D’où vient ce claquement régulier tandis que l’on avance vers l’entrée d’honneur du château d’Hillsborough ? Pas de la cohorte d’oies qui déambule devant la façade de grès doré, ni d’un lointain moteur. Il suffit de lever les yeux pour en découvrir l’émetteur : une hampe plantée sur le toit, destinée à hisser les couleurs de la famille royale d’Angleterre lorsqu’elle est dans les murs. Pas de drapeau dans le ciel irlandais, la voie est donc libre et c’est tant mieux. Car, depuis que la décision a été prise d’ouvrir Hillsborough Castle aux visiteurs, son parc de 40 hectares a été restauré avec un soin tout anglo-saxon. "En trois ans, nous avons réinstallé 32.000 plantes, déblayé et repaysagé des pans entiers du domaine", indique, avec un brin de fierté, Claire Woods, jardinière en chef d’une équipe de dix personnes.

Sous son chapeau double-emploi — contre la pluie et le soleil —, elle s’appuie sur les plans dessinés par la paysagiste irlandaise Caherine FitzGerald, qui a elle-même composé avec l’histoire des lieux. Car le château d’Hillsborough, tel qu’il apparaît aujourd’hui dans sa splendeur toute géorgienne, a évolué au fil de l’histoire.
Un premier manoir est construit vers 1750 par Wills Hill, membre de la chambre des Lords et secrétaire d’État aux colonies du nord, autrement dit l’Amérique. Ce personnage puissant, qui sera élevé au titre de premier marquis de Downshire en 1789, a choisi de s’installer en ville et non pas en pleine campagne, comme il est d’usage en Irlande. Ses héritiers vont œuvrer à étendre le domaine jusqu’à sa taille actuelle de 40 hectares, quitte à détourner la route principale et rehausser la façade sud d’un majestueux portique en pierre.

Début XXe, l’adoption des Land Acts permet aux petits cultivateurs d’acheter des terres et réduit l’influence des marquis de Downshire. En 1925, trois ans après la formation de l’État libre d’Irlande, qui deviendra l’Eire, le domaine est racheté par le gouvernement anglais qui y installe son premier représentant en Irlande du Nord. Par un coup de pouce de l’histoire, les liens entre la famille royale et le domaine vont se resserrer puisque le second gouverneur nommé en 1945, William Leveson-Gower, 4e comte Granville, est marié à la sœur aînée de la reine Elizabeth, née Bowes-Lyon.
"En trois ans, nous avons réinstallé 32.000 plantes"
Juste après-guerre, l’un des premiers voyages des princesses Élisabeth et Margaret sera d’ailleurs pour Hillsborough. En juillet 1953, la toute jeune Élisabeth II et son prince consort Philip sont de retour dans le cadre du "Coronation tour". La grande salle à manger de la demeure conserve intact le souvenir de ce dîner de gala servi dans des assiettes décorées d’orchidées conçues, pour l’occasion, par la manufacture Spode & Copeland.

Assise dos à la cheminée, la reine a droit à la vue sur le jardin qui se dessine derrière les portes-fenêtres. Soixante-neuf ans plus tard, il est plus en forme que jamais, grâce aux travaux colossaux menés par Historic Royal Palaces, l’organisme en charge du domaine, au même titre que le palais de Kensington et la tour de Londres notamment. "Jusque-là, nous avions juste le droit d’apercevoir la façade de l’entrée officielle derrière la grille. Depuis trois ans, c’est un vrai bonheur", témoigne Suzan, voisine et titulaire d’une carte qui lui permet de profiter à volonté des quatre saisons du parc.

Divisé en 22 sections, il commence dès la terrasse en dalles de pierre calcaire envahies d’un fouillis de roses, de jasmin et de toutes sortes de feuillages qui créent une transition magique entre le bâti et la nature. À l’ouest, passé le terrain de croquet, on rejoint en pente douce le Granville Garden, créé au début des années 1950 par tante Rose, la sœur de Queen Mum. Un régal pour les yeux, jouant sur la symétrie des mixed borders et de banquettes de roses Silver Jubilee de chez Alex Cocker, tandis qu’un rhododendron, réputé pour être le plus grand au monde, ferme la perspective.

Au sud, un autre jardin clos aux dominantes mauves descend en une succession de terrasses vers le parc. Le magnolia de Siebold, planté par la reine Élisabeth lors de sa dernière visite en 2016, doit encore se remplumer, tandis que celui installé par William et Kate la même année a fière allure. Il n’y a plus qu’à se laisser porter par la promenade, longer le ruisseau bordé de gunnera, contourner les azalées géantes de la section Asie, grimper jusqu’au temple à colonnade de Lady Alice, édifié en 1867 à l’occasion du mariage de la sœur du 5e marquis de Downshire, pour avoir le coup d’œil sur la rangée d’ifs montant vers le château.

Et encore découvrir l’immense potager, les prairies fleuries et la forêt de séquoias importés d’Amérique en 1870, qui semblent toucher le ciel. Le 23 mars dernier, Claire Woods a eu le plaisir de guider le prince Charles et la duchesse de Cornouailles à travers ce jardin extraordinaire. La fierté se lit encore dans ses yeux et on comprend vraiment pourquoi.
Hillsborough Castle and Gardens
À une demi-heure de voiture de Belfast.
Merci à Tourism Ireland pour l’organisation de ce reportage.