Laurent Fabius nous ouvre les portes du Conseil constitutionnel

Voisine du ministère de la culture et de la Comédie-Française, cette aile du Palais-Royal abrite les neuf juges chargés de défendre les libertés. Le président de cette institution suprême nous dévoile ses salons majestueux et ses passages secrets révélés par un beau livre publié aux Éditions du Patrimoine. 

Par Angélique d'Erceville - 12 novembre 2020, 13h19

 Président du Conseil constitutionnel depuis 2016, Laurent Fabius est l’un des neuf Sages, nommés pour neuf ans et renouvelés par tiers tous les trois ans. Parmi les huit autres juges, quatre femmes et autant d’hommes.
Président du Conseil constitutionnel depuis 2016, Laurent Fabius est l’un des neuf Sages, nommés pour neuf ans et renouvelés par tiers tous les trois ans. Parmi les huit autres juges, quatre femmes et autant d’hommes. © Julio Piatti

On peut présider le Conseil des Sages et avoir la bougeotte. Après plus d’une heure à expliquer l’institution qu’il préside depuis 2016, Laurent Fabius ne tient plus en place. Le clapotis de la fontaine qui monte depuis les jardins du Palais-Royal, en contrebas de son bureau, l’appelle à se dégourdir les jambes.

Laissant derrière lui les ors de la République, l’ancien Premier ministre sort sur la passerelle qui surplombe les colonnes de Buren et le relie au ministère de la Culture. Après quelques pas, le haut fonctionnaire revient à ses affaires: promouvoir le Conseil constitutionnel, institution de la Ve République, aussi cruciale que méconnue.

La passerelle, qui enjambe les jardins du Palais-Royal, relie le Conseil constitutionnel au ministère de la Culture. © Julio Piatti/Laurent Lecat
La passerelle, qui enjambe les jardins du Palais-Royal, relie le Conseil constitutionnel au ministère de la Culture. © Julio Piatti/Laurent Lecat

Créé par la Constitution du 4 octobre 1958, l’organe a pour mission de veiller au respect des droits et libertés fondamentales. Depuis dix ans, les parlementaires ne sont plus seuls à pouvoir lui soumettre des sujets de réflexion. Avec la création de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), chaque Français peut désormais se tourner vers eux.

Dans les faits, rares sont ceux qui sont initiés à ce rouage. "Les citoyens interrogés nous disent deux choses: qu’ils apprécient notre action, mais qu’ils ne la connaissent pas bien", admet le successeur de Jean-Louis Debré et Robert Badinter décidé à lever le voile sur le rôle des neuf "Sages" qui siègent dans cette aile du Palais-Royal.

Cet ensemble à l’unité architecturale parfaite a été construit en 1628 pour le cardinal de Richelieu, principal ministre de Louis XIII, qui souhaitait une demeure à la hauteur de son rang et proche du pouvoir, donc du Louvre. Au début du XIXe siècle, Louis-Philippe commande l’aile Montpensier à l’architecte Pierre Fontaine.

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Après dix-sept années de travaux, le nouveau bâtiment devient la résidence de la famille d’Orléans, mais ne bénéficie pas encore d’une jolie vue sur des jardins. À cette époque, un lotissement a pris place au centre du Palais-Royal. Au vu des activités peu sages qui s’y déroulent –jeux clandestins, maisons closes– les habitués détournent le nom du pâté de maison en "Palais gourmand".

"L’histoire de la France se bâtit ici tous les jours"

De retour dans son bureau, Laurent Fabius se lance dans un tour du propriétaire. "Il existe un contraste entre ces lieux chargés d’histoire, solennels, qui peuvent paraître distants de la vie quotidienne, et la fonction très actuelle du Conseil constitutionnel, qui fait vivre les lois. Il ne faut pas se laisser impressionner par les ors: l’histoire de la France se bâtit ici tous les jours", insiste le haut fonctionnaire.

Bureau de Laurent Fabius, actuel président du Conseil constitutionnel, où l’ancien côtoie le contemporain, sous la houlette de la mission ameublement du Mobilier national. © Julio Piatti/Laurent Lecat
Bureau de Laurent Fabius, actuel président du Conseil constitutionnel, où l’ancien côtoie le contemporain, sous la houlette de la mission ameublement du Mobilier national. © Julio Piatti/Laurent Lecat

Celui qui fut, à 37 ans, le plus jeune Premier ministre de la Ve République, souligne combien le parquet en point de Hongrie se marie bien avec le mobilier contemporain: son bureau en érable dessiné par Philippe Chaix et Jean-Paul Morel ou le tapis d’après André Dubreuil. Sur le marbre de la cheminée Louis-Philippe s’alignent des témoignages encadrés de personnalités présentes lors de la COP 21, dont il était le président.

Juste à la sortie de son bureau, Laurent Fabius s’arrête devant une porte en apparence similaire aux autres. Elle dévoile un petit oratoire entièrement tendu de rouge, meublé de deux prie-dieu et d’une statue de la Vierge Marie. Surprenante découverte dans une institution garante du principe de laïcité… "Défendre la laïcité, ce n’est pas gommer l’Histoire: cet oratoire était celui de Marie-Clotilde de Savoie, qui a habité ici sous le second Empire. Sa chambre est devenue le bureau du président", souligne-t-il.

Sous le second Empire, l’aile est habitée par Marie-Clotilde de Savoie, épouse de Jérôme Napoléon. La chambre de la princesse, devenue le bureau du président, était accolée à son oratoire, resté en l’état. © Julio Piatti/Laurent Lecat
Sous le second Empire, l’aile est habitée par Marie-Clotilde de Savoie, épouse de Jérôme Napoléon. La chambre de la princesse, devenue le bureau du président, était accolée à son oratoire, resté en l’état. © Julio Piatti/Laurent Lecat

Le couloir mène au grand salon et à la salle à manger du président, avant de déboucher dans la salle des délibérés dont les fenêtres sont habillées de lourdes tentures bleues. Là encore, Laurent Fabius s’arrête l’air malicieux, devant une porte fermée à clé qui ouvre directement sur… la Comédie-Française, voisine!

Avant 2016, ce passage dérobé était caché par une tapisserie. Mais l’actuel président a trouvé plus sympathique, tout comme son homologue côté théâtre, de s’échanger les clés pour se prêter des salles de travail ou se faufiler à une représentation.

Des Sages en charge de faire respecter la Constitution par tous

Mais avant de s’autoriser une escapade culturelle, les Sages ont pour mission de trancher les grands débats de société… De 80 à 100 saisines leur sont soumises chaque année. Légalité des amendes de stationnement, droits des terroristes, libertés individuelles en temps de Covid-19: la plupart des questions suscitent des débats houleux et le juge suprême des libertés doit jouer un rôle de pacificateur.

Heureux titulaire d’un 20/20 au baccalauréat de philo, Laurent Fabius explique: "Nos décisions sont guidées par notre lecture du droit –Constitution, Déclaration des droits de l’homme– et prises au nom de la philosophie et du bon sens." Même sur les sujets les plus passionnés, les décisions du Conseil constitutionnel doivent permettent d’apaiser les consciences. Gageons que le cadre solide du bâtiment qui l’héberge y participe: "S’il ne fait pas la force de la Constitution, il ne la dessert certainement pas."

Le Conseil constitutionnel du Palais-Royal, Éditions du Patrimoine, 144 pages, 30 euros. 

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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