Prenez un marchand d’art chaleureux et une artiste flamboyante, plus affectueuse encore. Placez-les dans le décor fantastique d’un loft hollandais, laissez infuser et appréciez. De l’art de découvrir deux personnalités hautes en couleur par le jeu d’une rencontre professionnelle. Depuis quinze ans, Gilles Dyan, fondateur d’Opera Gallery, présente le travail de Lita Cabellut, d’intenses portraits de femmes dont elle détruit la matière picturale, métaphore de la vie selon elle.
Artiste singulière, Lita est née chez les Gitans, quasiment dans la rue d’un village du nord de l’Espagne. Abandonnée, elle est adoptée à l’âge de 12 ans par une famille de notables catalans qui lui fait découvrir les cimaises du Prado de Madrid. Goya, Vélasquez, mais aussi les Flamands Rubens et Franz Hals l’ont tellement fascinée qu’elle part à l’âge de 19 ans étudier la peinture à la Rietveld Academie d’Amsterdam.
Est-ce la douce lumière du nord ou la discrétion des Néerlandais si respectueux de la vie des autres ? Toujours est-il que Lita n’est jamais repartie et vit depuis huit ans à la Haye.

Il y a quinze ans, Gilles Dyan repère son travail, de grands portraits déformés, et l’appelle. "Tout de suite, nous nous sommes trouvés. Puis Lita a rencontré ma femme Florence et elles sont devenues amies. J’ai déjà publié sept livres sur son œuvre qui permettent de suivre son évolution", raconte le galeriste. La figure de la femme y est omniprésente, superbe et abîmée à la fois, dans une force de vie étonnante, témoin de son parcours personnel.
Celui de Gilles Dyan n’a rien de banal non plus : parti de rien, ce passionné d’art est riche d’une énergie et d’une capacité à rebondir hors du commun. "Ce furent d’abord des lithographies vendues en porte-à-porte, puis des tableaux du dimanche exposés dans les centres commerciaux de la banlieue nord, quelques bons déboires financiers jusqu’à la création d’Opera Gallery en 1994." Singapour, Paris, New York, Miami… Les ouvertures se multiplient, jusqu’à treize espaces aujourd’hui à travers le monde, tous situés dans des quartiers huppés.

Le choix des artistes se précise, de plus en plus prestigieux, combinant des valeurs sûres du XXe siècle, Chagall, Calder, Basquiat, Dubuffet, Alberto Giacometti, Matisse, Miró ou Yves Klein, aux œuvres contemporaines de Pierre Soulages, Alex Katz, Anish Kapoor, Hermann Nitsch ou encore Lita Cabellut.
"Aujourd’hui, les grandes galeries d’art contemporain viennent sur le second marché. Nous avons pris cette option dès le début, ce qui nous permet d’aider nos clients à construire leur collection", explique celui qui ignore le mot vacances, se montre toujours disponible pour ses équipes et travaille en famille, avec son épouse et ses deux filles installées en Floride.
"Gilles m’accompagne toujours de façon bienveillante. J’ai besoin d’avancer, de continuer ma route comme je l’entends. Je n’aime pas répondre à des demandes de collectionneurs et il le respecte", renchérit Lita.

Dans une rue chic de La Haye, celle qui vient d’être distinguée "artiste de l’année" aux Pays-Bas s’est bâti un mystérieux cocon. "J’ai appris qu’il existait autrefois ici un atelier de fabrication de carrosses. Derrière la façade en vitres et boiseries, il n’y avait quasiment rien. J’ai tout imaginé et huit mois plus tard, j’emménageais."
De style dépouillé comme on sait le faire dans le Nord, il est peuplé de ses œuvres et d’une collection de sculptures religieuses rongées par le temps, de cheminées provençales, de miroirs baroques, de portes de palais égyptiens et d’un parquet récupéré dans une fabrique de canons.

Au centre, un jardin-patio exubérant accueille les déjeuners entre amis et, au fond, voilà l’atelier, tout blanc. C’est son royaume, là où Lita se sent le mieux entre les toiles en cours et la peinture rangée avec soin selon les techniques — acryliques, bombes, bidons, pastels.
"Chaque tableau raconte une histoire. Je peins d’après des modèles vivants, des femmes repérées dans la rue ou choisies chez Antimodels, une agence de mannequins atypiques d’Amsterdam. Ça commence par une séance photo intense, des projections de peinture, la surprise, l’émotion captée. Puis je peins, seule, l’après-midi. Tout compte : les mouvements de mon corps, ma respiration…", livre-t-elle avec une passion mêlée de gaieté.
Car si Lita respire la joie, ses œuvres, elles, évoquent des vies de souffrance, miroirs d’âmes amochées. La sienne, gitane, sait mieux que quiconque que tout peut se perdre et revenir. Elle n’en a pas peur, c’est là sa liberté.
OPERA GALLERY62, rue du Faubourg Saint-Honoré, Paris VIIIe.Exposition consacrée à Jean Dubuffet, à découvrir jusqu'au 18 décembre.operagallery.com / litacabellut.com
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