Le soleil griffe le flanc de la Vallée des rois. Accueillies par le docteur Zahi Hawass, le célèbre égyptologue, la reine Mathilde et la princesse héritière de Belgique vont pénétrer dans le tombeau de Toutânkhamon. Le flot de touristes a été détourné pour la circonstance et l’on pourrait presque se croire revenu le 18 février 1923, lorsqu’une autre Elisabeth, reine des Belges, découvrait la chambre funéraire du pharaon, guidée par Howard Carter et lord Carnarvon, accompagnée aussi de Jean Capart, le père de l’égyptologie au plat pays.
L’illusion est d’autant plus vive que, devant l’entrée et les marches menant à l’excavation, Mostafa Waziri, secrétaire général du Conseil suprême des antiquités d’Égypte, fait revivre pour ses auditrices la découverte de la tombe. "Merci, lui sourit la reine Mathilde, vous racontez avec beaucoup de passion". Puis de descendre avec la princesse Elisabeth jusqu’à la chambre funéraire. M. Waziri commente la symbolique des peintures murales. Toutânkhamon y apparaît représenté sous les traits d’Osiris, maître du royaume des morts. Les mots se perdent dans un murmure qui devient maintenant un silence religieux. L’émotion est là, intacte. D’autant plus forte qu’elle n’a rien de superficiel. "J’ai déjà accueilli ici le roi Philippe, la reine et la princesse héritière, en 2019, à l’occasion d’un voyage privé", confie Zahi Hawass. "Ils sont formidables, informés, intéressés".

Quant à la visite officielle de ce 15 mars 2023, "nous avons eu cette idée voici plus d’un an, avec mon époux", dira Mathilde de Belgique, au cours de l’échange informel avec la presse le lendemain. "En 1923, quand la reine Elisabeth est venue ici, lors de l’ouverture de la tombe de Toutânkhamon, elle était accompagnée de son fils aîné qui avait plus ou moins ton âge", poursuit-elle en se tournant vers la princesse héritière. "Et nous nous sommes dit, pourquoi ne pas l’associer ! Quand nous te l’avons proposé, tu as été aussitôt très enthousiaste. [...] C’est une occasion unique de mettre en valeur l’archéologie belge et l’expertise que nous avons sur le sujet dans nos différentes universités, comme vous l’avez vu ces dernières vingt-quatre heures".
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Et déjà au Caire, le 14 mars après-midi, au tout début de ce périple hors norme. La scène se déroule devant l’extravagant palais du baron Edouard Empain, exactement à Héliopolis, ville créée par cet entrepreneur au destin de roman et aujourd’hui rattachée à la capitale égyptienne. Avec sa façade inspirée des temples d’Angkor, le palais tient ici du mirage et du décor de théâtre. Il est 16 h 40 lorsque la reine Mathilde et la princesse Élisabeth descendent de leur limousine, avant de monter côte à côte la volée de marches les séparant de la demeure d’apparat où elles vont inaugurer l’exposition consacrée à l’Égypte de la reine Elisabeth.
Un pays qui a conquis le cœur de l'Europe
Photos, documents, films d’époque retracent les voyages et le goût pour l’archéologie de l’épouse du roi Albert Ier, une passion qui remonte à sa toute première venue au pays des pharaons, en 1891, à 15 ans, en compagnie de sa marraine, l’impératrice Sissi. Elle y retourne avec son époux en 1911, en 1923 avec le duc de Brabant, futur Léopold III, et en 1930 de nouveau avec le roi. C’est dans la foulée de la visite de 1923 que Jean Capart la convainc de créer la Fondation égyptologique Reine-Elisabeth dont la reine Fabiola reprendra le haut patronage.
"Cela nous donne aujourd’hui l’une des plus belles bibliothèques égyptologiques au monde et la Belgique est devenue un centre scientifique de premier plan dans ce domaine", assure Marie-Cécile Bruwier, conservatrice de l’exposition et égyptologue. "Ce qui est très touchant, c’est le soutien de la reine Elisabeth à Jean Capart, son désir de rencontrer in situ tous les fouilleurs. C’est un regard et un intérêt que l’on trouve aussi chez la reine Mathilde qui, lors de ses études à Louvain, a suivi des cours d’archéologie et d’histoire de l’art".
Au fil de leur exploration, Mathilde de Belgique et sa fille aînée échangent un sourire complice en découvrant la princesse Marie-José, arrière-grand-tante de la princesse Elisabeth, vêtue en fille de pharaon à l’occasion de la Réception chez Toutânkhamon, soirée donnée à Bruxelles en 1926. L’égyptomanie fait rage, alors, et la reine Elisabeth demande à Jean Capart de lui faire découvrir de nouveaux sites lors de son voyage de 1930.

Ce sera El Kab, capitale religieuse de la Haute-Égypte, à huit cents kilomètres au sud du Caire, première étape du lendemain, mercredi 15 mars, pour la reine Mathilde et la princesse héritière. Les Belges y fouillent depuis 1937. Le travail y est aujourd’hui dirigé par l’archéologue Wouter Claes. Il mène d’abord la souveraine et sa fille aînée sur la terrasse d’où l’on a vue sur la grande enceinte de la ville antique, placée sous le signe de la déesse-vautour Nekhbet, puis les conduit dans la tombe de Setau, nomarque (grand prêtre) d’El Kab vers 1125 avant Jésus-Christ. L’intérieur est orné de peintures représentant, entre autres, la barque sacrée de la déesse Nekhbet, "mais le plus étonnant est que l’artiste, un certain Meryrê, a laissé sa signature", dit Wouter Claes. Les royales visiteuses quittent la nécropole mais pas le site. Elles grimpent d’abord sur le Rocher aux vautours, comme avant elles la trisaïeule de la princesse Elisabeth, pour en examiner les hiéroglyphes. Puis se rendent dans le Wadi Hilal et le petit temple de Thoutmôsis IV et Amenhotep III, l’un des mieux conservés de l’ancienne Égypte.

Direction maintenant Cheikh Abd-el-Gournah, sur la rive ouest du Nil, face à Louxor, une nécropole thébaine étudiée dans le cadre d’un projet de l’Université libre de Bruxelles et de l’université de Liège. "Nous rencontrons ici des tombes de hauts personnages qui nous parlent de l’administration autour de pharaon, dit le professeur Laurent Bavay. La reine est passionnée par l’Égypte ancienne et c’est un plaisir de les recevoir ici, elle et la princesse. Elles vont voir la chapelle de Sennefer, prince de Thèbes, ainsi que sa chambre funéraire, l’une des très rares à être décorées".
Claustrophobes, s’abstenir, le puits de descente est à la fois vertigineux et étroit, sans parler de l’antichambre au plafond si bas qu’il faut presque se tenir accroupi. Pas de quoi décourager Mathilde et Élisabeth, ravies de découvrir ces merveilles avant de se rendre dans le tombeau de Toutânkhamon, clou de cette deuxième journée. La dernière a pour cadre Deir el-Bersha, un village copte de Moyenne-Égypte et un site étudié dans le cadre d’un projet de l’université catholique de Louvain (KU Leuven). Les tombes sont au sommet d’un contrefort rocheux qui s’élève à cent cinquante mètres au-dessus de la plaine. La vue est à couper le souffle. La reine Mathilde et la princesse Élisabeth visitent la chapelle dédiée...
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