C’est déjà un événement médiatique. Ce 11 avril 2022, HarperCollins annonce une nouvelle édition du livre d’Angela Kelly, l’habilleuse de la reine, The Other Side of The Coin, sorti en 2019 et vendu à plus de 100.000 exemplaires. À quelques semaines des célébrations du jubilé de platine d’Élisabeth II, l’éditeur promet de nouveaux chapitres et d’inédites révélations… sur ses tailleurs pendant le confinement ! Une tempête dans un dé à coudre ? Qu’importe, les réseaux sociaux s’enflamment. "Cela va être fascinant", assure Rebecca English du Daily Mail. La machine est lancée. Angela Kelly, la papesse de la mode "made in" Buckingham, a réussi son coup.
Une reine au style intemporel
Depuis les années 1950, le style de la reine, ses goûts vestimentaires, sa coquetterie supposée ou son indifférence alimentent une littérature prodigieuse. La garde-robe royale nourrit tous les fantasmes, notamment l’existence supposée de messages codés, politiques, que la souveraine enverrait au monde à coups de broches, de chapeaux et autres accessoires… Même les couleurs choisies par Sa Majesté – un vert émeraude, un rose poudré – auraient, forcément, une signification cachée. Ou comment faire parler celle qui ne parle jamais.

"Le monarque britannique au règne le plus long de l’histoire a redéfini ce que signifie s’habiller comme une reine", résume, non sans malice, la journaliste et auteure à succès Elizabeth Holmes. "C’est un génie de la stratégie", renchérit Vanessa Friedman, directrice des pages mode du New York Times. Le mythe de l’uniforme royal est pourtant bien installé : le vêtement serait d’abord pratique, coloré pour être visible de loin et par tous, peu enclin à suivre les tendances pour mieux souligner le caractère intemporel de la monarchie… C’est sans doute aller un peu vite en besogne.


À un journaliste canadien qui lui demande, en 1977, si Élisabeth II s’habille pour elle-même ou pour son mari – question pour le moins sexiste, mais telle était l’époque –, la modiste Simone Mirman répond sans ambages : "Je crois qu’elle s’habille pour elle", avant d’ajouter en souriant "Et puis elle aime faire plaisir au public."
Une poignée de créateurs pour habiller Sa Majesté
Au début du règne, le public, justement, est fasciné par la silhouette de cette jeune femme vouée à porter si tôt la couronne. À l’hiver 1953, la première tournée royale après le couronnement est un événement historique qui conduit Élisabeth II et le prince Philip aux Bermudes, en Jamaïque, aux îles Fidji, en Nouvelle-Zélande, en Australie, à Ceylan, en Ouganda, à Malte et à Gibraltar. Le monde suit, passionné, chaque étape avec la même question aux lèvres : que portera la reine ?

Pour le styliste Norman Hartnell et le modiste Aage Thaarup, ses fournisseurs, la publicité est colossale. Le premier, qui a dessiné la robe du couronnement, devient une figure publique ; le second, en habile homme d’affaires, en profite pour ouvrir une boutique à Sydney. Avec succès : les clientes s’arrachent ses créations.

Car la garde-robe royale est surtout l’affaire d’une poignée d’hommes et de femmes, créateurs et créatrices de génie, qui œuvrent sous la houlette de l’habilleuse en chef de Sa Majesté, un poste clé longtemps occupé par l’indispensable Margaret MacDonald, dite "Dodo". Dans les années 1950 et 1960, Norman Hartnell n’est pas le seul à avoir le privilège d’habiller la reine : le couturier Hardy Amies reçoit lui aussi un Royal Warrant – le sésame de fournisseur de la Couronne.
Un besoin de renouveau dans les années 1970
Concurrence acharnée ou saine émulation ? Pour une nouvelle tournée en Australie, en 1970, le palais passe une commande de cinquante-six robes aux deux hommes, avec une consigne : les raccourcir autant que possible. Hardy Amies, qui a la minijupe en horreur, manque de s’étrangler.

Mais le style Élisabeth II doit sans cesse se renouveler. Si les Windsor rechignent à lancer les modes – à l’exception notable de la princesse Margaret –, ils consentent à les suivre de loin. Charge aux stylistes et modistes de renouveler les looks, en ayant toujours à cœur de flatter la personne, sans jamais oublier la fonction. Le sur-mesure n’a jamais si bien porté son nom.

Dans les années 1990, pourtant, le fashion faux pas est devenu la règle commune. Les tenues de la reine sont un sujet de moquerie, au Royaume-Uni comme à l’étranger. À l’heure où sa popularité s’érode, un sérieux rebranding s’impose, à l’image de ce qu’entreprennent les marques de prêt-à-porter passées de mode, condamnées à se réinventer pour ne pas disparaître. Angela Kelly sera l’instrument de cette réinvention.
Élisabeth II par Angela Kelly
Alors qu’elle n’a jamais étudié la mode, qu’elle n’est passée par aucune maison de couture, l’énergique habilleuse d’Élisabeth II se met à dessiner et s’entoure d’une véritable équipe de professionnels. Buckingham "internalise", même si certains talents extérieurs sont toujours sollicités, comme le couturier Stewart Parvin. La silhouette de la reine s’adoucit, sans rien perdre de ses couleurs pop.


Angela Kelly invente la néoreine et l’assoit au premier rang de la Fashion Week de Londres, à côté d’Anna Wintour, autre reine de la mode. Le...
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