Les amours maudits de la sœur de Sissi

Duchesse en Bavière et reine des Deux-Siciles, la sœur de Sissi a vécu un mariage ennuyeux, la perte de son royaume, l’exil et un amour clandestin avec un officier français, Emmanuel de Lavaÿsse. Dans Le Secret de la reine soldat*, Lorraine Kaltenbach, une lointaine parente de l’amant, révèle les parts d’ombre et de lumière de cette femme courageuse et indocile.

Par Marie Létang - 05 mars 2021, 08h30

 C'est Proust dans "À la recherche du temps perdu" qui donne à Marie-Sophie le surnom de Reine Soldat.
C'est Proust dans "À la recherche du temps perdu" qui donne à Marie-Sophie le surnom de Reine Soldat. © AKG-images

Novembre 1860. Chapeau hongrois à plumes, robe blouse sanglée de cuir, pantalon bouffant à la turque et bottes : dans sa tenue semi-militaire, la reine guerrière de 19 ans reste droite et fière. Les coups de canon qui tonnent alentour n’ébranlent pas sa volonté.

Depuis la forteresse royale assiégée, Marie-Sophie voit la ville de Gaète partir en fumée, bombardée par l’artillerie sarde menée par le général Enrico Cialdini. Bravant à cheval le danger, elle porte malgré tout du linge et des pansements aux religieuses françaises qui soignent les blessés.

Chassés de Naples deux mois auparavant par les Chemises rouges de Garibaldi, le roi et la reine des Deux-Siciles se sont réfugiés au nord de leur royaume, dans le fort de Gaète sur la côte tyrrhénienne. Envoyé par Victor-Emmanuel II roi de Piémont-Sardaigne, le républicain a conquis le sud de la péninsule, annexant à l’Italie unifiée le royaume des Deux-Siciles sur lequel régnait François II.

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C’est ce roi, d’une édifiante piété mais au caractère velléitaire, qu’a épousé, un an plus tôt, Marie-Sophie Amélie de Wittelsbach, duchesse en Bavière, une sœur cadette de l’impératrice Élisabeth d’Autriche. Si cette nouvelle alliance souveraine fait la fierté de Maximilien et Ludovika, duc et duchesse en Bavière, les parents de la jeune reine, les mariés sont mal assortis.

Les secrets de la dernière reine de Naples

Marie-Sophie, bouillonnante et bien plus belliqueuse que son royal époux – "un séminariste habillé en général", fait dire, dans Le Guépard, Lampedusa au prince Salina –, enrage de devoir fuir Caserte, son Versailles napolitain. Elle ne peut s’empêcher de juger le fatalisme de son mari, qui à son avis baisse bien trop rapidement les bras face à l’ennemi. "Puisque les hommes manquent de courage, il faut bien que les femmes en aient un peu", déclare l’intrépide reine.

La résignation n’est pas dans le caractère de Marie-Sophie qui, se frayant un chemin au milieu des gravats et des malades du typhus, visite les hôpitaux, soigne les blessées et gagne son surnom de "madone des boulets" en allumant la mèche des canons avec sa cigarette.

Durant le siège de Gaète en 1861, bombardée par l’artillerie piémontaise, Marie-Sophie se révèle combative et porte son soutien aux blessés. © Stefano Bianchetti / Bridgeman Images
Durant le siège de Gaète en 1861, bombardée par l’artillerie piémontaise, Marie-Sophie se révèle combative et porte son soutien aux blessés. © Stefano Bianchetti / Bridgeman Images

Personnage éminemment romanesque, l’héroïne de Gaète inspire aussitôt les écrivains : Alphonse Daudet, Alexandre Dumas et Marcel Proust qui en fait une "reine soldat" dans À la recherche du temps perdu. Son courage et son aura marquent l’Histoire, éclipsant ses amours illégitimes, et même une fille cachée, secret soigneusement dissimulé par les deux familles.

Seule une nièce de Marie-Sophie et Sissi, la comtesse Marie-Louise von Wallersee-Larisch – également compromise dans le drame de Mayerling –, dévoilera l’affaire, en 1936, dans des mémoires truffées d’erreurs plus ou moins volontaires...

Si Lorraine Kaltenbach choisit à son tour de dévoiler cette part de mystère de la dernière reine de Naples, ce n’est pas par hasard. Son arrière-arrière-grand-père est le cousin d’Emmanuel de Lavaÿsse, l’officier français engagé comme zouave pontifical, en 1860, dont la reine va tomber éperdument amoureuse.

C’est au château de Garrevaques, dans le Tarn, où son arrière-grand-mère jouait avec Daisy, fruit des amours clandestines de Marie-Sophie, qu’elle a patiemment exhumé le secret de famille.

Marie-Sophie, aussi romanesque que sa soeur Sissi 

Après le siège de Gaète et la capitulation face aux Piémontais, en février 1861, les jeunes souverains vaincus s’exilent à Rome, à l’invitation du pape Pie IX. Installée au palais Farnèse, propriété du roi, Marie-Sophie découvre que son héroïsme l’a rendue célèbre et populaire, même auprès du tsar Alexandre II qui la décore de l’ordre de Saint-Georges.

Héroïne moderne, la reine déchue dispute même la vedette à sa sœur Sissi dans les gros titres de la presse. Mais le feu de l’action passé, Marie-Sophie est toujours frustrée en ménage, son pieux mari préférant à la vie de couple l’étude de celle des saints ! Le mariage reste infertile. Comme Louis XVI, le roi souffre en fait d’un "petit frein" dont il sera délivré, quelques années plus tard, par un coup de bistouri.

Marie-Sophie avec son époux François II, dernier roi des Deux-Siciles. © Eric Vandeville / akg-images
Marie-Sophie avec son époux François II, dernier roi des Deux-Siciles. © Eric Vandeville / akg-images

En attendant, pour calmer son tempérament, la reine s’adonne à l’escrime, à l’équitation et aux bains de mer à la vue de tous, faisant enrager son autoritaire belle-mère, la reine douairière Marie-Thérèse. Vilipendée pour sa liberté d’esprit, comme sa sœur Sissi, Marie-Sophie se retrouve victime d’un montage, plaçant son visage sur des photos pornographiques. L’une d’elles la révèle batifolant avec un zouave pon- tifical... et touche la reine en plein cœur.

Le goût de vivre auprès d'Emmanuel de Lavaÿsse

Ce zouave, c’est Emmanuel de Lavaÿsse, un officier français engagé dans l’armée pontificale. À peine arrivé à Rome, le jeune homme aperçoit la reine sur l’esplanade Saint-Pierre. Il tombe amoureux au premier regard.

Pour échapper à la morosité de son existence, Marie-Sophie a fait venir sa sœur Mathilde, devenue également sa belle-sœur depuis son mariage avec un frère cadet de François II, le prince Louis de Bourbon-Siciles, comte de Trani.

Ensemble, les jeunes femmes naviguent d’un évènement mondain à un autre et croisent, souvent, le chemin d’Emmanuel. Le Français devient rapidement l’escorte des sœurs Bavière lors de balades à cheval ou de chasses au renard dans la campagne romaine. Et la reine retrouve goût à la vie... Les deux amoureux se retrouvent bientôt dans les combles du palais Farnèse, auquel on accède par un passage dérobé encore existant.

Mathilde fixe les rendez-vous auxquels Emmanuel se rend discrètement en barque, par le Tibre, débarquant au bout du jardin tandis que Marietta, la gouvernante, fait le guet. Un vaudeville royal sans portes qui claquent...

La reine de Naples, aussi belle et indocile que sa sœur Sissi. © Josef Albert/ullstein bild via Getty Images
La reine de Naples, aussi belle et indocile que sa sœur Sissi. © Josef Albert/ullstein bild via Getty Images

Mais au bout de quelques mois, Marie-Sophie est enceinte. Elle rejoint Munich, où le médecin de famille confirme la grossesse. Impossible pour une reine, même en exil, d’affronter un tel scandale. Alors, officiellement, sa "santé fragile" la contraint à une cure dans la petite station de Bad Soden, près de Francfort. Officieusement, de nombreux émissaires, de l’empereur François-Joseph aux prélats du Vatican, tentent de la convaincre de revenir auprès de son mari et d’obtenir son pardon ; en vain.

Daisy

La reine se retire finalement au couvent Sainte-Ursule d’Augsbourg où va naître "Daisy", surnom de Marie Louise Elizabeth Mathilde Henriette, en novembre 1862. Si la rumeur bruisse dans les cours d’Europe, nul ne prononce le nom de l’amant et le secret de l’accouchement est relativement bien gardé. Et Marie-Sophie, d’abord réticente, accepte finalement de rentrer à Rome auprès du roi.

Selon Lorraine Kaltenbach, la reine aurait conclu un compromis : retrouver son mari à la condition que Daisy soit confiée à son père et non à un orphelinat. Mais plus jamais elle ne sera heureuse...

En 1867, la réconciliation entre les époux royaux est effective, Marie-Sophie met au monde la petite princesse Maria-Cristina-Pia qui mourra hélas quelques semaines après sa naissance. L’invasion des États du pape par Victor-Emmanuel de Savoie, en 1870, contraint les anciens souverains napolitains à un nouvel exil.

Lorraine Kaltenbach, qui a exhumé ses archives familiales et pérégriné trois ans à travers la France, l'Allemagne et l'Italie, ressuscite les amours cachées de cette combattante, et lève enfin le voile sur la mystérieuse Daisy de Lavaÿsse. © Service de presse
Lorraine Kaltenbach, qui a exhumé ses archives familiales et pérégriné trois ans à travers la...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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