Elle est la rose sur la rose qui vient d’éclore, pétales en lieu de couronne, perles délicates aux oreilles et autour du cou. "Lorsqu’en 1953, nous l’élisons personnalité de l’année, ce n’est pas parce que c’est une femme. Mais plutôt, pour tout ce qu’elle symbolise à l’époque : l’entrée dans une ère nouvelle, l’espoir de la jeunesse et la promesse d’un avenir meilleur dans un monde en convalescence", raconte la rédaction du magazine américain Time, presque trois quarts de siècle après sa célèbre première une sur Élisabeth II en tant que monarque.

Montée sur le trône dans une Europe fracturée par la guerre, la jeune reine a, à ses débuts, tiré sa force des valeurs régénératrices qu’elle incarne. Figure unificatrice, porteuse – par son âge et sa hauteur politique – d’une forme de pureté morale, elle a d’abord été le parfait contrepoint maternel à l’emblématique et expérimenté Winston Churchill, vieil homme d’action, de génie et de vices.
Mettant ensuite à profit la grande singularité de sa fonction, elle a su en décliner les avatars sans perdre en stabilité à mesure que changeaient ses traits, s’agrandissait sa famille, et survenaient les tumultes du siècle. Seule femme en mesure d’être vue et écoutée par la planète entière, elle devient un point de référence à l’aura respectée par de nombreuses dirigeantes actuelles.
Soixante-neuf ans après sa pimpante arrivée sous la couronne, c’est en grand-mère sage et rassurante qu’elle s’exprime en décembre dernier devant une population mondiale encore sous le choc de la pandémie de Covid-19.
Jacinda Ardern, la nouvelle figure du "leadership féminin"
Dans le long sillage de ce "leadership féminin", la récente émergence et la réussite de la Première ministre néo-zélandaise ont aussi pu être liées à sa façon explicite de valoriser des qualités d’ordinaire attachées à la sphère féminine.
Alors qu’en 2019 son pays traverse une grave crise après les attentats meurtriers de Christchurch – l’attaque contre deux mosquées a fait 51 morts et 49 blessés –, Jacinda Ardern fait preuve d’une rare empathie soulignée par de nombreux médias. "Elle vient de prouver qu’un comportement typiquement 'féminin' peut s’avérer très puissant", lit-on dans la presse. "Il peut tout autant être la simple résultante de son éducation, Jacinda ayant été élevée par un père policier et une mère employée de cantine scolaire qui lui ont très tôt inculqué les valeurs du service civique", tempère une journaliste du magazine The New Yorker.

Quoi qu’il en soit, la femme d’État de 40 ans semble posséder un intérêt inébranlable pour l’action concrète et le changement, qu’elle met en œuvre en composant le gouvernement le plus paritaire et le plus divers de l’histoire néo-zélandaise, avec huit femmes sur vingt ministres et de nombreux représentants de minorités ethniques et sexuelles.
Enceinte pendant sa campagne électorale, elle devient par ailleurs la deuxième cheffe du gouvernement, après la Pakistanaise Benazir Bhutto, à accoucher durant son mandat. Contrairement à sa prédécesseure, elle prend six semaines de congé maternité avant que son conjoint, un présentateur télé, ne devienne père au foyer pour s’occuper de leur enfant. Sans doute n’est-ce pas un hasard si cet exploit se déroule dans le pays qui a été le tout premier à accorder le droit de vote aux femmes, en 1893.
Les monarchies à l'avant-garde
En 2021, seuls 5 % des États du monde ne sont pas dirigés par des hommes. Les monarchies européennes ont été les premiers régimes à placer des femmes à leur tête, à la faveur de régulières pénuries en héritiers mâles.
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Dans les urnes, les républiques peinent davantage à rompre l’hégémonie masculine du pouvoir. Il faudra ainsi attendre 1980 pour voir la toute première femme désignée à la tête d’un État au suffrage universel direct : réélue à trois reprises, la présidente islandaise Vigdís Finnbogadóttir a alors comme homologues la reine Élisabeth II et la reine Margrethe II de Danemark.

Depuis 1972, cette dernière exerce avec passion son rôle constitutionnel et de représentation à l’étranger. Sur le trône des Pays-Bas depuis 1980, la reine Beatrix décidera pour sa part d’abdiquer, reprenant en 2013 son titre de princesse pour laisser la place à son fils aîné.
Angela Merkel, la "mutti" des Allemands
C’est finalement plusieurs décennies plus tard que survient la véritable révolution tranquille : elle porte le nom de la chancelière Angela Merkel, promue aux commandes de la République fédérale d’Allemagne en novembre 2005.
Baptisée "mein Mädchen", ou "ma fille", par Helmut Kohl, la Hambourgeoise – qui s’apprête à tirer sa révérence cette année – fait à l’époque figure d’anomalie dans le paysage politique de l’État réunifié : femme, divorcée, elle a aussi la singularité d’être une "Ossi", c’est-à-dire une citoyenne de l’ancienne RDA.
À ces traits, présentés autant comme des insuffisances que comme des atouts, s’ajoute celui de n’avoir jamais eu d’enfants. Un point qu’ont longtemps souligné les commentateurs, comme s’il pouvait expliquer, même en partie, l’extraordinaire réussite de la chancelière désignée à quatorze reprises femme la plus puissante du monde par le magazine Forbes. "Ils se refusent à dire qu’elle est tout simplement une excellente politicienne", ironise l’élue écologiste Katrin Göring-Eckardt dans les colonnes du New Yorker. Ils oublient aussi que la chancelière a vécu avec les enfants issus du précédent mariage de son actuel époux.

De fait, Angela Merkel a souvent fait payer le prix fort aux hommes qui la sous-estimaient. Elle s’étonne encore d’avoir été nommée ministre des Femmes et de la Jeunesse, un portefeuille pour lequel elle n’a manifesté aucune prédilection ni intérêt – mais qu’elle acceptera d’endosser pendant trois ans, de 1991 à 1994.
Physicienne de formation – dans le domaine de la chimie quantique –, elle aborde les dossiers économiques et sociétaux avec les yeux d’une scientifique : de façon pesée et rationnelle, sans émotivité apparente.
Peu bavarde mais directe et toujours ultra-préparée, elle aurait été, d’après sa biographe Evelyn Roll, affublée du sobriquet de "Angie le serpent", en référence à son faible degré de tolérance à la critique… et à sa capacité à contre-attaquer.
La vie démocratique a plus que jamais besoin des femmes
"Quand la situation est vraiment, vraiment désespérée, on appelle une femme", lâche Christine Lagarde sur le plateau de l’émission télévisée américaine The Daily Show. En 2010, l’actuelle patronne de la Banque centrale européenne – alors ministre de l’Économie – n’hésite pas non plus à avancer qu'"un certain nombre des désordres observés au cours des dernières années, en particulier en 2008, auraient peut-être été atténués s’il y avait eu moins de testostérone dans les...
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