Le 23 novembre 1965, une dernière attaque a eu raison de son cœur affaibli. Attendant de rejoindre son mari, le roi Albert Ier, dans la crypte royale de Laeken, Élisabeth repose sur un lit recouvert de fleurs blanches. Cinquante-cinq ans plus tard, la tristesse du roi Albert II demeure intacte à cette évocation. "De se trouver devant ma grand-mère, c’était très émouvant", confie-t-il, la voix brisée par les larmes, preuve du vide laissé par la troisième reine des Belges.
"Ce qui me reste de ma grand-mère, explique à son tour la princesse Esméralda de Belgique, fille de Léopold III et de sa seconde épouse, Lilian Baels, c’est cette extraordinaire détermination, cette force de caractère et d’opinion, ce courage moral d’aller au bout de ses convictions et de ne pas prêter attention à ce que les gens disent ou pensent…"
Élisabeth possède un caractère fantasque
Deuxième fruit du mariage de Charles-Théodore, duc en Bavière, et de Marie-José de Bragance, infante de Portugal, Élisabeth Gabrielle Valérie Marie de Wittelsbach voit le jour le 25 juillet 1876 à Possenhofen, en Haute-Bavière, au bord du lac de Starnberg, où naquit aussi sa tante et marraine, l’impératrice Sissi.

Élevée dans une famille faisant fi des convenances, elle connaît dans ce cadre romantique une enfance insouciante et libre, portée sur la nature et le sport et marquée par la personnalité de son père. Ophtalmologue, Charles-Théodore soigne gratuitement ses patients démunis. Outre cet humanisme, elle tient de ce père vénéré l’amour des sciences, des voyages et de la musique.
C’est à l’occasion des funérailles d’une autre de ses tantes, la duchesse d’Alençon, disparue dans le tragique incendie du Bazar de la Charité, à Paris, en mai 1897, qu’Élisabeth éprouve un coup de foudre pour Albert de Saxe Cobourg-Gotha, fils du comte de Flandre et neveu du roi Léopold II. "Elle a ces mots, sans ambiguïté : je n’en épouserai pas un autre", relate notre ancien collaborateur et écrivain Philippe Séguy.
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Pourtant, le prince héritier de Belgique tombe amoureux d’une autre jeune femme, Isabelle d’Orléans. Mais le roi Léopold pose son veto à ce mariage. Henriette de Vendôme, la sœur d’Albert, en profite pour provoquer des rencontres avec Élisabeth. Malgré des tempéraments opposés – il est timide et réservé, elle a hérité du caractère fantasque de sa marraine –, l’alchimie se produit, et c’est un mariage d’amour qui est célébré le 2 octobre 1900, à Munich.
Un couple royal épris d’humanisme et de justice
À la mort de Léopold II, Albert monte sur ce trône dont il ne se sent pas le dépositaire, car il aurait dû revenir à son frère aîné, Baudouin, si une pneumonie ne l’avait pas emporté à 21 ans. À la veille de prêter serment, il vacille. Sa jeune épouse le réconforte, lui insuffle du courage, le fait répéter. Albert prononcera finalement d’une voix ferme son discours en français et, pour la première fois, en néerlandais.
Le 23 décembre 1909 marque l’avènement du roi de tous les Belges et celui d’un couple royal épris d’humanisme et de justice, dévoué à la Belgique et à son indépendance.
Le 4 août 1914, l’Allemagne envahit le pays, violant sa neutralité. Le roi Albert prend alors la tête de ses troupes et la bavaroise Élisabeth se bat à ses côtés, après avoir mis à l’abri en Angleterre leurs trois enfants, Léopold, Charles et Marie-José. La progression allemande les force à se réfugier sur le littoral, à La Panne, où la reine s’investit auprès des blessés et n’hésite pas à se rendre sur le front. Le mythe du roi-chevalier et de la reine-infirmière est né.

À la Libération, les souverains résistants seront accueillis en héros à Bruxelles. Incarnant un souffle nouveau, le jeune couple continue à gagner en popularité, offrant l’image d’une monarchie plus moderne et proche de ses sujets. "Ils allaient en motocyclette visiter les villages à côté", s’exclame en riant la princesse Marie Gabrielle de Savoie, fille de Marie-José.
Ils innovent également dans la communication : installé à la Cour, un photographe donne à voir une famille simple et unie, qu’immortalise également la reine, jouant beaucoup de son propre appareil.
La reine Élisabeth est passionnée par son époque
Férue de sciences et d’art, Élisabeth réunit au palais de Laeken de nombreuses personnalités comme le peintre Eugène Laermans, le poète Émile Verhaeren, le médecin Albert Schweitzer ou Albert Einstein, avec qui elle joue du violon. Elle a pour professeur le très renommé Eugène Ysaÿe. "Ma grand-mère n’avait pas beaucoup de talent musical, raconte Marie-Gabrielle. Ysaÿe, à qui on avait demandé : 'Comment joue la reine ?', avait répondu : 'La reine joue délicieusement mal…'"
À l’origine de la création de la Chapelle musicale et du très prestigieux concours qui porte son nom, la musique est chez Élisabeth une passion profonde qu’elle tient à partager. "Elle voulait absolument que je sache jouer du violon", se souvient Albert II. "Je crois que le choix n’était pas très heureux parce que, quand je sortais mon violon et que j’étais en compagnie de mes parents, de mes frères et sœurs, tout le monde s’en allait…"

La sculpture, la nature et la découverte du monde la comblent également. Férue d’égyptologie, elle fait partie des premiers privilégiés à pénétrer dans la tombe de Toutânkhamon, en février 1923. "La presse du monde entier est là, raconte Esméralda, et ma grand-mère arrive avec un manteau de fourrure, ce qui est assez extraordinaire car la température est de près de 30 degrés, mais elle était grippée, elle avait peur d’attraper froid."
Pour leurs noces d’argent, Albert et elle se rendent en Inde où Élisabeth, intéressée par toutes les formes de spiritualité et pratiquant la méditation, insiste pour rencontrer le philosophe Rabindranath Tagore dans son ashram.
Le 17 février 1934, ce bonheur vole en éclats lorsque le roi fait une chute d’alpinisme mortelle à Marche-les-Dames. Anéantie, Élisabeth se cloître. "Elle a été vraiment, pendant une période, tout à fait isolée, dans une chambre noire. Elle ne voulait voir personne. Et puis j’ai eu la chance de naître, on m’a donné le nom d’Albert et ça lui a donné une joie de vivre et de recommencer un demi-rôle de mère", explique Albert II.

Le sort s’acharne en effet sur la famille royale. Dix-huit mois plus tard, la reine Astrid, épouse de Léopold qui a succédé à son père, meurt en Suisse dans la Packard que conduisait son mari, laissant trois orphelins : Joséphine-Charlotte, Baudouin et Albert.
En mai 1940, l’Allemagne envahit à nouveau la Belgique. Élisabeth reste au côté de Léopold III, qu’elle soutient, jusqu’à sa capitulation. Laeken occupé, elle prend ses quartiers dans un pavillon du parc. Elle y écoute la BBC, se démène pour faire libérer des prisonniers et surtout aider les Juifs persécutés, ce qui lui vaudra d’être reconnue Juste parmi les nations.
Une énergie et un enthousiasme débordant jusqu'à la fin
À l’issue de la Question royale, Léopold III abdique en 1951 au profit de son fils Baudouin. Installée dans le ravissant château de Stuyvenberg, Élisabeth peut librement s’adonner à ses activités favorites : jardinage, aquarelle, yoga…
Elle continue aussi à sillonner le monde. En pleine guerre froide, 1958 la voit partir pour l’URSS, sous prétexte du concours Tchaïkovski. "Ma grand-mère a toujours été une femme de paradoxes. Elle peut déplorer le sort des Romanov (…) tout en soutenant l’émergence du communisme et d’une autre forme de société plus juste, plus sociale", explique Esméralda. Logée au Kremlin, elle est reçue comme un chef d’État. "Elle...
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