Fabrice Hyber à Mareuil-sur-Lay : "Je suis pour une écologie joyeuse et responsable"

Dans sa Vendée natale où il réside aujourd’hui, l’académicien, dont les aspirations écologiques traversent toute une œuvre plastique, éthique et espiègle, a semé une forêt de plus de 100.000 arbres ! Un acte militant, familial, entamé il y a vingt ans avec son père. Et qui a fait de lui le premier ambassadeur de bonne volonté du fonds de dotation "ONF – Agir pour la forêt".

Par Raphaël Morata - 02 décembre 2021, 07h15

 Fabrice Hyber au pied d’un cormier.
Fabrice Hyber au pied d’un cormier. © Christel Jeanne

Fabrice Hyber hume l’air, comme un sourcier pistant une nappe souterraine devenue aérienne. "Ça sent la corme !" Au pied d’un arbre bicentenaire qu’il fréquente depuis son enfance, le plasticien fend la chair jaune rosé et pulpeuse de ce petit fruit dont les vieux Vendéens tirent une eau-de-vie digne des Tontons flingueurs. Et c’est bien de vie qu’il s’agit lorsque l’on accompagne le plasticien de la Galerie Nathalie Obadia sur cette terre où longtemps ne poussaient que quelques buissons de fragonnette. "J’ai acheté le paysage autour de la maison de mes parents pour les protéger, élever une barrière végétale sur un territoire gangrené par les pesticides de l’agriculture intensive." 

Fabrice Hyber dans sa maison en Vendée
Dans l’entrée de sa demeure, une série de ses créations : Geek chair, vêtement Egg, parapluie avec des baleines tétines. Sur le mur, premiers dessins pour son répertoire des quatre types de virus, qui aboutira à la publication du livre, Le monde invisible du vivant, coécrit avec Pascale Cossart et publié chez Odile Jacob. © Christel Jeanne

Dès l’âge de 10 ans, Fabrice Hyber ressent cette urgence, semant, et non pas plantant des graines d’arbres – il tient à cette précision fondamentale qui implique une meilleure adaptation au biotope –, sur le domaine familial de la Serrie, situé à quelques kilomètres de Mareuil-sur-Lay. "Enfant, j’avais même été traumatisé quand mon père avait coupé un sapin. Ce qu’il n’a plus jamais fait…"

Un projet familial entrepris dans les années 2000

Dans ce bas bocage vendéen défiguré par le remembrement, père, éleveur de moutons, et fils, écolo avant l’heure, vont semer ensemble, dès les années 2000, et suivant, au départ tout du moins, les conseils de Vilmorin, 100.000 graines d’arbres. 70 hectares de forêt sur trois communes redessinent aujourd’hui le paysage. Portées par une belle anarchie (parfois raisonnée), libérant forces et malices de la nature, plus de 700 variétés d’arbres font désormais le bonheur du promeneur, des champignons, des oiseaux et animaux de tout poil. 

Fabrice Hyber dans sa maison en Vendée
Fabrice Hyber assis dans son fauteuil Couteau suisse. © Christel Jeanne

Chênes, frênes, saules, séquoias, châtaigniers, pommiers, poiriers, cognassiers, et tant d’autres, comme bien sûr le très rare cormier dont le bois "extrêmement dur puisqu’utilisé pour les engrenages de moulins à vent" a servi à la réalisation de l’épée d’académicien de Fabrice Hyber. Lui, l’antimilitariste, préfère l’expression de "bâton de marcheur". D’ailleurs, c’est en 2019, lors d’une de ses longues promenades le menant à Mareuil-sur-Lay, qu’il est passé devant les grilles de La Jacquelinière, imposante maison, avec deux hectares et demi de jardin, d’une famille de sénéchaux depuis trois siècles. "Gamin, elle me faisait rêver. Je l’appelais 'le château', comme beaucoup ici", confie Hyber qui l’acquiert pour y travailler et accueillir ses amis, qui n’ont pas manqué pendant les derniers confinements. 

Fabrice Hyber, un artiste écoresponsable

L’artiste a réaménagé le parc avec son "cèdre tellurique", préparé les 500 mètres de murs qui ceignent la propriété pour une future fresque illustrant tous ses personnages fétiches, du Ted Bear au Bibendum, transformé les communs, dont un abreuvoir, en de vastes ateliers où trône dans chaque pièce un fauteuil relax Lafuma, "pour la méditation", précise-t-il avec une douce ironie. Sur les tables, établis et tréteaux, on trouve en vrac des livres de Henri Poincaré témoignant de la passion étonnante de ce matheux pour la physique et la relativité restreinte. Mais aussi des carnets surchargés de dessins d’un démiurge savant, des tubes de peinture à l’huile des maisons Sennelier et Charvin avec lesquels il a créé son vert Hyber, qui lui rappelle "la pousse de charme au printemps".

"Cette couleur est la plus artificielle qui soit, une manière d’affirmer une écologie joyeuse, responsable, intégrant le progrès et l’humain", déclare celui qui est devenu, le 23 novembre, le premier ambassadeur de bonne volonté du fonds de dotation "ONF – Agir pour la forêt". L’Office national des forêts a été séduit par sa façon singulière de parler de la nature, de créer des passerelles entre les disciplines. De susciter l’attention du grand public comme des spécialistes, lui qui s’est fait connaître avec la création du plus gros savon du monde, pesant 22 tonnes, aujourd’hui entreposé dans une benne chez ses parents.

Fabrice Hyber dans sa maison en Vendée
Méditation dans un fauteuil Lafuma. © Christel Jeanne

À 60 ans, le lauréat du Lion d’or de la Biennale de Venise en 1997 continue à s’amuser, comme un chenapan, gratifiant murs et papiers peints du "logis principal resté dans son jus" de dessins et réflexions pataphysiques. Partout ses POF (Prototypes d’objets en fonctionnement) comme son célèbre ballon carré, ses Hommes de Bessines, petits hommes verts qu’il a essaimés à travers le monde, son fauteuil Couteau suisse imaginé pour le Mobil Art Chanel de Karl Lagerfeld, ou encore dans la cuisine, une bouteille de "Frisson d’Hyber", un gin élaboré à partir de plantes issues de l’agriculture biologique. 

À Mareuil-sur-Lay, loin de Pantin où il étudie l’idée de transformer une partie de son atelier parisien en école d’apprentissage en alternance, c’est vraiment "Fabrice au pays des merveilles". À l’image de sa première peinture signée, à l’âge de 10 ans, sur une boîte de chocolats Suchard et retrouvée dans les affaires de ses parents. Deux personnages de dessin animé, Kiri le clown et le chat Ratibus. "Je me souviens que j’avais eu beaucoup de mal à peindre… la butte. La nature, déjà !", sourit-il en commençant à fredonner les paroles du générique : "Trotte, trotte ma jument. Vole, tu as des ailes. Cours bien vite dans le vent. Ohé, la vie est belle."

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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