Lorsque Catherine II de Russie meurt le 17 novembre 1796 dans son palais de Tsarskoïé-Sélo, les médecins concluent à une attaque d’apoplexie. À 67 ans, la souveraine russe achève dans un soupir ses trente-quatre années de règne, l’un des plus longs et brillants de l’histoire de son empire. "Sa mort parut aussi heureuse que son règne l’avait été", peut-on lire dans la version officielle. Mais les pamphlétaires prétendent qu’elle serait morte des suites d’un accouplement contre nature avec l’un des chevaux de son écurie!
Il serait injuste de cantonner cette grande femme d’État à sa nymphomanie
On ne prête qu’aux riches, et en matière d’extravagances sexuelles, la réputation de la Grande Catherine n’est plus à faire. Elle-même reconnaît sa "soif insatiable de délices et de volupté". Cet appétit ne s’éteindra jamais. Bien au contraire, il se renforcera au fur et à mesure qu’elle prendra de l’âge, la poussant même à commander un incroyable ensemble de pièces d’ameublement pour son "cabinet érotique" de Tsarkoïé-Sélo.
Pour autant, il serait injuste de cantonner cette grande femme d’État à sa nymphomanie, fût-elle hors norme. En cette fin du XVIIIe siècle, elle laisse un empire considérablement étendu, après avoir arraché la Crimée aux Turcs et annexé un tiers de la Pologne.
Tout au long de son règne, elle s’est efforcée d’ouvrir la Russie aux influences intellectuelles et artistiques de l’Europe occidentale. Elle lit Tacite, Machiavel et Montesquieu dans le texte, correspond avec Voltaire, qui la surnomme "la Sémiramis du Nord". Elle achète en viager la bibliothèque de Diderot.
Sous son impulsion, un nouveau code judiciaire voit le jour, l’industrie fait ses premiers pas. Elle crée des villes nouvelles comme Odessa. Grande mécène, elle achète 4.000 tableaux et 10.000 dessins de grands maîtres de l’époque, qui constituent aujourd’hui le fonds du musée de l’Ermitage.
Son époux se révèle cruel et infantile mais la future Catherine II s'accroche à son destin
Et pourtant, la plus Russe des tsarines est née le 2 mai 1729 à Stettin, en Poméranie, province annexée par la Prusse depuis 1720. Sophie Augusta Frédérique d’Anhalt-Zerbst est la fille d’un prince de second rang. Dès l’âge de 15 ans, elle s’est retrouvée fiancée à son cousin Charles-Pierre-Ulrich de Holstein-Gottorp.
Orphelin, celui-ci est par sa mère le petit-fils de Pierre le Grand, ce qui lui a valu d’être désigné par sa tante Élisabeth Ire pour lui succéder sur le trône de Russie. La tsarine n’a pas eu d’enfant et se trouve ainsi un successeur porteur du sang des Romanov.
À son arrivée à Saint-Pétersbourg, Sophie découvre la vraie nature de son futur mari. Brisé par une terrible éducation, le visage marqué par la petite vérole, Pierre se révèle cruel et infantile, toujours entouré d’une meute de chiens et de soldats de plomb avec lesquels il peut jouer pendant des heures.
La future Catherine II ne se laisse pas abattre, prenant son destin à bras-le-corps: "J’avais au fond de mon coeur un je-ne-sais-quoi qui ne m’a jamais laissé douter un seul moment que, tôt ou tard, je parviendrais à devenir impératrice souveraine de Russie, de mon chef", écrit-elle dans ses Mémoires.
Le mariage est célébré le 21 août 1745. Sophie est rebaptisée Catherine Alexeïevna, selon le rite orthodoxe. Le contrat stipule qu’elle succédera à son époux si celui-ci meurt sans héritier.
Catherine noue des alliances à la Cour… et ses premières intrigues amoureuses
Premier objectif pour la jeune femme: s’accorder les bonnes grâces de l’impératrice Élisabeth en se montrant plus russe que ses futurs sujets, et d’une orthodoxie inattaquable, quand son mari reste chevillé à sa culture prussienne.
Grâce à son intelligence, Catherine noue des alliances à la Cour… et ses premières intrigues amoureuses. D’autant que le grand-duc Pierre se révèlant inapte à consommer son mariage, Élisabeth a incité la jeune femme à choisir un suppléant –"pour le bien de l’État"– afin de procréer l’héritier si attendu…
Catherine tombe sous le charme du comte Sergueï Saltykov, fringant chambellan. Le 1er octobre 1754, un premier fils, prénommé Paul, voit le jour. "Dieu sait où ma femme prend ses grossesses", remarque Pierre. Trois ans plus tard, Catherine donne naissance à une petite fille, Anne, dont le père serait le prince polonais Stanislas Poniatowski. Puis elle s’entiche du lieutenant Grigori Orlov et de son frère Alexeï.
Ambitieux et sans scrupule, ces deux séducteurs comprennent l’usage qu’ils peuvent faire de la "soif insatiable de délices et de volupté" qui taraude désormais la grande-duchesse. D’autant que, le 5 janvier 1762, la mort d’Élisabeth provoque l’avènement du nouveau tsar Pierre III, bien décidé à écarter définitivement sa femme de la Cour.
Tout au long de son règne, la tsarine s’appuiera sur de vigoureux favoris...
Dès lors, Catherine n’a de cesse que de sauver sa peau en éliminant son époux. "J’ai décidé soit de régner, soit de périr", proclame-t-elle, largement soutenue par l’armée, le clergé et la noblesse. En six mois, l’affaire est entendue, Pierre III abdique "le fardeau du pouvoir" avant de mourir, une semaine plus tard, dans sa retraite de Ropscha.
Selon certains, c’est Alexeï Orlov qui l’aurait étranglé, dans des conditions mystérieuses. Catherine, désormais souveraine, a-t-elle trempé dans le complot? Difficile à dire, mais, dans les jours qui suivent, les présumés coupables, parmi lesquels ses amants, sont récompensés avec largesse. Et le règne de la Grande Catherine peut véritablement commencer…
Faut-il le résumer à sa soif de pouvoir et de plaisirs? À plus de 40 ans, Catherine II manifeste certes des besoins sexuels hors normes! Elle séduit un certain Grigori Potemkine. De dix ans son cadet, ce militaire bâti comme un colosse devient l’un de ses principaux ministres. Il se serait même lié à elle par un mariage secret.
La petite histoire veut aussi qu’il choisisse, lui-même, parmi les soldats de la garde, les jeunes amants que l’impératrice fait tester par ses dames d’honneur avant de les consommer elle-même!
Catherine vient de fêter ses 60 ans quand éclate la Révolution française. Du jour au lendemain, la France du siècle des Lumières tant admirée n’est plus qu’un "repaire de brigands". La souveraine est prête à lancer ses armées contre celles de la République. Elle n’en aura pas le temps, puisqu’elle rend l’âme, comme on le sait. Ultime soupir d’une si longue série…
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