Il y a quelque chose d’exaltant à partir pour une croisière inaugurale, surtout lorsque le navire qui vous attend sur le quai de Punta Arenas (Chili) est auréolé de tous les superlatifs. Le plus luxueux, le plus spacieux, de plus en plus écolo avec sa propulsion au gaz naturel liquéfié, capable de progresser dans plus de deux mètres d’épaisseur de banquise par le seul poids de sa coque "en banane".
Et surtout, le Commandant Charcot, nouveau fleuron de la flotte Ponant*, s’avère le plus passionnant qui soit dans son approche de l’Antarctique, grâce à la présence à bord de vingt-cinq naturalistes prêts à vous raconter la vie sexuelle du manchot papou, l’intérêt de la crotte de baleine sur l’écosystème ou les dizaines de milliers de kilomètres parcourus chaque année par la délicate sterne arctique.
Un hommage au scientifique français Jean-Baptiste Charcot
Comme un hommage au scientifique français dont ce navire porte le nom. Entre 1908 et 1910, au cours d’une expédition de vingt-deux mois dans les glaces de la côte ouest de l’Antarctique, Jean-Baptiste Charcot, médecin et humaniste, a ouvert la voie des futures explorations polaires à bord du Pourquoi Pas ?
Depuis la passerelle, le commandant Garcia jubile. Aujourd’hui, le Drake fait mentir sa terrible réputation. Ce passage plein sud à travers l’océan Pacifique est sage comme une image. Une fois le cap Horn passé, au sud du Chili, il reste deux bons jours de mer pour découvrir les premières côtes du sixième continent.

Ding ! Le signal rituel tinte dans les moindres recoins du Commandant Charcot. "Chers passagers, ici votre commandant pour vous conseiller de regarder à l’horizon. D’ici cinq minutes, nous entamerons notre route dans la glace."
Aussitôt, une nuée de parkas orange convergent vers les postes d’observation, la promenade du pont 5, la piste d’hélicoptère au pont 6 ou l’observatoire du pont 9. En ce début de printemps austral, la banquise n’a pas dit son dernier mot. Au plus fort de l’hiver (en septembre), elle double la surface de l’Antarctique et ses 14 millions de kilomètres carrés recouverts de glace, jusqu’à 4000 mètres d’épaisseur.
"On ne voit pas arriver l’Antarctique, on bute contre lui", admet Luc Jacquet, réalisateur de La Marche de l’empereur, embarqué à bord pour tourner des images. C’est qu’il ne connaît pas encore tous les talents du Commandant Charcot. Dans un bruissement, le navire quitte l’eau libre pour se frayer un chemin dans la glace. Aussi sophistiqué soit-il, aucun système satellite n’est capable de fournir un état de la banquise en temps réel. "Seuls la glace et le temps sont maîtres", redit le commandant Garcia, empruntant un vieux proverbe inuit.

À bâbord, la côte se découpe en sommets abrupts de roche noire nappée de blanc. 67° 53’ 31’’ S, la baie Marguerite se dévoile au détour d’un iceberg tabulaire, cirque splendide auquel Charcot donna le nom de son épouse en le découvrant, en janvier 1909. Glacier George VI, île Pierre-Ier, détroit de Bismarck… la topographie des lieux évoque la mémoire des grandes explorations polaires et des souverains de l’époque. Le temps de mettre les Zodiac à la mer, et voilà le flot des parkas orange au ras de l’eau, zigzagant entre les blocs de glace.

Comme le vent est calme, il fait autour de zéro degré. Une colonie d’éléphants de mer se vautre sur la berge au soleil, un phoque crabier reprend des forces sur la banquise. Ce premier contact est un éblouissement de pureté et d’énergie, de force et de sauvagerie avec, par instants, la silhouette rassurante du navire qui apparaît derrière le profil déchiqueté d’un iceberg. Car l’ambiance, une fois au chaud, est à un luxe raffiné comme on l’aime, dans l’intimité des cabines cinq étoiles ou côté salons, celui plutôt feutré du pont 5 signé du décorateur Jean-Philippe Nuel, ou celui façon observatoire du pont 9, avec ses baies surplombant la nature, réalisé par l’architecte Jean-Michel Wilmotte.

Ding ! Baleines à bosse "à 11 heures" (droit devant, un peu à gauche). Leur souffle surgit de la mer, puis ce sont des mâchoires pointues et leur nageoire caudale. En provenance du pôle Nord, elles n’ont rien avalé depuis quatre mois et se gobergent du krill en abondance dans le printemps de l’océan Austral. De conférences en "récap", on apprend, on comprend la subtilité du règne de la glace. On évoque à demi-mot celui que tout le monde attend mais qui tarde à se montrer, le manchot empereur, seigneur de l’Antarctique avec sa silhouette d’un bon mètre cheminant tel un bonhomme de Sempé.
À l’inverse de ses congénères, il se reproduit en hiver, sur la banquise bien solide, loin de l’eau libre. Tout l’art des naturalistes consiste à repérer le point de passage de la colonie lorsqu’elle revient lestée de nourriture pour ses petits. Quand tout à coup, victoire! Un premier sujet se détache sur l’horizon blanc.

Avec une délicatesse de sioux, le Commandant Charcot se cale dans la glace et déploie sa passerelle. Plusieurs heures durant, c’est une féerie, une profusion d’empereurs au ventre nacré aussi curieux que les marcheurs en parka orange, et des familles de phoques râleurs. Face au miracle d’une nature à jamais indomptée, la jubilation d’assister à pareil spectacle accompagnera les passagers du Commandant Charcot longtemps, bien après son retour en des eaux plus tempérées.
*www/ponant.com et 04 30 00 22 39.
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