1938. La jeune mariée a fait confiance à Coco Chanel pour la réalisation de sa robe de mariée. © KEYSTONE-FRANCE/Getty Images
Zog Ier et Géraldine d'Albanie lors de leur mariage en 1938. La jeune mariée a fait confiance à Coco Chanel pour la réalisation de sa robe de mariée. © KEYSTONE-FRANCE/Getty Images

L’histoire d’amour fait la une des journaux européens, d’autant plus qu’elle est catholique, lui musulman, et que le pape Pie XI a interdit leur union. À midi, entre le son des cloches des églises et celui des canons, soixante mille Albanais acclament les époux sur la place Skanderbeg.

Zog et Géraldine doivent s'exiler avec leur nouveau-né

Au palais de Durres, leur lune de miel est un enchantement, couronné par une annonce à la fin de l’été 1938: Géraldine est enceinte. Bouleversé, le roi Zog lui offre une demeure à Tirana, "à sa mesure, où elle sera la plus belle reine d’Europe". Hélas, le continent bruisse déjà des préparatifs de guerre.

Le 5 avril 1939, la reine donne naissance au prince Leka –Alexandre en albanais –, mais le 7 avril, les troupes mussoliniennes envahissent le pays. Les 20.000 soldats albanais ne peuvent résister aux 100.000 hommes du Duce.

Le roi Zog avec son épouse à la fin des années 1930 .© George Rinhart/Getty Images
Le roi Zog avec son épouse à la fin des années 1930 .© George Rinhart/Getty Images

Avec son fils, Géraldine prend la fuite en voiture à travers les montagnes. Rejoint par le roi, leur convoi passe par la Turquie, la Roumanie, la Pologne, les Pays Baltes... et s’achève à Paris. Juste le temps de repartir vers le Royaume-Uni, où Churchill les ignore.

La cour s’installe alors en Égypte sous la bienveillance du roi Farouk. Mais à l’arrivée de Nasser au pouvoir, il faut refaire les malles. La France une nouvelle fois.

Malade et ruiné, Zog s’éteint le 9 avril 1961 à l’hôpital Foch. Avant de disparaître, il dit à son épouse: "Tu vas avoir des années difficiles, mais tu rentreras en Albanie." 

"Elle a dédié son existence aux Albanais"

De la Côte d’Azur à la banlieue parisienne, dans des conditions de plus en plus précaires, la reine Géraldine continue de prier pour son pays. Dès qu’elle le peut, la souveraine raconte son amour de l’Albanie.

En juin 2002, à 87 ans, elle revient enfin à Tirana. Pour quelques mois seulement. Elle succombe à une crise cardiaque le 22 octobre. Comme l’écrit l’auteur Ismaïl Kadaré: "Elle est passée comme dans un rêve." 

Lorsqu'en 2002 le gouvernement albanais autorise la famille royale à retourner sur le sol national, la reine est accueillie avec une ferveur inégalée. Ici, la reine à son arrivé à Tirana, avec son petit-fils le prince Leka à ses côtés. © Sebastien Dufour/Getty Images
Lorsqu'en 2002 le gouvernement albanais autorise la famille royale à retourner sur le sol national, la reine est accueillie avec une ferveur inégalée. Ici, la reine à son arrivé à Tirana, avec son petit-fils le prince Leka à ses côtés. © Sebastien Dufour/Getty Images

Peu après son mariage avec le prince Leka, la princesse Elia nous déclarait: "La reine Géraldine est une véritable inspiration pour moi. Sa foi en Dieu et son amour inconditionnel pour l’Albanie font d’elle un personnage indissociable de l’histoire de notre pays. Elle n’a régné qu’une année mais elle a dédié le reste de son existence aux Albanais." 

En donnant le prénom de cette icône à leur premier enfant, la princesse Elia et le prince Leka voient la plus belle des fées se pencher sur le berceau de leur fille.

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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