À l’époque, Paris avait encore une reine et elle se nommait Marie-Hélène. Son mari, le baron Guy de Rothschild la résumait dans une phrase amusante: "Après un quart de siècle de mariage avec elle, j’ai oublié à quoi ressemblait la couleur grise." Depuis ses appartements, au dernier étage de l’hôtel Lambert, la "baronne Guy" dominait la vie mondaine ou artistique.
Pas un gala à l’Opéra de Paris ou à l’Opéra-Comique ne pouvait se dérouler sans elle. Surtout lorsque Rudolf Noureev en était l’étoile. Sa robe et sa coiffure étaient parfaites d’élégance, ses bijoux toujours somptueux et assortis d’une manière inventive. Liza Minnelli, Richard Burton et Elizabeth Taylor ou Andy Warhol ne refusaient jamais ses invitations lorsqu’ils séjournaient à Paris.

Même les plus grands de ce monde, royaux ou politiques, tels la duchesse de Windsor, la reine Margrethe de Danemark et le prince Henrik, la princesse Grace de Monaco ou encore les présidents Reagan et Pompidou se pressaient à ses dîners ou à ses fêtes.
En réalité, "la" baronne était un mythe, le symbole d’un art de vivre fastueux et élégant, français et raffiné. Pour son coiffeur, Alexandre de Paris, autre étoile de cette époque d’insouciance: "Sa personnalité était si forte qu’elle avait réussi à déborder son titre pour imposer un personnage fascinant. Seules Marie-Laure (de Noailles) et Marie-Hélène (de Rothschild) se sont accordé le luxe de pouvoir oublier leur nom."
Son mariage surprise avec le baron Guy de Rothschild
Des noms, elle en avait portés plusieurs. Marie Hélène van Zuylen était née à New York et son arbre généalogique était un étonnant mélange de pays et d’influences. Son père, Egmont van Zuylen, possédait un château néo-gothique aux Pays-Bas. Reconstruit sur le site d'une ancienne propriété familiale, Kasteel de Haar était un décor fantastique digne de Walt Disney.
Diplomate au service de la cour de Belgique entre les deux guerres, Egmont avait rencontré au Caire une ravissante jeune fille née à Alexandrie, Marguerite Namétalla. Il l’avait épousée et trois enfants leur étaient nés, dont Marie-Hélène était la première. De ses racines orientales, de sa jeunesse à New York, elle devait conserver cette tournure d’esprit très cosmopolite.

Un premier mariage avec un aristocrate français, le comte François de Nicolaÿ, dont elle avait eu un fils, Philippe, s’était soldé par un divorce. Et en 1957, elle avait convolé à nouveau.
"La nouvelle de son mariage avec le baron Guy de Rothschild éclata dans mon salon comme un coup de tonnerre, raconte Alexandre de Paris. C’était Hiroshima, toutes les femmes en parlaient dans un état d’excitation extrême: c’était un sujet de conversation explosif. (...) La différence d’âge, de religion, l’enfant que chacun avait déjà. Tout était prétexte à déchaîner l’invective."
Marie-Hélène et Guy de Rothschild, qui lui aussi est déjà père d’un fils, le baron David, se moquent des commentaires. Ils auront un troisième fils, le baron Édouard. Et Marie-Hélène commence la conquête de Paris qui va lui assurer un pouvoir absolu.
La reine de Paris
Elle décide de rouvrir Ferrières, l’immense château bâti sous le second Empire par Joseph Paxton, l’architecte du parlement britannique, à la demande du baron James. Abandonnée depuis la fin des années 1930, occupée et pillée par les Allemands, l’immense demeure, avec son parc de 500 hectares, est à l’abandon. Elle lui insuffle de nouveau vie et y donne les derniers grands bals privés du XXe siècle.

Son ami intime, le baron de Redé, décrira ainsi le bal Proust donné en 1971: "La salle à manger d’ordinaire assez sombre, avait été transformée avec des palmiers et d’immenses fougères brillamment éclairées de vert. (...) Du château-lafitte était servi dans un décor d’orchidées mauves, avant que le dîner soit servi sur des tables couvertes d’orchidées qui avaient toutes été baptisées d’un nom proustien: Albertine, Odette… Marie-Hélène était assise à Guermantes, et Guy à Swann. "
"C’était un peu comme rentrer dans un film de Visconti, raconte Marisa Berenson, une des invitées. Il y avait ces extraordinaires décors Napoléon III. Les femmes portaient toutes des robes à taille corsetée et beaucoup de bijoux. Nous étions émerveillés parce que nous étions jeunes et que la vie est belle dans ces moments-là."
Hélas, même une fortune Rothschild ne peut résister au gouffre financier que représente l’entretien d’un château des dimensions de Ferrières. Au milieu des années 1970, le couple quitte l’immense bâtisse, qui est donnée à l’université de Paris.
Mais contre toute attente, le baron et la baronne Guy acquièrent une nouvelle résidence, presque aussi spectaculaire, l’hôtel Lambert, racheté aux princes Czartoryski. Et la fête de Marie-Hélène se poursuit, cette fois sous les lambris dorés de la galerie d’Hercule.
Une passion pour les bijoux
Rendre la vie plus belle, la sienne et celle des autres, est l’un de ses principes de vie. Dans cette existence à nulle autre pareille, les bijoux occupent une place de choix: "Ils étaient une autre de ses passions, se souvient le baron de Redé. Elle avait une collection fantastique. Et je l’ai plusieurs fois conseillée dans ce domaine. Un jour, je lui ai offert un bijou que j’avais caché dans une des fleurs d'une belle-de-jour. Elle a été ravie de recevoir la plante et encore plus lorsque la fleur s’est ouverte et qu’elle a découvert le bijou."

Le baron Guy de Rothschild, avec le chic qui le caractérise, s’ingénie lui aussi à offrir à son épouse des joyaux par surprise, en les dissimulant dans des endroits invraisemblables. La collection comprend des créations signées par tous les grands joailliers, Cartier, Boucheron, Chaumet, Van Cleef & Arpels, JAR… mais aussi nombre de pierres importantes.
Souvent, la baronne Guy porte deux énormes poires de diamants aux oreilles. Lors du bal Proust de Ferrières, en 1971, elle les accompagne de deux diamants taille marquise de plusieurs dizaines de carats, montés en bague. Elle possède aussi un collier-rivière chargé de poires de diamants et un collier d’énormes rubis. Sa collection de perles est fastueuse.
Un de ses rangs de perles grises a été vendu en 2005, chez Pierre Bergé & Associés, pour 1,5 million d’euros. Une autre partie de sa collection, 100 bijoux et objets précieux, sera proposée aux amateurs le 15 décembre, toujours chez Pierre Bergé & Associés.

Difficile de choisir dans ce recueil de merveilles qui sont marquées par un goût très sûr. Le pendentif Art déco attribué à Cartier, serti de diamants, d’onyx et d’une énorme émeraude, est emblématique du style des Années folles.
Un autre pendentif...
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