Les derniers rubis de la couronne de France en vente chez Christie's

Cette boucle d’oreille en diamants et rubis, aujourd’hui montée en broche, provient des collections de la couronne de France. Elle n’avait pas été revue depuis 1887. Elle est vendue chez Christie’s, à Genève, au cours de ce mois de novembre 2021. Et, bien sûr, tous les fanatiques de joyaux royaux se posent la question : qui va l’acheter ?

Par Vincent Meylan - 18 novembre 2021, 17h13

 Boucle d'oreilles en rubis des collections de la couronne de France
Boucle d'oreilles en rubis des collections de la couronne de France © Christie's

Nous sommes au mois de mai 1887. Dans la salle des États du palais du Louvre, les autorités de la IIIe République organisent la vente aux enchères des joyaux de la couronne de France. Des centaines de perles, diamants et pierres de couleur montés sur de fabuleux joyaux sont adjugés, souvent à des joailliers étrangers et pour des prix qui parfois peinent à atteindre le montant des estimations. 

La collection est tellement importante que le cours des pierres précieuses a baissé. Près de 60.000 diamants de toutes les tailles et de tous les poids, plus de 5.000 perles, souvent d’une grosseur exceptionnelle, et 1.600 pierres de couleur, dont 424 rubis, quittent les collections nationales françaises. Pour les républicains français cette vente est une victoire politique. 

Bracelet en diamants de Marie-Antoinette.
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Depuis plus de quinze ans, ils rêvent de débarrasser la France des derniers symboles du pouvoir royal. Il est vrai que la IIIe République a été instaurée presque par hasard. En 1871, après la défaite de Sedan, l’envahissement du territoire français par les troupes allemandes et la chute du second Empire, les élections législatives ont envoyé à l’Assemblée nationale une Chambre dans laquelle les députés monarchistes ont une majorité des deux tiers. 

Ils sont répartis en deux groupes. Les légitimistes demandent le retour d’exil du comte de Chambord, petit-fils du dernier roi "de" France, Charles X. Et les orléanistes, plus libéraux, suivent le Comte de Paris, petit-fils du dernier roi "des" Français, Louis-Philippe Ier. Les deux princes sont cousins et après une querelle dynastique qui a duré quarante-cinq ans, ils ont fini par se réconcilier. Pourtant, la cause royaliste piétine. 

Le comte de Chambord tergiverse. Il se veut l’héritier d’une monarchie sacrée. Venu pour quelques jours en France au mois de juillet 1871, il publie un manifeste dans lequel il proclame son attachement au drapeau blanc de l’Ancien Régime : "Je ne pourrais pas arracher de mes mains l’étendard sacré d’Henri IV, François Ier et Jeanne d’Arc", annonce-t-il avant de regagner son exil autrichien. Médusés devant cette intransigeance, les royalistes français vont tenter de gagner du temps en attendant la mort du prince. Le Comte de Paris qui devrait lui succéder accepterait sans difficulté le principe d’une monarchie parlementaire et d’un drapeau bleu-blanc-rouge, auquel les Français sont maintenant très attachés.

La vente des joyaux de la couronne de France a lieu en mai 1887

En 1873, la chambre monarchiste élit un président de la République, le maréchal de Mac Mahon, qui accepte de quitter le pouvoir le jour où la monarchie sera rétablie. Mais ce jour tarde, et les républicains gagnent du terrain. En 1876, ils remportent les législatives. Mac Mahon dissout la Chambre au mois de mai 1877 dans l’espoir de voir les monarchistes reprendre la majorité. C’est un échec. Mac Mahon démissionne en 1879.

Dès lors, les mesures symboliques destinées à écarter définitivement le fantôme de la monarchie se succèdent : adoption de La Marseillaise comme hymne national, retour des Chambres à Paris, instauration du 14 Juillet comme Fête nationale. Le vote en 1882, à l’initiative de Benjamin Raspail, de la loi "portant aliénation des diamants de la Couronne" est une autre de ces mesures symboliques. Six années vont s’écouler entre le vote de la loi et sa mise en application. Le délai est surtout lié aux désaccords sur l’utilisation du produit de la vente. Raspail le revendique pour les "invalides du travail". Jules Ferry souhaite l’attribuer aux musées nationaux. 

En 1883, le comte de Chambord meurt en exil. Trois ans plus tard, la Chambre des députés vote la loi d’exil qui interdit aux chefs des familles ayant régné sur la France et à leurs héritiers directs de séjourner sur le territoire français. Le Comte de Paris part pour l’Angleterre. Le dernier espoir des monarchies s’envole avec lui. 

 

 

Rubis
Les joyaux de la couronne de France sont exposés en 1878 à Paris. C’est leur dernière apparition avant la vente. © Léon & Lévy / Roger-Viollet

Plus rien ne s’oppose à la vente. Elle se déroule du 12 au 23 mai 1887. Le résultat, 6.864.000 francs, est décevant. Surtout pour les diamants et les perles. En revanche, les pierres de couleur, moins nombreuses, se vendent assez bien. L’un des ensembles les plus importants est la parure de rubis et diamants. Les pierres ont été achetées par Napoléon Ier peu après son mariage avec l’impératrice Marie-Louise. 

Dès le début de son règne l’Empereur avait entrepris de reconstituer la collection de joyaux appartenant à l’État en partie dispersée à la Révolution. En revanche, la monture de ces rubis remonte aux premières années de la Restauration. Elle est le résultat d’une commande de la duchesse d’Angoulême, aussi nommée Madame Royale, seul enfant du roi Louis XVI et de la reine Marie-Antoinette ayant survécu à la Révolution.

Les somptueux rubis de Madame Royale 

Née à Versailles en 1778, Marie-Thérèse Charlotte de France n’a pas encore 14 ans lorsqu’elle est emprisonnée dans la tour du Temple au mois d’août 1792. Elle est alors accompagnée de ses parents, de son jeune frère, le petit dauphin, et de leur tante, madame Élisabeth. Elle seule en est sortie vivante le 14 décembre 1795 pour être exilée en Autriche. Elle a épousé son cousin germain, le duc d’Angoulême en 1799. Et en 1814, lorsque le trône des Bourbons est rétabli, elle est revenue en France. En l’absence de reine, le roi Louis XVIII étant veuf, elle en est même devenue la première dame.

Femme de l’Ancien Régime, elle ne rêve que d’en rétablir les usages, jusqu’aux robes à paniers à la mode à Versailles, du temps de sa mère. Elle révoque systématiquement les brevets de fournisseurs de la cour accordés sous l’Empire et les fait rendre à ceux qui les détenaient avant 1789. La joaillerie n’échappe pas à cette épuration. Le brevet de joaillier de la Couronne est rendu à Pierre-Nicolas Menière qui avait obtenu cette charge en 1785. Menière a près de 70 ans en 1814.

Rubis
Ces deux bracelets créés en 1816, par le joaillier de la couronne de France, Menière, ont été pendant des décennies les deux seuls témoignages subsistant de la mythique parure de rubis des collections de la couronne de France. Ils ont été vendus en 1887 avec tous les joyaux de la Couronne, mais ils ont été acquis par musée du Louvre en 1973. © Julio Piatti

La duchesse d’Angoulême lui demande de remonter plusieurs des parures créées sous l’Empire. La grande parure de rubis et diamants est créée en 1816. Elle comprend un grand diadème, un second ornement de tête plus petit, une paire de bracelets, deux colliers, deux broches d’épaules, une rosace en forme de losange composée de quatre rubis, un pendentif, quatorze boutons composés d’un rubis entouré de diamants, deux pendants d’oreilles. Une ceinture comprenant treize plaques en rubis et diamants sera montée quelques années plus tard pour compléter l’ensemble. 

Sous le second Empire, l’impératrice Eugénie fera modifier plusieurs parures appartenant aux collections de la Couronne, mais elle conservera intacte la parure de rubis de la duchesse d’Angoulême. Divisé en une quinzaine de lots, l’ensemble est vendu pour un total de 587.600 francs or lors de la vente de 1887. La...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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