Elle est là, assise dans le canapé de son salon baigné de la belle lumière du Nord, celle des artistes. Le regard d’un bleu profond plongé dans celui de son interlocuteur. Aux lèvres, un sourire qui dit une joie parfois empreinte de gravité, des rêves où le noir peut vite l’emporter sur les couleurs les plus vives.
C’est la première fois qu’elle reçoit Point de Vue chez elle, dans sa maison d’Uccle, depuis que le tribunal l’a reconnue comme Son Altesse Royale la princesse Delphine de Saxe Cobourg Gotha, fille du roi Albert.
Même bohème heureuse, même simplicité, elle n’a changé en rien et pourtant, tout est changé. "Je n’ai jamais ressenti autant le besoin de travailler, et cela avec un bonheur total, depuis que j’appartiens à la famille royale. La vérité est sortie et c’est fini, c’est une libération. Ma quête était importante, cela fait partie de mon sang, de mon identité." Et des sources de sa créativité artistique.
Des œuvres d'art à partir des mots
"Depuis 2003, je travaille plus particulièrement sur les mots. Je suis dyslexique et je vois le dessin que forment les lettres avant de percevoir le sens qu’elles prennent. Le mélange des deux m’attire énormément. Me permet de jouer à la fois sur les deux tableaux. Quand on vous dit quelque chose d’agréable ou de profond, vous allez vous sentir bien. Les mots ont un pouvoir énorme. Ils me parlent à moi et à chacun d’entre nous, c’est pour cela que j’en fais des œuvres." Qui deviennent même aujourd’hui des œuvres à porter.
"En réalité, cela vient de loin. Lorsque j’ai commencé la Chelsea School of Arts, à Londres, il y avait des formations initiales dans des domaines très divers. Je pensais alors devenir styliste et mes trois semaines de découverte du métier m’ont permis de voir que ce n’était pas du tout ce que je croyais. On est tenu par le corps, limité et, pour les trois années suivantes, je me suis orientée vers les beaux-arts où la liberté est totale."
Delphine de Belgique dans son salon. Elle porte une de ses robes œuvres d’art. Dans son atelier, vêtue du modèle Never give up, en train d’ajuster la ceinture d’une autre de ses créations. Sur le mur, un de ses tableaux. © Olivier Polet
Il n’en demeure pas moins qu’aux yeux de Delphine, les vêtements "sont notre peau pour le monde extérieur et mon art a à voir avec cela, l’identité". Elle imagine ses mots et ses couleurs parler sur la peau de quelqu’un. Ce sont d’abord, voici longtemps, des mots de protection imprimés sur le tissu arachnéen de grands foulards châles, mots écrits ronds, comme l’orbe des bras, liés à l’infini comme on répète un mantra, au creux desquels jouent des taches de couleur. "Le foulard est très libre, c’est un peu un doudou, une armure, on peut jouer avec, en montrer un bout dont les mots parlent pour vous."
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Chacun se souvient aussi de ce masque où courait le mot Love, porté par Delphine le 1er octobre 2020, jour où la cour d’appel de Bruxelles rend son arrêt définitif qui reconnaît à la fille naturelle d’Albert II le nom de Saxe-Cobourg Gotha, le titre de princesse de Belgique et le prédicat d’Altesse Royale.
"J’ai refusé de vendre le moindre masque, c’est trop triste de devoir en porter. J’ai donné ce dessin à la Croix-Rouge, bien avant cette audience, pour qu’elle puisse recueillir des fonds et distribuer des masques à ses collaborateurs. Je travaille avec la Croix-Rouge depuis longtemps. C’est une association très importante à mes yeux, qui donne beaucoup d’amour. Et quant à ce masque Love, justement, à ce mot, lorsque vous vous présentez devant une cour de justice vous pouvez entendre des choses négatives ou vous sentir parfois déprimé et ce message d’amour m’encourageait à continuer, à rester positive. Je suis convaincue que ma procédure a aidé d’autres familles. Tous les enfants d’une fratrie doivent être traités de la même façon. L’identité est ce qui construit votre vie, ce qui vous éclaire sur vos origines. Je n’en parle pas beaucoup à mes enfants mais sur le long terme cela les aidera à savoir d’où ils viennent."
Princesse, "un titre qui suppose une responsabilité"
Love, c’est aussi ce mot qui triomphe sous forme de statue monumentale, inaugurée le 17 octobre 2020 par l’artiste, dans le parc Gerda de la ville de Sint-Niklaas, à l’ouest d’Anvers. "C’est une commande de la commune, financée par le mécénat de personnes privées. Un endroit très spécial où se côtoient personnes âgées, enfants de maternelle et jeunes handicapés. Un emplacement idéal pour cette œuvre."
Et la première sortie publique de Delphine devenue princesse. "Bien sûr, ce titre oblige et mérite d’être pris au sérieux. Il suppose à la fois une responsabilité et donne du poids à vos engagements caritatifs. Cela dit, élevée en Grande-Bretagne où le caritatif est très développé, je me suis toujours sentie tenue de m’engager, responsable des autres." Et enchantée lorsque son art fait du bien.
Delphine de Belgique dans sa maison d'Uccle. © Olivier Polet
Ainsi de cette exposition, en 2017, au musée d’Ixelles où elle présente, entre autres, un miroir où est gravé à l’acide "Fuck Perfection". "À l’heure où les réseaux sociaux imposent à la jeunesse une perfection d’apparence, j’ai reçu plein de messages d’adolescents qui m’ont dit combien cette œuvre les avait aidés à dépasser ce diktat et à se sentir mieux."
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À l’été 2020, "avec la pandémie nous étions en face de quelque chose qui faisait peur. Quelle attitude adopter ? Pour répondre à cette question, j’ai fait l’exposition Attitude, à Knokke, chez mon galeriste, Guy Pieters, jalonnée de peintures gigantesques composées à partir de poèmes écrits pendant la procédure en justice, un peu tristes, noirs et blancs, parfois, rythmés par des pièces très colorées et joyeuses." Ce sont des poèmes en anglais où il est question de secret, de trahison, de culpabilité, de tourment.
"Les liens continuent de se tisser pas à pas avec ma famille paternelle"
Mais l’attitude de Delphine est de ne pas renoncer, de puiser ses forces dans l’amour donné et reçu. Jusqu’à ce que surviennent la lumière et la réconciliation. Alors, elle décide aujourd’hui de donner une nouvelle dimension à ses tableaux Never...
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