Élisabeth Ire, la reine vierge et implacable

Dans une Europe déchirée par le fanatisme religieux, Élisabeth Ire impose la paix à son royaume. Une période de prospérité débute pour l’Angleterre, que la souveraine élève au premier rang des nations.

Par François Billaut - 22 octobre 2018, 12h33

 Élisabeth Ire, parée à l’instar d’une idole, a forgé de son vivant sa légende de "Reine vierge" omnipotente. Ce portrait dû à son contemporain, George Gower présente la souveraine dominant les océans, au lendemain de sa victoire sur l’Invincible Armada.
Élisabeth Ire, parée à l’instar d’une idole, a forgé de son vivant sa légende de "Reine vierge" omnipotente. Ce portrait dû à son contemporain, George Gower présente la souveraine dominant les océans, au lendemain de sa victoire sur l’Invincible Armada. Ann Ronan Pictures/Print Collector/Getty Images

Au logis royal de la Tour de Londres, le portrait d’Anne Boleyn retrouve sa place d’honneur en pendant de celui d’Henri VIII. Enfin reine, Élisabeth Ire réhabilite la mémoire de sa mère, diffamée et décapitée. Et elle déclare: "Certains qui étaient princes de ce royaume ont été réduits à être prisonniers en ces lieux. Moi, de prisonnière en ces lieux, j’ai été élevée à la dignité de prince de ce royaume." Tribulations d’une jeune souverainede 25 ans…

La "bâtarde protestante" devenue reine d'Angleterre

Née princesse le 7 septembre 1533, déclarée illégitime trois ans plus tard, réintégrée dans ses droits à l’adolescence, de nouveau écartée du trône, Élisabeth a connu la prison sous le règne de sa demi-soeur, Marie la Sanglante. Sur le verre de la fenêtre de son cachot, elle a gravé, à la pointe d’un diamant: "On m’a beaucoup soupçonnée. Rien n’a pu être prouvé." Conspiratrice ou innocente? La princesse a toujours nié, farouchement, avec un art consommé de la dissimulation dont elle a fait une règle: "Je vois et je me tais!"

Le pape Pie IV, le premier, fait les frais de sa "diplomatie" rusée. Maladroitement, le pontife somme la "bâtarde protestante" de se soumettre. Élisabeth doit, selon ses vues, abandonner la couronne à sa cousine Marie d’Écosse. C’est plus que la reine ne veut donner. Le 14 janvier 1559, Élisabeth accepte d’être sacrée selon le rite romain. Elle endort ainsi le clergé catholique… et frappe!

La "Reine vierge" Élisabeth Ire est portée comme une châsse par les gentilshommes de sa cour.. Universal History Archive / UIG via Getty Images

L’Acte de suprématie, édicté quelques mois plus tard par un parlement favorable à sa cause, exige des évêques un serment de fidélité à la reine, désormais "gouverneur suprême" de l’Église d’Angleterre. L’anglicanisme, religion d’État, vient de naître. Élisabeth impose sa paix aux catholiques fidèles comme aux puritains presbytériens. Gare à qui se rebiffe! La reine accorde la liberté de conscience à ses conditions, mais sans compromis.

Élisabeth Ire ne partage pas sa couronne, pas même avec un prince ou un roi

Épaulée par de brillants ministres, William Cecil, son secrétaire d’État, ou Thomas Gresham, qui fonde la première Bourse de Londres, elle restaure les finances publiques ruinées par les guerres et l’incurie de ses prédécesseurs. Et si elle se vêt majesté de son rang, rien ne compte pour Élisabeth que son métier: "Je suis un roi, je ne suis pas une femme."

Elle ne se montre pas moins sensible aux compliments des favoris sur son port altier, son teint d’albâtre, sa chevelure flamboyante. L’élégant Robert Dudley en tire habilement parti. Il est titré comte de Leicester et la reine pardonne les infidélités, nombreuses, de cet amoureux platonique. Robert Devereux, comte d’Essex, en revanche, convaincu de complot, sera impitoyablement jugé et décapité.

Le portrait de Darnley representant en majesté d'Elizabeth I, reine d'Angleterre et d'Irlande, le dernier monarque de la famille Tudor. Artiste inconnu. Ann Ronan Pictures / Print Collector / Getty Images

Élisabeth Ire ne partage pas sa couronne. Pas même avec un prince ou un roi. C’est pourquoi elle repoussera tous les prétendants, les archiducs Charles et Ferdinand d’Autriche, le prince héritier Éric de Suède, comme François de Valois, duc d’Anjou, son cadet de vingt et un ans, affectueusement rebaptisé la "Grenouille".

Après de longues années d’une cour assidue du prince français, ils se quittent "bons amis". Un "fiancé" ombrageux, en revanche, son ancien beau-frère Philippe II d’Espagne, ne lui pardonne pas son éviction. Sa Majesté Catholique tente de faire assassiner Élisabeth, quand il n’encourage pas sa cousine d’Écosse à la détrôner.

A la fin de son règne, Élisabeth Ire a hissé son royaume à l'aube de sa puissance mondiale

Dans l’ombre, Élisabeth attend son heure. Elle entretient le trouble dans le royaume voisin, et quand sa "bonne soeur Marie" fuyant l’Écosse, cherche refuge en Angleterre, elle l’accueille… en résidence surveillée. La rivale irréfléchie se place inévitablement au coeur d’un écheveau d’intrigues. Arrêtée, jugée, Marie Stuart est décapitée en 1587. 

Philippe II saisit ce prétexte pour lancer son "Invincible Armada" vers les côtes britanniques. Les cent trente navires de cette flotte formidable vont essuyer une défaite sans précédent. Moins de la moitié rentrera au port. Élisabeth Ire règne désormais sur l’Angleterre, l’Irlande et sur les océans où croisent les bâtiments de la Compagnie des Indes orientales.

En défaisant sur les mers l’Invincible Armada des Habsbourg, ci-contre, elle élève l’Angleterre au premier rang des nations. Universal History Archive / UIG via Getty Images

L’expansion britannique commence en Amérique, où sir Walter Raleigh fonde la colonie de Virginie, en l’honneur de sa "Reine vierge". La renaissance artistique contribue à la renommée de l’"âge d’or" élisabéthain. Marlowe et Shakespeare triomphent sur la scène du Théâtre du Globe, à Londres, et Francis Bacon publie ses Méditations et ses Essais. Spenser, célèbre la souveraine dans son épopée La Reine des fées.

Quand Élisabeth s’éteint, dans sa quarante-cinquième année de règne, elle a hissé son royaume au premier rang des nations. Comme elle l’a voulu, Jacques V d’Écosse, fils de sa rivale Marie, réunit les deux couronnes d’Écosse et d’Angleterre. Sur sa tombe, en l’abbaye de Westminster, elle a fait graver: "Ici repose Élisabeth qui vécut et mourut reine et vierge." Épitaphe d’une princesse qui aura tout sacrifié à sa couronne.

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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