Sur les traces de Charles X à Gorizia et Nova Gorica

Ces villes jumelles, nées d’une partition après la Seconde Guerre mondiale, sont empreintes de multiples influences. L’une est italienne et a accueilli le dernier roi de France, en exil avec sa famille. L’autre, slovène, est le lieu de son dernier repos.

Par Fanny del Volta - 01 novembre 2021, 11h00

 Le monastère de Görz, devenu Kostanjevica, en Slovénie.
Le monastère de Görz, devenu Kostanjevica, en Slovénie. © Julio Piatti

Au beau milieu des Alpes juliennes, la ville de Gorizia dégage une convivialité toute méditerranéenne. Elle a aussi en elle le mystère des Balkans. Des églises au détour de ruelles étroites, le fleuve Isonzo d’où jaillit une lumière d’émeraude, et toujours un palais ici ou là... "Nous sommes en Vénétie, mais toute la magie de la cité réside dans son emplacement, au cœur de l’Europe", fait remarquer Carolina Piccolomini Lantieri avec un sourire de satisfaction. Profil distingué, cheveux d’or et démarche délicate, la comtesse von Levetzow est une véritable enfant du pays.

Carolina Piccolomini Lantieri, comtesse von Levetzow, propriétaire du palais Lantieri.
La comtesse Carolina Piccolomini Lantieri continue de faire vivre l’histoire des Bourbons exilés à Gorizia. © Julio Piatti

Propriétaire du palais Lantieri, construit en 1524, elle est née de mère allemande et de père italien. L’une de ses grands-mères était russe. Son grand-père paternel, le comte Erdmann von Levetzow, est issu d’une ancienne famille du Nord Mecklembourg. "Enfant, je demandais à ma grand-mère Clementina de me raconter des histoires sur Sissi ou Madame Royale." Décédée en 1960, à l’âge de 95 ans, l’aïeule de la comtesse Carolina a vu toute l’aristocratie et l’intelligentsia européennes défiler au palais Lantieri. "Dans sa jeunesse, Gorizia était la villégiature par excellence. On la surnommait la Nice autrichienne."

Portrait du roi de France Charles X dans la chambre qu’il occupait au palais Coronini Cronberg.
Portrait de Charles X dans la chambre qu’il occupait au palais Coronini Cronberg. © Julio Piatti

À l’époque, la ville est sous la coupe des Habsbourg. À la fois frontière et carrefour entre les mondes slave, latin et germanique, elle est emblématique de la Mitteleuropa. À la fin de la Première Guerre mondiale, Gorizia passe sous administration italienne. Et, après 1945, la Yougoslavie en obtient la partie orientale, qu’elle baptise alors Nova Gorica. Cette nouvelle entité, constituée de collines et de montagnes, devient slovène en 1991, quand disparaît le bloc de l’Est.

Chassé du pouvoir en France, Charles X trouve refuge en Bohême

Outre cette double culture, née de conquêtes et de brassages, Gorizia et Nova Gorica portent en elles une empreinte française. Elle date de l’exil de Charles X, dernier roi de France, détrôné lors des Trois Glorieuses, en 1830. Après s’être réfugié dans un premier temps en Écosse, l’ancien monarque accepte l’invitation de Ferdinand Ier de Habsbourg et s’installe en Bohême. Une épidémie de choléra le contraint à se replier sur Gorizia, au château Coronini Cronberg. La demeure date du XVIe siècle. Elle est entourée de cyprès et de pins parasols. Ses jardins sont un hymne au romantisme dont Charles X peut bercer son exil depuis ses fenêtres.

Le parc du palais Coronini Cronberg, demeure du XVIe siècle où s"éteint Charles X.
Le parc du palais Coronini Cronberg sera l’une des toutes dernières promenades du roi Charles X. C’est dans cette demeure du XVIe siècle qu’il s’éteint, le 6 novembre 1836. © Julio Piatti

À l’arrière-plan de ce paysage, il aperçoit aussi le clocher de Görz, qui domine l’une des collines situées en territoire autrichien. De loin, ce monastère dirigé par des Frères franciscains inspire la quiétude. Le choléra n’a pas épargné Charles X qui fait le vœu de reposer au monastère de Görz. Il est exaucé après avoir rendu son dernier souffle, le 6 novembre 1836, au palais Coronini Cronberg.

Aujourd’hui baptisé Kostanjevica, le monastère est surnommé "le Saint-Denis de l’exil". La crypte dans laquelle est inhumé Charles X renferme également les tombeaux de son fils, le duc d’Angoulême, de sa belle-fille, Madame Royale, unique enfant survivant du roi Louis XVI, de son petit-fils et de son épouse, le comte et la comtesse de Chambord, de sa petite-fille, la duchesse de Parme, et de son ministre et ami, le 1er duc de Blacas.

Un palais empreint du souvenir des Bourbons exilés

Si les Frères franciscains veillent au repos de ces fantômes illustres, les tombeaux ont connu les affres de l’histoire. "Pendant la Première Guerre mondiale, l’impératrice Zita, petite-fille de la duchesse de Parme, les a fait évacuer à Vienne. Ils ont été rapatriés en 1932", explique le père Niko Žvokelj. "Lorsque le général Tito a pris le pouvoir en Yougoslavie, mon père a négocié avec lui le maintien du statut de Kostanjevica", poursuit Carolina Piccolomini Lantieri. 

Aujourd’hui, chaque premier samedi du mois, le père Niko, installé au monastère depuis sept ans, prononce une messe pour les donateurs de Kostanjevica. "Les descendants de Charles X ont été très charitables envers notre paroisse. Des gens militent pour le retour de la famille royale en France, mais j’espère qu’elle continuera de reposer ici en paix."

La crypte du monastère de Kostanjevica, le Saint-Denis de l’exil, en Slovénie.
La crypte du monastère de Kostanjevica, qu'on surnomme  le "Saint-Denis de l’exil",  où Charles X est inhumé. Elle renferme aussi les tombeaux de son fils le duc d’Angoulême, sa bru Madame Royale, son petit-fils et son épouse, le comte et la comtesse de Chambord, sa petite-fille la duchesse de Parme. © Julio Piatti

Dans son palais de Gorizia, la comtesse Piccolomini Lantieri est aussi gardienne de cette mémoire. "La comtesse de Chambord est morte ici. Elle avait choisi les appartements qui offraient un accès direct à la chapelle." Grâce aux archives Lantieri et aux souvenirs de sa grand-mère Clementina, Carolina ressuscite le souvenir de l’exil des Bourbons. Du parfum que portait le duc d’Angoulême aux broderies que réalisait son épouse Madame Royale, on retrouve la trace des descendants du dernier roi de France dans chaque pièce du palais.

Les souvenirs des Bourbons exilés au palais Lantieri à Gorizia en Italie.
Au palais Lantieri, on trouve des souvenirs des Bourbons exilés, comme cette lettre écrite par le comte de Chambord à Elena Levetzow Lantieri : "Je crois que d’une femme aimable en vous, chère Comtesse, un ange a pris les traits..." © Julio Piatti

Ici est exposé un éventail ayant appartenu à Madame Royale, en lieu sûr est rangé une broche de diamants offerte par le comte de Chambord à la comtesse Elena Levetzow Lantieri, "mon arrière-grand-mère, en remerciement d’un bal qu’elle a organisé en son honneur, le 29 septembre 1838. Il avait 18 ans". De cette vie à Gorizia, Madame Royale disait : "Il y avait l’ombre d’une Cour, mais aucun courtisan. Tous ceux qui appartenaient au cercle étaient des amis."

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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